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[ 5 juillet 2021 ] Imprimer

Droit des sûretés et de la publicité foncière

Unilatéral, le cautionnement ne nécessite pas de double original

Le cautionnement étant un contrat unilatéral, un seul exemplaire original est requis. Dès lors, à la seule condition que la mention manuscrite prévue par l’article L. 331-1 du Code de la consommation y figure, le contrat de cautionnement est valable, quand bien même la caution détiendrait un autre exemplaire dans lequel la même mention est irrégulièrement apposée.

Com. 2 juin 2021, n° 20-10.690

En principe, l’acte sous signature privée, dès lors qu’il est signé, n’est soumis à aucune condition de forme. Seuls certains actes sous seing privé sont soumis à des formalités spéciales. Celles-ci se déclinent principalement en deux règles de forme, qui se trouvaient au cœur de l’arrêt rapporté : la « formalité du double », applicable aux conventions synallagmatiques, et l’exigence d’une mention manuscrite à laquelle sont soumis les actes unilatéraux contenant l’engagement de payer une somme d’argent. C’est à propos de l’un de ces actes, le contrat de cautionnement, que la Cour de cassation vient ici rappeler le sens et la raison d’être de ces exigences particulières à certains écrits, prévues à la fois par le droit commun et par le droit spécial de la consommation mais selon un régime distinct. 

En l’espèce, par un acte sous signature privée, une banque avait accordé à une EURL un prêt, garanti par le cautionnement d’une personne physique, l’engagement de celle-ci ayant été acté dans une annexe au contrat de prêt, le tout ayant été dressé en deux exemplaires originaux remis à la banque pour le premier, à la caution pour le second. Après que la société, débitrice principale, eut été mise en redressement puis en liquidation judiciaires, la banque avait obtenu une ordonnance d’injonction de payer contre la caution, à laquelle celle-ci avait formé opposition, excipant de l’irrégularité de la mention manuscrite de son contrat de cautionnement. La cour d’appel lui donna gain de cause : elle anéantit l’ordonnance et prononçât la nullité du contrat de cautionnement, après avoir relevé qu’il contenait une mention manuscrite non conforme au formalisme alors prévu par l’article L. 341-2 du Code de la consommation (devenu l’art. L. 331-1 à la faveur de l’ord. n° 2016-301 du 14 mars 2016 relative à la partie législative du code de la consommation), en ce que le terme « caution » en avait été omis, et que cette méconnaissance de la formule légale empêchait l’exacte appréciation du sens et de la portée de la mention manuscrite par celui l’ayant souscrite. La juridiction du second degré jugea également indifférent le fait que la banque détenait un autre exemplaire du contrat conforme, cette fois, à la mention légale, dont il reproduisait l’intégralité des termes. En effet, dès lors que la mention manuscrite était lacunaire sur l’un des deux exemplaires, cette divergence avec la mention légale, déterminante du consentement de la caution, aurait empêché celle-ci d’apprécier avec exactitude la nature et la teneur de son engagement. La banque se pourvut alors en cassation, avec succès, l’arrêt étant censuré par la chambre commerciale au visa de l’article L. 341-2 du Code de la consommation, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l’ordonnance du 14 mars 2016 : après avoir rappelé le contenu de cette mention, les hauts magistrats considèrent qu’« En statuant ainsi, alors que, le cautionnement étant un contrat unilatéral, un seul original était requis et que (la caution) ne contestait pas avoir écrit de sa main les mentions conformes aux prescriptions légales sur l’exemplaire original détenu par le créancier, la cour d’appel a violé le texte susvisé » (pt 10).

En droit, la solution ne peut qu’être approuvée : acquise, l’unilatéralité ici rappelée du contrat de cautionnement, que l’ampleur du devoir d’information mis à la charge du créancier tempère sans aboutir toutefois à renouveler sa qualification (v. sur ce point, M. Séjean, La bilatéralisation du cautionnement? Le caractère unilatéral du cautionnement à l'épreuve des nouvelles contraintes du créancierpréf. D. Houtcieff, Bibl. dr. privé, t. 528, LGDJ, 2011), le soustrait à la règle dite du double original, prévue par l’article 1375 du Code civil, dans sa rédaction issue de l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 portant réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations (anc. art. 1325). L’alinéa 1er de ce texte prévoit en effet que « L’acte sous signature privée qui constate un contrat synallagmatique (c’est nous qui soulignons) ne fait preuve que s’il a été fait en autant d’originaux qu’il y a de parties ayant un intérêt distinct, à moins que les parties ne soient convenues de remettre à un tiers l’unique exemplaire dressé ».

Cette « formalité du double » vise à permettre à chaque partie au contrat de pouvoir rapporter la preuve de son existence. Chaque contractant doit alors détenir un exemplaire original du contrat (F. Terré, P. Simler, Y. Lequette et F. Chénedé, Doit civil. Les obligations, 12e éd., Dalloz, 2018, n° 1851).

Si le contrat est, tel qu’en l’espèce, unilatéral, cette exigence n’a plus de sens. Toutefois, le contrat unilatéral peut également se voir soumis à un formalisme spécifique. En effet, outre la formalité du double, l’acte sous signature privée doit dans certains cas respecter une autre formalité : l’exigence d’une mention manuscrite. Ainsi, s’il contient un engagement unilatéral de payer une somme d’argent ou celui de livrer une chose fongible, l’acte sous signature privée doit comporter la mention écrite par celui qui s’engage « de la somme ou de la quantité en toutes lettres et en chiffres » (C. civ., art. 1376, anc. art. 1326). Cette exigence vise à protéger la personne qui s’engage en lui faisant prendre conscience de la gravité de son engagement et à éviter les risques d’abus liés aux engagements souscrits « en blanc ». Ainsi, le cautionnement obéit-il à ce formalisme probatoire de droit commun. Toutefois, celui-ci n’occupe en droit positif qu’une place résiduelle depuis la consécration, par le droit de la consommation, d’un formalisme ad validitatem, dont le présent arrêt offre une nouvelle illustration (v. P. Simler et P. Delebecque,Droit civil. Les sûretés, la publicité foncière,  Dalloz, 2016, n° 138, p. 136). Sur le terrain du droit spécial de la consommation, la mention manuscrite est donc requise à peine de nullité du contrat : le créancier doit donc détenir un original comportant une mention manuscrite conforme à la loi consumériste. Nécessaire, cette exigence est cependant suffisante : l’apposition d’une mention manuscrite régulière sur un seul exemplaire original du contrat suffit à la validité du contrat : unilatéral, il ne nécessite pas de double original. Peu importait donc, en l’espèce, la détention par la caution d’un autre exemplaire entaché d’une mention irrégulière. Justifiée en droit, la solution est ainsi également opportune, en ce qu’elle permet de dissuader la caution tentée de contourner le formalisme requis au sein de son propre exemplaire du contrat, d’agir ainsi frauduleusement (sur la lutte croissante contre la fraude menée en droit du cautionnement par la Cour de cassation, v. Com. 5 mai 2021, n° 19-21.468 ; Com. 24 mars 2021, n° 19-20.033).

La solution ne doit toutefois pas conduire à occulter l’intérêt de la caution à détenir un propre exemplaire de son contrat, d’autant moins que la pratique révèle qu’elle en est souvent dépourvue. Cette absence de remise à la caution d’un exemplaire du contrat est regrettable, car elle se traduit fréquemment par l’oubli par la caution de son engagement, qui omet dès lors d’inciter le débiteur principal à s’exécuter et de prendre elle-même des mesures pour être solvables en cas d’appel en paiement (M. Bourassin et V. Brémond, Droit des sûretés, 7e éd., Sirey, 2019, n° 241, p. 167). Centré sur un formalisme informatif dont la méticulosité est parfois jugée exagérée, le législateur ignore ce phénomène dont l’incidence sur la prise de conscience par la caution des enjeux de son engagement, que ce dernier cherche précisément à garantir, se révèle pourtant déterminante. Et le droit prospectif reste silencieux sur ce point, l’avant-projet d’ordonnance daté du 18 décembre 2020 ne proposant aucune règle nouvelle à ce sujet, alors même que la réforme engagée a notamment pour but de « réformer le droit du cautionnement, afin de rendre son régime plus lisible et d’en améliorer l’efficacité, tout en assurant la protection de la caution personne physique » (Loi du 22 mai 2019 relative à la croissance et la transformation des entreprises, n° 2019-486, art. 60, I, 1°).

Références :

■ Com. 5 mai 2021, n° 19-21.468 P: DAE, 2 juin 2021, note Merryl Hervieu, D. 2021. 900

■ Com. 24 mars 2021, n° 19-20.033 P: DAE, 26 avril 2021, note Meryl Hervieu, D. 2021. 696 ; RTD civ. 2021. 410, obs. H. Barbier

 

Auteur :Merryl Hervieu


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