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[ 31 mars 2025 ] Imprimer

Procédure civile

Sur l’autorité de la chose jugée et la concentration des moyens devant le juge civil en cas de relaxe par le juge pénal

Par une décision rendue le 6 mars dernier, la Cour de cassation poursuit son œuvre de clarification des contours du principe de concentration des moyens et de la portée attachée à l’autorité de la chose jugée face à l’option de compétence offerte à la victime entre le juge répressif et le juge civil.

Civ. 2e, 6 mars 2025, n° 22-20.935

Autorité de la chose jugée et concentration des moyens - Acquise dès le prononcé du jugement, l’autorité de la chose jugée signifie que la chose jugée est tenue pour la vérité. Elle se traduit par l'impossibilité de soumettre à nouveau au juge des prétentions qui ont déjà été tranchées lors d’une instance précédente. Le principe de l’autorité de la chose jugée suppose de constater trois éléments d’identité, recensés dans l'article 1355 du Code Civil :

-        La chose demandée doit être la même = identité d’objet

-        Elle doit provenir de la même cause = identité de cause

-        Elle doit concerner les mêmes parties = identité des parties

Notons qu’au civil, l'autorité de la chose jugée n’est pas absolue : elle « n'a lieu qu'à l'égard de ce qui a fait l'objet du jugement » (C. civ., art. 1355). L'article 480 du Code de procédure civile précise quant à lui que l'autorité de la chose jugée est limitée à ce qui a été tranché dans le dispositif du jugement. L’autorité de la chose jugée n’est donc que relative : elle ne vaut que pour le litige opposant les parties au procès. Une décision différente pourra donc être rendue dans un procès identique qui oppose des parties différentes. En revanche, l’autorité de la chose jugée au pénal sur le civil (« le criminel tient le civil en l’état »), signifiant que ce qui a été jugé par le juge répressif s’impose en principe au juge civil ainsi qu’au juge répressif lui-même lorsqu’il est saisi de l’action civile, a une valeur absolue. Cette autorité absolue, et non plus relative, ne concerne toutefois que les constatations pénales contenues dans des décisions de justice irrévocables : tant qu’une voie de recours reste ouverte, le principe ne joue pas, de même qu’il ne s’étend pas aux constatations de nature civile, ie quand le juge répressif statue sur des intérêts privés, accessoirement à l’action publique, principalement pour déterminer si une personne est civilement responsable.

Dans un arrêt phare rendu le 7 juillet 2006, l'arrêt Cesareo (n° 04-10.672), l'Assemblée Plénière de la Cour de Cassation a instauré un principe complémentaire à celui de l’autorité de la chose jugée, dit de "concentration des moyens" : le demandeur doit présenter, dès l'instance initiale, tous les moyens qu'il estime de nature à fonder ses prétentions. Ce principe a été étendu au défendeur, qui doit désormais présenter tous les moyens qu'il estime de nature à justifier le rejet des prétentions de son adversaire (Com. 20 févr. 2007, n° 05-18.322 ; Civ. 2e, 27 févr. 2020, n° 18-23.370.

Concentration des moyens et option de compétence juridictionnelle - Le principe de concentration des moyens est souvent mis en relation avec le droit d’option de la victime qui, dans notre système de procédure pénale, lui permet de saisir soit le juge civil soit le juge pénal pour obtenir la réparation du dommage que lui causent l’infraction ou, en cas de relaxe, les faits ayant fondé la poursuite. Par un arrêt de principe également rendu en assemblée plénière (Ass. plén. 14 avr. 2023, n° 21-13.516), il a ainsi été jugé qu’en application du principe de concentration des moyens, lorsque la partie civile sollicite du juge pénal qu'il se prononce selon les règles du droit civil, celle-ci doit présenter l'ensemble des moyens qu'elle estime de nature à fonder ses demandes, de sorte que la victime ne peut ultérieurement saisir le juge civil des mêmes demandes, fussent-elles fondées sur d'autres moyens. En revanche, la victime qui n'a pas saisi le juge pénal de la réparation de son préjudice conserve le droit de saisir le juge civil pour obtenir l'indemnisation de son préjudice. L'interprétation contraire aboutirait à priver d'effet l'option de compétence qui lui est ouverte par la loi n° 83-608 du 8 juillet 1983 dans le but de garantir le droit effectif de toute victime d'infraction d'obtenir l'indemnisation de son préjudice. L'autorité de la chose jugée et/ou le principe de la concentration des moyens ne peuvent justifier une telle interprétation ; en effet, ces règles de procédure, aussi fondamentales qu’elles soient, ne peuvent aboutir à priver la victime n’ayant pas usé de sa faculté d’exercer l’action civile devant le juge répressif de la possibilité de présenter ses demandes indemnitaires devant le juge civil (v. « Option de compétence versus concentration des moyens : l’Assemblée plénière vient de trancher », DAE, 10 mai 2023, note ss Ass. plén. 14 avr. 2023, préc). 

Elles ne peuvent davantage la contraindre à concentrer ses demandes : l’obligation de concentration des moyens n’étant pas une obligation de concentration des demandes, le demandeur à l’instance est en droit de former une demande en paiement devant le juge civil même après avoir été débouté, dans l’instance pénale initiale, de sa demande indemnitaire.

Concentration des moyens et concentration des demandes - L’obligation de concentration des moyens ne doit pas être confondue avec l’obligation de concentrer ses demandes. Stricto sensu, un moyen est un argument juridique de nature à fonder les demandes. Former une demande n’équivaut donc pas à invoquer un moyen juridique. Il en résulte qu’indépendamment de son obligation de concentrer ses moyens, le demandeur n'est pas tenu de présenter dans la même instance toutes les demandes fondées sur les mêmes faits, notamment infractionnels. Dans un arrêt récent venant utilement compléter la jurisprudence précédente, la Cour de cassation a ainsi clarifié le concept de concentration des moyens, en le distinguant, à la faveur du droit d’option de la victime, de l’obligation de concentrer les demandes devant le juge répressif. Elle juge ainsi que la circonstance que la partie civile ait été déboutée de sa demande indemnitaire par une décision de relaxe du juge répressif ne rend pas irrecevable comme méconnaissant l’autorité de la chose jugée sa demande distincte en restitution de l’indu ensuite présentée devant le juge civil (Civ. 2e, 6 mars 2025, n° 22-20.935). 

Dans l’affaire dont elle était saisie, un tribunal correctionnel, après avoir prononcé la relaxe d’un prévenu poursuivi du chef d'abus de confiance, avait débouté en conséquence la partie civile de sa demande en réparation du préjudice financier qui aurait résulté pour elle de l'infraction. La victime avait ultérieurement saisi un tribunal judiciaire afin d’obtenir, sur le fondement du paiement de l’indu, la restitution d’une somme qu'elle prétendait avoir versée au prévenu relaxé. La cour d’appel jugea sa demande irrecevable au motif que son action tendait aux mêmes fins que sa constitution de partie civile devant la juridiction pénale, puisqu'elle consistait toujours à réclamer l'indemnisation de son préjudice financier correspondant au montant du chèque prétendument conservé par l’ancien prévenu ; selon les juges du fond, faute pour la victime d'avoir présenté, dès l'instance pénale, l'ensemble des moyens de nature à fonder l'action en paiement dont elle a été déboutée par une décision devenue irrévocable du juge pénal, son action présentée devant la juridiction civile, qui se fonde sur des faits identiques à ceux soumis au tribunal correctionnel, se heurterait à l'autorité de la chose jugée. Or comme le rappelle la deuxième chambre civile pour justifier la cassation de cette décision, l’identité des faits est inopérante ; seule l’identité d’objet des demandes formées d’abord devant le juge pénal et ensuite devant le juge civil aurait permis d’opposer à la partie l’autorité de la chose jugée et la méconnaissance du principe de concentration de moyens : l'action civile en réparation du préjudice résultant d'un abus de confiance n'avait pas, en effet, le même objet que la seconde action tendant à obtenir, devant une juridiction civile, la restitution de l’indu. Il en résulte qu’une partie qui, en qualité de partie civile, a été déboutée par le juge pénal de sa demande en réparation du préjudice allégué du chef d'un abus de confiance dont le prévenu a été relaxé, ne peut se voir opposer l'autorité de la chose jugée attachée aux dispositions civiles de cette décision lorsqu'elle exerce ultérieurement devant le juge civil une action en paiement tendant à la restitution de la somme indûment conservée, dont l'objet est différent. 

En l’absence d’identité d’objet des demandes successivement formées - une action indemnitaire n'ayant pas le même objet qu’une action en paiement – la cour d’appel ne pouvait donc se fonder sur l’autorité de la chose jugée pour refuser d’ordonner la restitution de l’indu.

Références :

■ Ass. plén. 7 juill. 2006, n° 04-10.672 D. 2006. 2135, et les obs., note L. Weiller ; RDI 2006. 500, obs. P. Malinvaud ; RTD civ. 2006. 825, obs. R. Perrot

■ Com. 20 févr. 2007, n° 05-18.322 

■ Civ. 2e, 27 févr. 2020, n° 18-23.370 D. 2020. 493 ; ibid. 2198, chron. N. Touati, C. Bohnert, E. de Leiris et N. Palle

■ Ass. plén. 14 avr. 2023, n° 21-13.516 DAE, 10 mai 2023, note 10 mai 2023 D. 2023. 1387, note S. Pellé ; ibid. 1488, obs. J.-B. Perrier ; AJ pénal 2023. 231, note A. Botton ; RSC 2023. 563, obs. Y. Mayaud ; RTD civ. 2023. 645, obs. P. Jourdain ; ibid. 730, obs. N. Cayrol

 

Auteur :Merryl Hervieu


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