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Libertés fondamentales - droits de l'homme
Une personne qui a conçu un enfant avec ses gamètes mâles peut-elle être la mère de cet enfant ?
Une personne transgenre homme devenu femme qui, après la modification de la mention de son sexe dans les actes de l’état civil, procrée avec son épouse au moyen de ses gamètes mâles, n’est pas privée du droit de faire reconnaître un lien de filiation biologique avec l’enfant, mais ne peut le faire qu’en ayant recours aux modes d’établissement de la filiation réservés au père.
Civ. 1re, 16 sept. 2020, nos 18-50.080 et 19-11.251
Un homme et une femme se sont mariés en 1999 et ont eu deux enfants dont ils sont père et mère. En 2009, l’homme faisant état d'un syndrome transsexuel, a saisi le tribunal de grande instance de Montpellier d'une demande de changement de sexe et a obtenu, le 3 février 2011, un jugement lui donnant satisfaction, aux termes duquel il sera désormais inscrit à l'état civil de sexe féminin avec comme prénom C.
Malgré son transsexualisme, elle avait conservé la fonctionnalité de ses organes sexuels masculins et continué à entretenir avec son épouse des relations intimes. Ces relations ont alors donné lieu à la naissance d’un troisième enfant qui a été déclaré à l’état civil comme née de la femme qui a porté l’enfant.
C. avait quant à elle souscrit une reconnaissance prénatale de maternité (« reconnaissance prénatale...déclarée être de nature maternelle, non gestatrice ») devant notaire et a ensuite demandé la transcription, sur l’acte de naissance de l'enfant, de la reconnaissance de maternité par elle souscrite, ce qui lui a été refusé par l'officier de l'état civil.
Le tribunal d’instance de Montpellier a également rejeté la demande de transcription sur les registres de l’état civil de la reconnaissance de maternité. La cour d’appel de Montpellier en a fait de même mais a ordonné la transcription de la mention de « parent biologique » pour C. sur l’acte de naissance de l’enfant.
Ainsi, à la suite de l’arrêt de la cour d’appel, le troisième enfant du couple avait donc une mère gestatrice et un parent biologique.
Le problème posé par cette affaire est notamment lié à la loi n° 2016-1547 du 18 novembre 2016 de modernisation de la justice du XXIe siècle qui a inséré dans le code civil une section relative à la modification de la mention du sexe à l'état civil comprenant les articles 61-5 à 61-8. Ces articles prévoient qu’une personne peut changer de sexe à l’état civil, sous certaines conditions, sans avoir subi de traitements médicaux ou avoir été opérée et que « La modification de la mention du sexe dans les actes de l’état civil est sans effet sur les obligations contractées à l’égard de tiers ni sur les filiations établies avant cette modification. » (C. civ., art. 61-8). Le législateur a donc prévu la situation des enfants nés avant la modification de la mention du sexe du parent. Toutefois, le sort des enfants nés après la modification, comme c’est les cas en l’espèce, n’a pas été anticipé.
■ Se pose alors un problème de filiation : quel sexe du parent mentionner dans l’acte de naissance ? Celui qui correspond à la fonction de reproduction, celui légalement attribué à l’état civil, ou celui issu d’une nouvelle catégorie juridique ?
En l’espèce, le parent transgenre est-il père ? en raison de ses gamètes mâles fournis pour la reproduction, mère ? comme indiqué à l’état civil ou ni père, ni mère mais « parent biologique » ? comme décidé par la cour d’appel ?
· La notion de « parent biologique »
La cour d’appel de Montpellier avait déplacé la question en décidant de créer une nouvelle catégorie juridique : la notion de parent biologique qui permet de ne pas préciser le caractère de père ou mère (V. Dalloz Actu Étudiant, Focus sur : La notion de « parent biologique »). En l’espèce, la Cour de cassation balaie cette notion en précisant que la « loi française ne permet pas de désigner, dans les actes de l’état civil, le père ou la mère de l’enfant comme « parent biologique » (V. C. civ., art. 57; Conv. EDH, art. 8) ». En effet, la cour d’appel « ne pouvait créer une nouvelle catégorie à l’état civil et …, loin d’imposer une telle mention sur l’acte de naissance de l’enfant, le droit au respect de la vie privée et familiale des intéressées y faisait obstacle ».
· L’établissement de la filiation
La Cour de cassation recentre la question en se référant aux dispositions relatives à l’établissement de la filiation prévues au titre VII du livre premier du code civil. Ainsi, en l’état actuel du droit, deux filiations maternelles ne peuvent être établies à l’égard d’un même enfant, hors adoption (C. civ., art. 311-25 et 320). Par ailleurs, « … Une personne transgenre homme devenu femme qui, après la modification de la mention de son sexe dans les actes de l’état civil, procrée avec son épouse au moyen de ses gamètes mâles, n’est pas privée du droit de faire reconnaître un lien de filiation biologique avec l’enfant, mais ne peut le faire qu’en ayant recours aux modes d’établissement de la filiation réservés au père » (V. C. civ., art. 313 et 316, al. 1er ).
■ L’intérêt supérieur de l’enfant
La Cour de cassation insiste sur le respect par le droit national de l’intérêt supérieur de l’enfant, (V. CIDE, art. 3, § 1 et art. 7, § 1 ; Conv. EDH, art. 8 et 14) :
· Intérêt supérieur de l’enfant, réalité de sa conception, absence de discrimination au sein de la fratrie
Les dispositions du droit national « sont conformes à l’intérêt supérieur de l’enfant, d’une part, en ce qu’elles permettent l’établissement d’un lien de filiation à l’égard de ses deux parents, élément essentiel de son identité et qui correspond à la réalité des conditions de sa conception et de sa naissance, garantissant ainsi son droit à la connaissance de ses origines personnelles, d’autre part, en ce qu’elles confèrent à l’enfant né après la modification de la mention du sexe de son parent à l’état civil la même filiation que celle de ses frère et sœur, nés avant cette modification, évitant ainsi les discriminations au sein de la fratrie, dont tous les membres seront élevés par deux mères, tout en ayant à l’état civil l’indication d’une filiation paternelle à l’égard de leur géniteur, laquelle n’est au demeurant pas révélée aux tiers dans les extraits d’actes de naissance qui leur sont communiqués ».
· Intérêt supérieur de l’enfant et respect de la vie privée et familiale de l’homme devenu femme
De plus, les dispositions du droit national, « en ce qu’elles permettent, par la reconnaissance de paternité, l’établissement d’un lien de filiation conforme à la réalité biologique entre l’enfant et la personne transgenre - homme devenu femme - l’ayant conçu, … concilient l’intérêt supérieur de l’enfant et le droit au respect de la vie privée et familiale de cette personne, droit auquel il n’est pas porté une atteinte disproportionnée, au regard du but légitime poursuivi, dès lors qu’en ce qui la concerne, celle-ci n’est pas contrainte par là-même de renoncer à l’identité de genre qui lui a été reconnue ».
· Intérêt supérieur de l’enfant et absence de discrimination entre les deux mères
Enfin, « ces dispositions ne créent pas de discrimination entre les femmes selon qu’elles ont ou non donné naissance à l’enfant, dès lors que la mère ayant accouché n’est pas placée dans la même situation que la femme transgenre ayant conçu l’enfant avec un appareil reproductif masculin et n’ayant pas accouché ».
■ Quelles conséquences pour cette affaire ?
La Cour de cassation casse l’arrêt d’appel « sauf en ce qu’il rejette la demande de transcription sur les registres de l’état civil de la reconnaissance de maternité » de C. à l’égard de l’enfant, et « remet, sur les autres points, l’affaire et les parties dans l’état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d’appel de Toulouse ». Pour l’instant, la filiation est uniquement établie avec la mère gestatrice, sachant que C. a toujours refusé l'adoption de son enfant pour être considérée comme mère et ne veut pas non plus être père sur l'acte de naissance.
Références
■ Fiches d’orientation Dalloz : Filiation
■ CA Montpellier, 14 nov. 2018, n° 16/06059 : D. 2019. 110, obs. A. Dionisi-Peyrusse, note S. Paricard ; ibid. 663, obs. F. Granet-Lambrechts ; ibid. 856, obs. RÉGINE ; AJ fam. 2018. 684, obs. G. Kessler ; ibid. 641, obs. A. Dionisi-Peyrusse
■ Convention européenne des droits de l’homme (Conv. EDH)
Art. 8. « Droit au respect de la vie privée et familiale. 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance.
2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui. »
Art. 14. « Interdiction de discrimination. La jouissance des droits et libertés reconnus dans la présente Convention doit être assurée, sans distinction aucune, fondée notamment sur le sexe, la race, la couleur, la langue, la religion, les opinions politiques ou toutes autres opinions, l'origine nationale ou sociale, l'appartenance à une minorité nationale, la fortune, la naissance ou toute autre situation. »
■ Convention de New York du 26 janvier 1990, relative aux droits de l'enfant (CIDE)
Art. 3, § 1er. « 1. Dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu'elles soient le fait des institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l'intérêt supérieur de l'enfant doit être une considération primordiale. »
Art. 7, § 1er. « 1. L'enfant est enregistré aussitôt sa naissance et a dès celle-ci le droit à un nom, le droit d'acquérir une nationalité et, dans la mesure du possible, le droit de connaître ses parents et d'être élevé par eux. »
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