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[ 13 janvier 2020 ] Imprimer

Droit de la consommation

Vente immobilière : la faculté de rétractation n’est plus réservée au consommateur

Les parties peuvent conférer contractuellement à un acquéreur professionnel la faculté de rétractation prévue par l’article L. 271-1 du Code de la construction et de l’habitation au profit de l’acheteur profane.

Par acte sous seing privé, une société spécialisée dans l’immobilier avait promis à un couple de particuliers d’acheter une maison d’habitation. Trois semaines plus tard, elle avait exercé la faculté de rétractation qu’une stipulation du contrat de promesse lui avait expressément reconnue. Soutenant qu’en sa qualité de professionnel, la société n’avait pu valablement se rétracter, les bénéficiaires l’avaient assigné en paiement de la clause pénale également stipulée au contrat. 

Leur demande fut rejetée en appel, la rétractation exercée l’ayant été conformément aux termes de la stipulation convenue. 

Au soutien de leur pourvoi en cassation, le couple fit d’abord valoir le caractère d’ordre public de l’article L. 271-1 du Code de la construction et de l’habitation, qui se trouvait au cœur du litige et selon lequel l'acquéreur non-professionnel d'un immeuble à usage d'habitation peut se rétracter dans un délai de dix jours à compter du lendemain de la première présentation de la lettre lui notifiant l'acte. Protégeant le seul acheteur profane, ce texte, auquel il est impossible de déroger, priverait dès lors d’effet la clause litigieuse, d’autant plus que cette clause, analysée à tort par les juges d’appel comme exprimant leur volonté d’étendre la protection offerte par la loi à leur cocontractant, quoique professionnel, devait être regardée comme une simple clause de style, procédant du seul rappel des dispositions légales relatives au droit de rétractation de l’acquéreur, celui-ci ayant en outre été expressément qualifié, dans l’acte, de « non-professionnel ». 

La Haute cour devait ainsi principalement répondre à la question de savoir si les parties peuvent contractuellement conférer à un acheteur professionnel la faculté de rétractation reconnue à l’article L. 271-1 du Code de la construction et de l’habitation au seul acquéreur profane. A cette question, elle répond par l’affirmative, et rejette en conséquence le pourvoi. Consacrant la liberté des parties de s’affranchir du texte de l’article L. 271-1 du Code de la construction et de l’habitation pour étendre son champ d’application à un acquéreur professionnel, elle affirme qu’après avoir recherché l’intention des parties, les juges du fond en ont déduit que celles-ci avaient bien entendu exercé cette faculté : ayant retenu qu’en dépit de la qualité de professionnel de l’immobilier de l’acheteur, les vendeurs avaient sciemment accepté la clause négociée par laquelle ils avaient donné, en accord avec ce dernier, mandat exprès au notaire de lui notifier son droit de rétractation tel qu’il est prévu à l’article précité, puis retenu que les vendeurs ne justifiaient d’aucune erreur sur l’objet social de l’acheteur ni dans les conditions de négociation ou de signature propres à établir qu’ils n’auraient pas négocié les termes du contrat, pas plus qu’ils ne démontraient que la clause litigieuse était une clause de style et qu’enfin, les termes « acquéreur non-professionnel » figurant dans la clause litigieuse devaient être lus comme exprimant la volonté des parties de conférer un droit de rétractation à l’acquéreur, clairement identifié dans l’acte comme étant professionnel. Les vendeurs ne pouvaient en conséquence contester le droit de rétractation qu’ils avaient sans équivoque contractuellement conféré à l’acquéreur.

Cette décision confirme et prolonge le mouvement d’extension aux professionnels des dispositions légales protectrices, à l’origine, des seuls consommateurs. Ce mouvement, qui ne cesse de croître sous l’influence conjuguée de la loi et de la jurisprudence, est également soutenu par les contractants eux-mêmes, comme en témoigne cette affaire, dans laquelle les parties s’étaient librement entendues pour conférer à l’une d’entre elles, malgré sa qualité de professionnel, un droit de rétractation que la loi réserve aux seuls acheteurs profanes. Les juges ne s’y opposent pas, considérant comme supplétif de volonté le texte de l’article L. 271-1 du Code de la construction et de l’habitation. Alors que dans un arrêt rendu le 24 octobre 2012, la Cour de cassation avait refusé de rendre éligible à la protection instaurée par ce texte une SCI, considérant qu’eu égard à son objet social, cette dernière ne pouvait être considérée comme un acquéreur non professionnel (Civ. 3e, 24 oct. 2012, n° 11-18.774), en l’espèce, la qualité de professionnel de l’acquéreur n’était pas discutée. Seule se trouvait donc posée la question du caractère impératif ou supplétif du texte, à laquelle une réponse ferme et sans équivoque est apportée par la Cour : une clause peut valablement stipuler une faculté de rétractation similaire à celle de l’article L. 271-1 du Code de la construction et de l’habitation au profit de l’acquéreur, bien qu’il soit un professionnel. 

On savait les professionnels, personnes physiques (L. du 10 janv. 1978, anc. art. 35 ; L. 1er févr. 1995 ; C. consom., anc. art. L. 132-1L. 212-1 nouv.) ou morales (Civ. 1re, 15 mars 2005, n° 02-13.285 ; contra CJCE 22 nov. 2001, C-541/99 et C-542/99 ; v. pour une dernière application, Civ. 3e, 17 oct. 2019, n° 18-18.469), protégées contre les clauses abusives à la fois par le droit de la consommation et, plus récemment, par le droit de la concurrence (C. com., art. L. 442-6 : « Engage la responsabilité de son auteur et l’oblige à réparer le préjudice causé par le fait, par tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers : (…) De soumettre ou de tenter de soumettre un partenaire commercial à des obligations créant un déséquilibre significatif entre les droits et les obligations des parties »). Soumise naturellement à conditions (le rapport direct liant l’acte conclu à la profession exercée en droit de la consommation, la soumission effective ou d’intention d’un partenaire commercial et l’effet restrictif de concurrence qui en résulte en droit des pratiques anticoncurrentielles), cette protection contre l’abus des professionnels, dans leurs rapports respectifs, n’en demeure pas moins effective. Progressive et croissante, cette extension du champ d’application des dispositions relatives à l’élimination des clauses abusives aux contrats conclus entre professionnels est traditionnellement justifiée par le constat que certains d’entre eux contractent pour les besoins de leur profession, mais en dehors de leur champ habituel d’intervention ou sans pouvoir de négociation du contenu du contrat en raison de leur état de dépendance économique, et sont de ce fait placés dans une situation de faiblesse justifiant une protection similaire à celle dont bénéficient les consommateurs. 

L’on sait désormais que même le professionnel personne morale, sans faiblesse concrète ni présumée, peut être également protégé par la loi consumériste, à la seule condition que son cocontractant, même profane, y consente. Il en résulte un nouvel élargissement du champ d’application du droit de la consommation, déjà très large compte tenu de la diversité de ses domaines d’intervention (vente de denrées ou de produits de consommation, construction, banque, assurance, voyage, téléphonie, etc.), des codes contenant ses dispositions (C. consom., CCH, C. com., etc.) et de la souplesse grandissante conférée à son critère originel d’intervention, résidant dans l’opposition du professionnel au consommateur, auquel peut être assimilé le professionnel en situation de faiblesse. Bien que le droit de la consommation soit traditionnellement considéré comme édictant des règles qui s’ajoutent ou dérogent au droit commun contractuel, il semblerait qu’il constitue désormais, au regard de sa fréquence et de son potentiel d’application, une forme de droit commun alternatif, sinon concurrent à celui ainsi habituellement désigné, des relations contractuelles (comp., pour la rétractation prévue en droit commun, le nouvel art. 1124, al. 2).

Civ. 3e, 5 déc. 2019, n° 18-24.152

Références

■ Civ. 3e, 24 oct. 2012, n° 11-18.774 P : D. 2013. 280, obs. S. Colmant, note C. Blanchard ; ibid. 391, obs. S. Amrani-Mekki et M. Mekki ; ibid. 945, obs. H. Aubry, E. Poillot et N. Sauphanor-Brouillaud ; AJDI 2013. 374, obs. F. Cohet-Cordey ; RTD com. 2013. 106, obs. M.-H. Monsèrié-Bon

■ Civ. 1re, 15 mars 2005, n° 02-13.285 P : D. 2005. 1948, note A. Boujeka ; ibid. 887, obs. C. Rondey ; ibid. 2836, obs. S. Amrani-Mekki et B. Fauvarque-Cosson ; RTD civ. 2005. 393, obs. J. Mestre et B. Fages ; RTD com. 2005. 401, obs. D. Legeais ; ibid. 2006. 182, obs. B. Bouloc ; Rev. UE 2015. 434, étude P. Bourdon ; ibid. 473, étude B. Vincendeau

■ CJCE 22 nov. 2001, C-541/99 et C-542/99 : D. 2002. 90, obs. C. Rondey ; ibid. 2929, obs. J.-P. Pizzio ; RTD civ. 2002. 291, obs. J. Mestre et B. Fages ; ibid. 397, obs. J. Raynard ; RTD com. 2002. 404, obs. M. Luby ; Rev. UE 2015. 434, étude P. Bourdon

■ Civ. 3e, 17 oct. 2019, n° 18-18.469 P : Dalloz Actu Étudiant, 28 nov. 2019, obs. M. Hervieu ; D. 2019. 2331, note S. Tisseyre ; AJ Contrat 2019. 546, obs. Y. Picod

 

Auteur :Merryl Hervieu

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