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[ 12 avril 2023 ] Imprimer

Droit des obligations

Surendettement : nature et effets de la contestation par le créancier des mesures en résultant

La contestation par le créancier de mesures recommandées ou imposées par une commission de surendettement constitue une demande en justice qui interrompt le délai de prescription. L'interruption de la prescription s'étend à la demande en paiement ultérieurement engagée par le créancier, les deux demandes tendant aux mêmes fins.

Civ. 2e, 23 mars 2023, n° 20-18.306 B

Si en principe, la suspension comme l'interruption de la prescription ne peuvent s'étendre d'une action à une autre, il en est autrement lorsque les deux actions tendent à un même but, de sorte que la seconde est virtuellement comprise dans la première. Tel est le rappel auquel procède une nouvelle fois la deuxième chambre civile, après avoir déjà fait une application récente de la dérogation au principe précité en matière de résolution du contrat (Civ. 2e, 2 mars 2023, n° 21-18.771).

Par acte authentique du 26 décembre 1996, une société avait consenti un prêt immobilier à un couple de particuliers. Le 30 juin 2012, l’époux emprunteur avait saisi une commission de surendettement des particuliers d'une demande de traitement de sa situation financière. À la suite de l'échec de la phase amiable de la procédure, constaté par la commission le 25 juillet 2012, le débiteur avait demandé, le 3 août 2012, à bénéficier de mesures recommandées. Le 21 décembre 2012, la commission avait établi des mesures de ce type, que la banque prêteuse avait contestées le 22 janvier 2013. La contestation avait été rejetée par jugement du 19 novembre 2013, ce que confirma par la suite un arrêt d'appel rendu le 20 janvier 2015. Le 21 octobre 2014, la banque créancière avait assigné le débiteur en paiement du solde du prêt. La cour d’appel jugea l'action de la banque irrecevable comme prescrite et débouta cette dernière, en conséquence, de ses demandes en paiement à l'encontre des époux emprunteurs. La banque forma un pourvoi en cassation ; à l’appui du critère de « l’identité du but », la demanderesse soutenait que son action exercée aux fins d'obtenir le paiement de sa créance ayant le même objet et tendant au même but que celle contestant les mesures imposées par la commission de surendettement à l'encontre de son débiteur, le lien entre ces deux actions soumet celles-ci aux mêmes règles de prescription ; ce lien impliquait de considérer que l'action en paiement engagée le 21 octobre 2014 tendait au règlement de sa créance, à l’instar de celle en contestation des mesures de surendettement, dont l'instance s'était éteinte le 20 janvier 2015, si bien que l'interruption de la prescription avait produit ses effets jusqu'à cette date. Partant, l'assignation du 21 octobre 2014 avait bien été délivrée avant l'expiration du délai de prescription. Donnant gain de cause à la banque, la Cour de cassation censure l’arrêt d’appel au visa de l’article 2241 du Code civil, dont il résulte que si en principe, l'interruption de la prescription ne peut s'étendre d'une action à une autre, il en va autrement lorsque les deux actions, bien qu'ayant une cause distincte, tendent aux mêmes fins, de sorte que la seconde est virtuellement comprise dans la première

Or, analyse la Cour, la contestation par le créancier de mesures recommandées ou imposées par une commission de surendettement constitue une demande en justice qui interrompt le délai de prescription. Cette contestation tendant au même but que la demande en paiement engagée ultérieurement par le créancier, la seconde action est virtuellement comprise dans la première. La cour d’appel avait au contraire considéré, pour déclarer la créance prescrite, que si les articles 2241 et 2242 du Code civil prévoient effectivement qu’une demande en justice interrompt la prescription de l’action et que cette interruption produit ses effets jusqu’à l’extinction de l’instance, le recours formé par un créancier contre la décision par laquelle une commission de surendettement déclare un débiteur recevable en sa demande de traitement de sa situation financière ne constitue pas, au regard de son objet, une demande en justice de nature à interrompre le délai de prescription.

La Haute juridiction en conclut qu’en statuant ainsi, alors que l'effet interruptif de prescription de la contestation des mesures recommandées ou imposées s'étendait à l'action en paiement, la cour d'appel a violé l’article 2241 du Code civil.

En principe, la suspension comme l'interruption de la prescription ne peuvent s'étendre d'une action à une autre (C. civ., art. 2239) ; rapporté à l’espèce, ce principe reviendrait à refuser que l’interruption de la prescription résultant de l’action en contestation des mesures de surendettement s’applique à l’action en paiement engagée ultérieurement. Cependant, une dérogation à ce principe est prévue lorsque les deux actions, quoiqu’ayant une cause distincte, tendent à un même but, de sorte que la seconde est virtuellement comprise dans la première. L’identité du but des deux actions engagées était bien, en l’espèce caractérisée, justifiant la cassation de la décision des juges du fond. En effet, les deux actions engagées (en contestation des mesures puis en paiement) avaient un but commun : le règlement de la créance. Partant, l’effet interruptif de la prescription produit par la première action engagée par le créancier devait s’étendre à la seconde. Non prescrite, cette action en paiement du solde du prêt devait alors être accueillie. Il convient d’observer que l’application de cette règle dérogatoire au texte de l’article 2239 dépend de la qualification de l’action engagée, laquelle doit donc constituer, pour interrompre la prescription, une véritable « demande en justice », ce que la cour d’appel avait en l’espèce refusé de considérer à propos de l’action en contestation des mesures de surendettement, simplement « recommandées ». Or c’est précisément en qualifiant cette action de demande en justice que la Cour de cassation permet au créancier de bénéficier, à la date d’engagement de l’action en paiement, de son effet interruptif de prescription, le rendant ainsi encore recevable à agir. Il est enfin à noter que la deuxième chambre civile a récemment fait application de la même dérogation pour admettre cette fois l’extension de la suspension de la prescription d’une action en responsabilité contractuelle engagée au fond, après une première action en référé-expertise, dans laquelle l’action au fond se trouvait « virtuellement comprise » (Civ. 2e, 2 mars 2023, préc.), étant précisé que comme le rappelle ici la Cour (pt 8), « la demande en justice, même en référé, interrompt le délai de prescription ». On comprend donc que le bénéfice de l’exception liée à « l’identité du but » dépend essentiellement de l’exacte qualification de l’action initialement introduite. D’où l’intérêt, dans l’arrêt sous commentaire, de voir la Cour juger sans réserve que l’action en contestation de mesures, même simplement recommandées par une commission de surendettement, constitue une demande en justice, cause traditionnelle d’interruption de la prescription.

 

Auteur :Merryl Hervieu


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