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[ 8 février 2018 ] Imprimer

Droit de la responsabilité civile

Sclérose en plaques : son lien avec le vaccin contre l’hépatite B reste à démontrer…

Mots-clefs : Responsabilité, Produits défectueux, Vaccination contre l'hépatite B, Sclérose en plaques, Preuve de la causalité, Présomptions, Contenu, Insuffisance, Absence de lien de causalité entre les vaccins administrés et la maladie

En l'absence d’éléments présomptifs factuels suffisants à constituer des présomptions graves, précises et concordantes, l'existence d'un lien de causalité entre les vaccins administrés et la sclérose dont la victime est atteinte doit être écartée.

Une patiente ayant reçu, au cours de l'année 1994, plusieurs injections du vaccin contre l'hépatite B, renouvelées le 7 février 1997, avait présenté, au cours d’un même mois, des troubles conduisant au diagnostic de la sclérose en plaques. Imputant cette pathologie au vaccin, la patiente, alors mineure, et sa mère, avaient assigné le fabricant du vaccin en réparation du préjudice subi. Les juges du fond rejetèrent leur demande, rejet confirmé par la Haute cour aux termes d’une motivation particulièrement étayée.

D'une part, elle rappelle qu’aux termes de l’article 1386-9 du Code civil, devenu l’article 1245-8 du Code civil, transposant l’article 4 de la directive 85/374/CEE du Conseil, du 25 juillet 1985, relative au rapprochement des dispositions législatives, réglementaires et administratives des États membres en matière de responsabilité du fait des produits défectueux, le demandeur a la charge de prouver le dommage, le défaut du produit ainsi et surtout que leur lien de causalité. Dès lors, il lui incombe d'établir, outre que le dommage est imputable au produit incriminé, que celui-ci est défectueux, cette double preuve pouvant être rapportée par des présomptions pourvu qu'elles soient graves, précises et concordantes. 

D'autre part, elle s’appuie sur l’arrêt rendu le 21 juin 2017 par la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE 21 juin 2017, n° C-621/15), en réponse à la question préjudicielle qu’elle lui avait posée, pour reprendre ce que les juges européens avaient dit pour droit, à savoir que l'article 4 de la directive doit être interprété en ce sens qu'il s'oppose à un régime probatoire reposant sur des présomptions selon lequel, lorsque la recherche médicale n'établit ni n'infirme l'existence d'un lien entre l'administration du vaccin et la survenance de la maladie dont est atteinte la victime, l'existence d'un lien de causalité entre le défaut attribué à un vaccin et le dommage subi par la victime serait toujours considérée comme établie lorsque certains indices factuels prédéterminés de causalité sont réunis. Elle précise que, même si elle présente un caractère réfragable, une présomption reposant sur de tels indices (état de santé antérieur, absence d'antécédents familiaux ou de prédispositions personnelles à la victime, chronologie cohérente entre le moment de la vaccination et l'apparition de la maladie, pour l’essentiel) méconnaîtrait la charge de la preuve prévue par cette disposition, dès lors que le producteur pourrait alors se trouver, avant même que les juges du fond n'aient pris connaissance des éléments d'appréciation dont dispose celui-ci ainsi que des arguments qu'il a présentés, dans l'obligation de renverser la présomption afin de s'opposer avec succès à la demande. 

Or en l’espèce, après avoir apprécié la valeur et la portée des éléments de preuve qui lui étaient soumis, sans se déterminer par des motifs hypothétiques ni déduire l'absence de présomptions graves, précises et concordantes du seul défaut de consensus scientifique sur l'étiologie de la sclérose en plaques et en faveur de l'existence d'un lien de causalité entre cette maladie et la vaccination contre l'hépatite B, la cour d'appel a souverainement estimé que l'absence de facteur de risque personnel et familial et d'éventuelles autres causes de la maladie chez la patiente, la rareté de la survenance de la sclérose en plaques chez l'enfant et le critère de proximité temporelle entre l'apparition des premiers symptômes et la vaccination de l'intéressée, ne constituaient pas des présomptions graves, précises et concordantes, de sorte que l'imputabilité de la survenance de la sclérose en plaques dont celle-ci était atteinte à la vaccination n'était pas établie. 

La recherche d’un lien possible entre vaccination et sclérose en plaques (SEP) témoigne de l’implacable difficulté de la preuve de la causalité dans les domaines où l'étiologie des pathologies reste incertaine et le rôle causal de la vaccination, ou d’un médicament (V. à propos de l’affaire du Levothyrox, Le Monde, 1er févr. 2018, dont les effets indésirables sont constatés par l’Agence du médicament « sans qu’aucun élément explicatif ne puisse être avancé (…) ni le lien direct », du médicament et ces effets, qui « reste difficile à expliquer »), simplement envisagé. 

Sur un plan scientifique comme juridique, l’apparition de maladies après l’administration de certains vaccins est malaisément explicable : malheureux fruit du hasard ? État antérieur favorable au développement de la maladie que la vaccination aurait seulement révélée, favorisée ou précipitée ? Ou alors, plus radicalement, directement fait naître ? La communauté scientifique, faute de pouvoir y répondre précisément, place du même coup la communauté juridique dans un certain flou que chaque protagoniste tente habilement, dans ces affaires, d’exploiter. En effet, alors que les producteurs s’abritent derrière l’absence de consensus scientifique et de données statistiques révélant l’égalité de proportion de malades atteints de SEP dans un échantillon de population vaccinée que dans celui d'une population non vaccinée, démontrant ainsi l'absence de rôle actif du vaccin, de leur côté, les victimes affirment qu'avant que le vaccin leur fût administré, elles ne présentaient aucun symptôme de SEP, invoquant ainsi qu’il en est la cause directe. 

Cette décision, consécutive à l’arrêt précité de la CJUE du 21 juin dernier, atteste des limites, en l'absence de certitude scientifique, de la preuve de la causalité juridique entre le vaccin contre le virus de l'hépatite B et le déclenchement d'une sclérose en plaques (CJUE 21 juin 2017, n° C-621/15), celle-ci ne pouvant désormais reposer sur un système présomptif qu’à des conditions strictement encadrées.

Pour être admises, ces présomptions ne doivent non seulement pas conduire à un renversement de la charge de la preuve mais elles doivent également n’être considérées que comme des présomptions simples, donc susceptibles d’être renversées, écartant ainsi le risque, en présence de tels indices, de rendre le rapport causal systématique. Ainsi la Cour européenne prenait-elle soin, pour que la juste défense du droit des victimes à l’indemnisation n’aboutisse pas à une responsabilisation automatique des laboratoires pharmaceutiques (dont la force « lobbyiste » n’est plus à rappeler…),  d'encadrer l'utilisation de la méthode indiciaire préconisée par la Haute cour, mais sans la condamner en soi. 

La Cour de cassation, ici comme en octobre dernier, semble avoir bien compris le message (V. Civ. 1re., 18 oct. 2017, n° 14-18.118 : « la cour d'appel, qui n'a pas exigé la preuve d'une imputabilité abstraite de la sclérose en plaques à la vaccination contre l'hépatite B ni déduit l'absence de présomptions graves, précises et concordantes du seul défaut de consensus scientifique sur l'étiologie de la sclérose en plaques, a estimé, dans l'exercice de son pouvoir souverain d'appréciation de la valeur et de la portée des éléments de preuve qui lui étaient soumis, que la concomitance entre la vaccination et l'apparition de la maladie comme l'absence d'antécédents neurologiques personnels et familiaux, prises ensemble ou isolément, ne constituaient pas de telles présomptions permettant de retenir l'existence d'un lien de causalité entre les vaccins administrés et la maladie »). 

Une fois encore, la proximité temporelle entre l'apparition des premiers symptômes et la vaccination n'est pas jugée pertinente, les éléments scientifiques produits soulignant l’antériorité au vaccin du déclenchement du processus pathologique, en sorte que la brièveté du délai entre l'apparition des premiers symptômes et la vaccination de la victime n'est pas significative. 

Ensuite, sur l'absence d'état antérieur favorable au déclenchement de la maladie, l'ignorance de l'étiologie de la SEP ne permet pas de considérer que l'absence d'autres causes éventuelles de cette maladie ainsi que celle d'antécédents neurologiques personnels ou familiaux constitueraient des éléments d'une présomption en faveur d'un lien de causalité entre la vaccination et la maladie dont la victime est atteinte. 

Enfin, l'absence de lien est en l’espèce d’autant plus justifiée par le constat médical de la rareté de la survenance de la SEP chez l'enfant. 

Quoiqu’il en soit, replacées dans leur contexte jurisprudentiel, cette décision semble condamner la réussite du recours à la méthode présomptive, au détriment des victimes de vaccinations en général, et en particulier pour celles ayant été vaccinées contre l'hépatite B, le vaccin contre celle-ci étant désormais obligatoire (L. n° 2017-1836 du 30 déc. 2017 de financement de la sécurité sociale pour 2018, V. CSP, art. L. 3111-2, texte d’ailleurs par d’aucuns contesté, au cours des débats, en référence à la nouvelle jurisprudence rendue en la matière; Travaux de la Commission des affaires sociales, 18 oct. 2017, Compte rendu n° 7 ; V. L. Bloch, RCA 2017, n° 12, comm. 319). 

Civ. 1re, 20 déc. 2017, n° 16-11.267

Références

■ CJUE 21 juin 2017, n° C-621/15 : D. 2017. 1807, note J.-S. Borghetti ; RTD civ. 2017. 877, obs. P. Jourdain.

■ Civ. 1re, 18 oct. 2017, n° 14-18.118 P: Dalloz Actu Étudiant10 nov. 2017; D. 2017. 2096 ; RDSS 2017. 1136, obs. J. Peigné.

 

Auteur :M.H.


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