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[ 23 mars 2023 ] Imprimer

Droit des obligations

Vente : rapprochement de la garantie des vices cachés et de la délivrance conforme

Si en principe, la suspension comme l'interruption de la prescription ne peuvent s'étendre d'une action à une autre, il en est autrement lorsque les deux actions tendent à un même but, de sorte que la seconde est virtuellement comprise dans la première. Tel est le cas d’une demande d'expertise en référé visant à identifier les causes des sinistres subis par les matériels livrés et à déterminer s'ils sont atteints d'un vice rédhibitoire, qui tend au même but que l'action en inexécution de l'obligation de délivrance conforme.

Civ. 2e, 2 mars 2023, n° 21-18.771 B

Le 2 mars dernier, la Cour de cassation a rendu une décision rapprochant, sur le terrain de la prescription, la garantie des vices cachés de l’obligation de délivrance conforme que la jurisprudence s’attache pourtant, traditionnellement, à distinguer.

Ayant rencontré des difficultés avec des moteurs, un acheteur avait obtenu en référé, en 2009, une mesure d’expertise fondée sur la garantie des vices cachés. Le rapport d’expertise avait été établi en 2015. Un an plus tard, l’acheteur avait assigné le vendeur au titre du manquement à son obligation de délivrance conforme. La cour d’appel déclara son action irrecevable car prescrite.

Pour les juges du fond, si la prescription avait été suspendue par l’expertise, cette suspension ne pouvait être étendue à l’action engagée au fond qu’à la condition que la demande d'expertise et celle formulée devant la juridiction du fond répondissent au même but. Or, l’action en référé expertise avait été introduite sur le fondement de la garantie des vices cachés, tandis que l’action au fond le fut sur le fondement de l’obligation de délivrance. Partant, la suspension de la prescription ne pouvait jouer que pour l’action en référé, et non pour l’action au fond. Fondant la thèse de son pourvoi sur le critère de l’« identité du but », l’acquéreur soutenait pouvoir tirer profit de la règle selon laquelle un référé-expertise suspend le délai de prescription de l’action au fond lorsque cette mesure tend au même but que la demande formulée devant la juridiction du fond, c’est-à-dire lorsqu’il apparaît que les résultats de l’expertise diligentée permettent à la juridiction saisie ultérieurement au fond de se prononcer, quel que soit le fondement sur la base duquel cette mesure a pu être ordonnée. En effet, selon le demandeur au pourvoi, une telle identité aurait dû être en l’espèce relevée : bien qu’elle ait eu pour objet de déterminer si les moteurs étaient atteints d’un vice rédhibitoire, l’expertise sollicitée permettait, dans le cadre de l’action ultérieure engagée sur le fondement de l’obligation de délivrance conforme, d’établir si les moteurs étaient effectivement affectés d’une non-conformité.

Adhérant à la thèse du pourvoi, la deuxième chambre civile censure l’arrêt d’appel au visa de l’article 2239 du Code civil. Pour la Haute juridiction, « si, en principe, la suspension comme l'interruption de la prescription ne peuvent s'étendre d'une action à une autre, il en est autrement lorsque les deux actions tendent à un même but, de sorte que la seconde est virtuellement comprise dans la première ». Or, juge la Cour, « la demande d'expertise en référé tendant à identifier les causes des sinistres subis par les matériels livrés et à déterminer s'ils sont atteints d'un vice rédhibitoire tend au même but que l'action en inexécution de l'obligation de délivrance conforme ».

Puisqu’en principe, la suspension comme l'interruption de la prescription ne peuvent s'étendre d'une action à une autre, la cause d’interruption ou de suspension de l’action en référé intentée sur le fondement de la garantie des vices cachés n’aurait pas dû trouver à s’appliquer à l’action distincte engagée, au fond, sur le fondement de l’obligation de délivrance conforme. Autrement dit, la suspension de la prescription n’aurait dû être retenue que pour l’action en garantie des vices cachés, sans pouvoir être étendue à l’action fondée sur le défaut de conformité. Telle était d’ailleurs l’analyse développée par les juges du fond. Cependant, le critère tiré de l’identité du but, utilement avancé par l’auteur du pourvoi, autorise à déroger à cette règle : « si, en principe, la suspension comme l'interruption de la prescription ne peuvent s'étendre d'une action à une autre, il en est autrement lorsque les deux actions tendent à un même but, de sorte que la seconde est virtuellement comprise dans la première » (pt 9).

En l’espèce caractérisée, l’identité du but des deux actions, quoiqu’engagées sur des fondements distincts, justifie la cassation de la décision des juges du fond : dans la mesure où l’action rédhibitoire intentée sur le fondement de la garantie des vices cachés, qui vise la résolution du contrat, tendait ainsi au même but que l’action en résolution de la vente pour inexécution de l’obligation de délivrance conforme, la suspension de la première bénéficiait à la seconde. Autrement dit, l’identité du but s’évinçait de l’identité de la sanction recherchée, soit la résolution contractuelle.

La solution nous semble opportune. Acquise en jurisprudence, la distinction entre vice caché et défaut de délivrance conforme paraît en fait fragile. La frontière entre le défaut de conformité de la chose au contrat passé et son défaut de conformité à l’usage escompté est, en effet, souvent difficile à tracer en pratique. La jurisprudence récente (v. par ex. Civ. 3e, 30 sept. 2021, nos 20-15.354 et 20-16.156, à propos d’un terrain pollué) et certains membres de la doctrine en témoignent (v. not. L. Thibierge, « Quand le vice caché le dispute à la non-conformité », RDC 2022/1. 45), au point que d’aucuns appellent à la fusion de la garantie des vices cachés et de l’obligation de délivrance conforme (v. proposition de la Commission Stoffel-Munck ; contra, O. Tournafond, D. 2023. 349).

Références :

■ Civ. 3e, 30 sept. 2021, nos 20-15.354 et 20-16.156 B DAE, 19 oct 2021 ; D. 2021. 1814.

 

Auteur :Merryl Hervieu


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