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Droit pénal général
Urgence écologique et état de nécessité
La justification tirée de l’état de nécessité (M. Danti-juan, V° Rép. Pén. Dalloz, Etat de nécessité, déc. 2020) suppose que la réalisation d’une infraction soit le seul moyen d’éviter le danger. Ne relève pas d’un acte nécessaire à la sauvegarde de l’écosystème le décrochage des portraits du président de la République dans plusieurs mairies pour alerter les pouvoirs et l’opinion sur l’insuffisante action du politique. Par ailleurs, dès lors que n’est pas avérée la nécessité de l’acte, il n’est pas nécessaire de rechercher la proportionnalité entre les moyens employés et la gravité de la menace.
Crim. 22 sept. 2021, n° 20-80.489 et n° 20-85.434
Dans le cadre d’une opération militante, plusieurs individus ont dérobé les portraits du Président de la République de différentes mairies (E. Dreyer, « Décrochage d’un portrait présidentiel : vol ou expression d’une opinion ? », Légipresse 2020, p. 680). Les uns y ont substitué une affiche représentant sa silhouette avec la formule « urgence sociale et climatique – où est Macron ? », les autres, déployé une banderole portant l’inscription « climat justice sociale sortons Macron ». Destinée à interpeller les pouvoirs publics et l’opinion sur la nécessité de rattraper le retard pris dans la mise en œuvre des mesures permettant d’atteindre les objectifs fixés par les engagements de la France en matière de lutte contre le dérèglement climatique, leur action a fait l’objet de poursuites pénales notamment pour les infractions de vols aggravés ou de complicité de vols.
En première instance, les juridictions de Bordeaux et Bourg-en-Bresse ont condamné les prévenus des chefs de vols aggravés par la réunion ou complicité de vol (T. corr. Lyon, 16 sept. 2019).
Les cours d’appel saisies ont confirmé les jugements rendus et rejeté toutes deux l’exception tirée de l’état de nécessité. L’article 122-7 du Code pénal exclut la responsabilité pénale de la personne qui accomplit un acte nécessaire à la sauvegarde de la personne ou d’un bien menacé par un danger actuel ou imminent, sous réserve que les moyens employés soient proportionnés à la gravité de la menace.
L’état de nécessité suppose donc la réunion de conditions inhérentes tant au danger à éviter qu’à l’action menée pour y faire face qui doit être nécessaire et proportionnée.
Si la première cour d’appel reconnaît l’existence du danger allégué affirmant que l’impact sur l’environnement du réchauffement climatique planétaire peut être considéré comme un danger actuel ou un péril imminent, tel n’est pas le cas de la seconde. Toutes deux s’accordent néanmoins à exclure l’état de nécessité.
Au titre du premier arrêt, la cour d’appel considère que si l’impact du réchauffement climatique peut être considéré comme un danger actuel ou un péril imminent pour la communauté humaine, la preuve n’est pas rapportée que l’acte reproché ait constitué un acte non seulement nécessaire à la sauvegarde des personnes au sens de l’article 122-7 du Code pénal mais également indispensable à mettre en œuvre pour éviter la réalisation du péril.
Au titre du second, la cour d'appel estime, à supposer qu’il existe un danger actuel ou imminent résultant de l’urgence climatique, qu’il n’existe aucun élément permettant de considérer que le vol des portraits du Président permette de sauvegarder les prévenus du danger qu’ils dénoncent.
Plusieurs arguments viennent au soutien des pourvois qui reprochent aux juges du fond d’avoir écarté l’état de nécessité.
Les pourvois ont de commun de contester l’appréciation de la nécessité à laquelle se sont livrées les cours d’appel. Il est ainsi avancé que le caractère nécessaire de l’action doit s’apprécier en tenant compte de la proportionnalité des moyens mis en œuvre et de leurs effets. Dès lors, en exigeant que l’acte soit le dernier recours et la seule chose à entreprendre pour éviter la réalisation du péril en ne tenant pas compte de la nature des moyens employés, la cour d’appel aurait procédé à une mauvaise application de l’article 122-7. Il est d’autre part (moyen développé au titre du premier arrêt) reproché à la cour d'appel d’avoir écarté le caractère nécessaire de l’action sur le fondement de ce que d’autres types d’actions, notamment politiques ou juridictionnelles, étaient à la disposition des prévenus pour dénoncer la carence des autorités publiques. Le pourvoi reproche ici à la cour de n’avoir pas recherché si le retard accumulé dans la mise en œuvre des mesures environnementales en dépit d’actions politiques ou juridiques engagées n’était pas de nature à traduire la nécessité de les compléter par des actions symboliques. En outre, l’un des moyens du second arrêt reproche à la cour d’appel d’avoir statué sur le caractère nécessaire de l’acte accompli sans avoir pris le soin, au préalable, de se prononcer sur l’existence et les caractéristiques du danger allégué.
La Cour de cassation rejette l’ensemble des pourvois et approuve, dans ces deux arrêts, le raisonnement des cours d’appel considérant qu’« il n’était pas démontré que la commission d’une infraction était le seul moyen d’éviter un péril actuel ou imminent ». Si la lecture ainsi confirmée des conditions de l’état de nécessité relève d’une interprétation classique de la Cour de cassation, l’on peut néanmoins relever deux particularités.
En premier lieu, l’état de nécessité écologique énoncé en appel dans le premier arrêt n’est pas remis en cause par la Cour de cassation qui a pu rejeter une telle qualification dans un arrêt récent.
En second lieu, le pourvoi tenant à la proportionnalité de l’incrimination mise en perspective avec la liberté d’expression telle que protégée par l’article 10 de la Conv. EDH est retenu dans le second arrêt.
Ainsi, la Cour de cassation confirme l’impérieux besoin, pour les juges du fond, d’effectuer un contrôle de proportionnalité lorsqu’ils en sont saisis. Elle confirme ce faisant l’analyse selon laquelle « l’incrimination d’un comportement constitutif d’une infraction pénale peut, dans certaines circonstances, constituer une ingérence disproportionnée dans l’exercice de la liberté d’expression, compte tenu de la nature et du contexte de l’agissement en cause » (Crim. 26 févr. 2020, n° 19-81.827).
Références :
■ T. corr. Lyon, 16 sept. 2019: DAE, 23 sept. 2019, note. Maëlle Harscouët de Keravel
■ Crim. 26 févr. 2020, n° 19-81.827 P: D. 2020. 438 ; ibid. 2367, obs. G. Roujou de Boubée, C. Ginestet, M.-H. Gozzi, S. Mirabail et E. Tricoire ; ibid. 2021. 863, obs. RÉGINE ; AJ pénal 2020. 247, étude J.-B. Thierry ; Légipresse 2020. 148 et les obs. ; ibid. 233, étude L. François ; ibid. 2021. 112, étude E. Tordjman et O. Lévy ; RSC 2020. 307, obs. Y. Mayaud ; ibid. 909, obs. X. Pin
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