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Libertés fondamentales - droits de l'homme
Une nouvelle liberté fondamentale invocable en référé !
Le droit de vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé (Charte envir., art. 1er) constitue une liberté fondamentale au sens l'article L. 521-2 du code de justice administrative.
CE, réf., 20 septembre 2022, n° 451129 A
L’affaire ayant permis cette importante avancée en droit de l’environnement concerne la contestation d’une délibération de 2016 par laquelle le conseil départemental du Var a décidé le recalibrage d’une route départementale, avec création d'une voie cyclable et a entrepris les travaux correspondants au cours de l'année 2021.
Un couple possédant un laboratoire à l’endroit limitrophe des travaux et menant depuis plusieurs années un travail de recensement et d'études des espèces protégées, a saisi le juge des référés afin qu’il soit enjoint au département du Var de suspendre ces travaux. Toutefois, le juge des référés du tribunal administratif a rejeté leur demande au motif que la protection de l'environnement ne constituait pas une liberté fondamentale au sens de l'article L. 521-2 du code de justice administrative. Si le juge des référés du Conseil d’État a rejeté la demande du couple, il a cependant annulé l’ordonnance du tribunal administratif au motif que la protection de l'environnement constituait bien une liberté fondamentale au sens de l'article L. 521-2 précité.
Cette affaire a donc permis au juge des référés du Conseil d’État de reconnaître une nouvelle liberté au rang de liberté fondamentale au sens de l'article L. 521-2 du code de justice administrative : « le droit de chacun de vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé » (Charte envir., art. 1er).
■ Charte de l’environnement et jurisprudence constitutionnelle
La Charte de l’environnement de 2005 appartient au Préambule de la Constitution de 1958.
Cette Charte est ainsi placée sur le même plan que la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 et que le Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946. Rappelons que l'ensemble des droits et devoirs définis dans la Charte de l'environnement a valeur constitutionnelle (Cons. const. 19 juin 2008, Loi relative aux organismes génétiquement modifiés, n° 2008-564 DC, § 18).
Le Conseil constitutionnel a également précisé que son contrôle a posteriori des lois s'exerçait au regard de la Charte de l'environnement. Ainsi, les articles 1er à 4 de la Charte énoncent des droits et libertés invocables dans le cadre de la procédure de QPC et il découle notamment des articles 1er et 2 que chacun est tenu à une obligation de vigilance à l'égard des atteintes à l'environnement qui pourraient résulter de son activité (Cons. const. 8 avr. 2011, n° 2011-116 QPC).
Il découle également du préambule de la Charte de l’environnement un objectif de valeur constitutionnelle de « protection de l’environnement, patrimoine commun des êtres humains » (Cons. const. 31 janv. 2020, Union des industries de la protection des plantes, n° 2019-823 QPC § 4).
Plus récemment, le Conseil constitutionnel a précisé, concernant le déploiement d’un terminal méthanier flottant et d’installations de production d’électricité à partir de combustibles fossiles, « qu'il résulte … du préambule de la Charte de l'environnement que la préservation de l'environnement doit être recherchée au même titre que les autres intérêts fondamentaux de la Nation et que les choix destinés à répondre aux besoins du présent ne doivent pas compromettre la capacité des générations futures à satisfaire leurs propres besoins » (Cons. const. 12 août 2022, Loi portant mesures d'urgence pour la protection du pouvoir d'achat, n° 2022-843 DC).
■ Charte de l’environnement et jurisprudence administrative
L’Assemblée du contentieux du Conseil d’État a solennellement affirmé que l’ensemble des droits et devoirs définis dans la Charte de l’environnement, et à l'instar de toutes celles qui procèdent du Préambule de la Constitution, ont valeur constitutionnelle (CE, ass., 3 oct. 2008, Cne d'Annecy, n° 297931 A).
■ Article 1er de la Charte de l’environnement : une liberté fondamentale invocable devant le juge des référés
- Référé-liberté (CJA, art. L. 521-2)
Le référé-liberté fait partie des procédures d’urgence comme le référé-suspension (CJA, art. L. 521-1) et le référé-mesures utiles ou référé conservatoire (CJA, art. L. 521-3). Le requérant doit justifier de l’urgence de l’affaire et d’une atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale (ex : la liberté d’aller et venir : CE, réf., 26 juin 2006, n° 294505 et 29450 ; la liberté de pratiquer un sport : CE, réf., 16 oct. 2020, n° 445102 ; le droit pour un ressortissant français d'entrer sur le territoire français : CE, réf., 18 août 2020, n° 442581). Afin d’apprécier le degré de gravité de l'atteinte à la liberté fondamentale en cause, le juge des référés prend en compte les limitations de portée générale apportées par le législateur à l'exercice de cette liberté pour permettre certaines interventions de la puissance publique jugées nécessaires. Le juge des référés se prononce dans un délai de quarante-huit heures.
- Intégration du « droit de chacun de vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé » dans le champ du référé-liberté
Concernant l’invocabilité du droit à un environnement sain, celui-ci avait notamment déjà justifié la mise en œuvre d’un référé-liberté conférant à ce droit la nature d’une véritable liberté fondamentale (TA, réf., Châlons-en-Champagne, 29 avr. 2005, Conservatoire du patrimoine naturel et a., n° 0500828). En l’espèce, la décision du préfet de ne pas s'opposer au déroulement d'une manifestation de type rave party dénommée « Teknival » devant rassembler des milliers de participants sur le site d'un ancien aérodrome militaire est susceptible de préjudicier aux intérêts que les associations requérantes défendent en raison de la qualité particulière de ce milieu naturel justifient de la condition d'urgence.
Mais, il a fallu attendre l’ordonnance du 20 septembre 2022 pour que le Conseil d’État reconnaisse l’intégration du « droit de chacun de vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé » dans le champ du référé-liberté.
Ainsi, le juge des référés du Conseil d’État rappelle les critères d’application qui définissent le champ d’application du référé-liberté. Ceux-ci font en effet l’objet d’une interprétation stricte.
- « Toute personne justifiant, au regard de sa situation personnelle, notamment si ses conditions ou son cadre de vie sont gravement et directement affectés, ou des intérêts qu'elle entend défendre, qu'il y est porté une atteinte grave et manifestement illégale du fait de l'action ou de la carence de l'autorité publique, peut saisir le juge des référés sur le fondement de cet article. »
- « Il lui appartient alors de faire état de circonstances particulières caractérisant la nécessité pour elle de bénéficier, dans le très bref délai prévu par ces dispositions, d'une mesure de la nature de celles qui peuvent être ordonnées sur le fondement de cet article. »
- « Dans tous les cas, l'intervention du juge des référés dans les conditions d'urgence particulière prévues par l'article L. 521-2 est subordonnée au constat que la situation litigieuse permette de prendre utilement et à très bref délai les mesures de sauvegarde nécessaires. Compte tenu du cadre temporel dans lequel se prononce le juge des référés saisi sur le fondement de l'article L. 521-2, les mesures qu'il peut ordonner doivent s'apprécier en tenant compte des moyens dont dispose l'autorité administrative compétente et des mesures qu'elle a déjà prises ».
En l’espèce, il n’y a pas d’atteinte au droit de chacun de vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé. En effet, la condition d'urgence particulière n’est pas remplie : les travaux litigieux résultent d'un projet arrêté par une délibération du conseil départemental du Var en date de 2016 et ont notamment donné lieu, ensuite, à une déclaration au titre de la loi sur l'eau et à une autorisation de défrichement par arrêté préfectoral de décembre 2020, non contestées par les requérants. Par ailleurs, la poursuite des travaux contestés ne porte pas une atteinte grave et manifestement illégale au droit de vivre des espèces étudiées par les requérants dans un environnement équilibré et respectueux de la santé (la sensibilité du milieu naturel, notamment biologique, au projet envisagé est modérée, aucun enjeu de conservation notable n'a pu être identifié et la nature et l'ampleur limitée des travaux ont justifié que le préfet dispense le projet d'étude d'impact).
Notons, que l’intégration du droit proclamé par l’article 1er de la Charte de l’environnement dans le champ du référé-liberté faisait partie des propositions de la mission « flash » sur le référé spécial environnemental. Il était notamment rappelé qu’« agir rapidement est … fondamental en cas d’atteintes à l’environnement, car celles-ci conduisent souvent à des dommages irréversibles : en ce sens, elles sont particulières et doivent être appréhendées de manière spécifique par le juge dans le cadre des procédures d’urgence que sont les référés ». Ainsi, la proposition n° 8 soumettait l’idée d’intégrer formellement les droits prévus par la Charte de l’environnement dans le champ du référé-liberté prévu par l’article L. 521-2 du code de justice administrative. Cette proposition avait fait l’objet d’un amendement lors des discussions de la loi climat et résilience mais il n’a pas été retenu (V. Le Billet de Frédéric Rolin , Le référé liberté, ne sera pas la baguette magique du contentieux environnemental, DAE 26 avr. 2021).
C’est finalement le juge administratif qui vient de consacrer cette nouvelle liberté fondamentale.
Références
■ Cons. const. 19 juin 2008, Loi relative aux organismes génétiquement modifiés, n° 2008-564 DC : AJDA 2008. 1232 ; ibid. 1614, note O. Dord ; D. 2009. 1852, obs. V. Bernaud et L. Gay ; ibid. 2448, obs. F. G. Trébulle ; RFDA 2008. 1233, chron. A. Roblot-Troizier et T. Rambaud ; Constitutions 2010. 56, obs. A. Levade ; ibid. 139, obs. Y. Aguila ; ibid. 307, obs. Y. Aguila
■ Cons. const. 8 avr. 2011, n° 2011-116 QPC : AJDA 2011. 762 ; ibid. 1158, note K. Foucher ; D. 2011. 1258, note V. Rebeyrol ; ibid. 2298, obs. B. Mallet-Bricout et N. Reboul-Maupin ; RDI 2011. 369, étude F. G. Trébulle ; Constitutions 2011. 411, obs. F. Nési
■ Cons. const. 31 janv. 2020, Union des industries de la protection des plantes, n° 2019-823 QPC : AJDA 2020. 264 ; ibid. 1126 ; ibid. 425, tribune V. Goesel-Le Bihan, note F. Savonitto ; D. 2020. 1159, et les obs., note B. Parance et S. Mabile ; ibid. 1012, obs. V. Monteillet et G. Leray ; ibid. 1761, obs. N. Reboul-Maupin et Y. Strickler ; ibid. 1970, obs. L. d'Avout, S. Bollée et E. Farnoux ; ibid. 2021. 1308, obs. E. Debaets et N. Jacquinot ; AJCT 2020. 340, étude G. Bailly ; RFDA 2020. 501, chron. A. Roblot-Troizier ; Constitutions 2019. 594, Décision
■ Cons. const. 12 août 2022, Loi portant mesures d'urgence pour la protection du pouvoir d'achat, n° 2022-843 DC : AJDA 2022. 1655 ; D. 2022. 1472
■ CE 6 avr. 2006, Ligue pour la protection des oiseaux, n° 283103 : AJDA 2006. 1584, chron. C. Landais et F. Lenica
■ CE, réf., 26 juin 2006, n° 294505 et 29450 A : AJDA 2006. 1357
■ CE, réf., 16 oct. 2020, n° 445102
■ CE, réf., 18 août 2020, n° 442581
■ TA, réf., Châlons-en-Champagne, 29 avr. 2005, Conservatoire du patrimoine naturel et a., n° 0500828 : AJDA 2005. 1357, note H. Groud et S. Pugeault ; RDI 2005. 265, obs. L. Fonbaustier ; RTD civ. 2005. 556, obs. R. Encinas de Munagorri
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