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[ 22 septembre 2025 ] Imprimer

Libertés fondamentales - droits de l'homme

Vers la reconnaissance d’un droit à mourir ?

Le 27 mai dernier, l'Assemblée nationale a adopté en première lecture, à l'unanimité, la proposition de loi relative aux soins palliatifs et d'accompagnement. Puis, les députés ont adopté, toujours en première lecture, la proposition de loi relative au droit à l'aide à mourir. Cette dernière proposition tend à remettre en cause un principe essentiel du droit français, également prévu par une majorité de pays européens, selon lequel la mort n’est pas un droit. (v. A. Marais, Droit des personnes, Dalloz, 4e éd., n° 79s.)

La mort, droit ou liberté - En droit français, le suicide est une liberté : sa réalisation ou sa tentative ne saurait être sanctionnée tant qu’il reste un acte personnel effectué sans l’intervention d’un tiers. En principe, chacun est donc libre de se donner la mort, à la condition de ne demander de l’aide à personne pour y parvenir. En ce sens, toute action ou abstention d’un tiers dans le décès d’une personne par suicide est frappée de sanctions pénales (provocation au suicide : C. pén., art. 223-13 ; non-assistance à personne en péril : C. pén., art. 223-6).

Si la mort est une liberté, faut-il aller loin en en faisant l’objet d’un droit ? Cette évolution constituerait un changement de paradigme majeur. En effet, un droit subjectif confère à son titulaire une prérogative déterminée qu’il peut opposer à autrui. Faire de la mort un droit – un droit « à » mourir – conduirait ainsi à reconnaître à la personne la prérogative de demander à un tiers qu’il la tue, donc de consacrer une assistance au suicide ou, pour le dire directement, de légaliser l’euthanasie. 

Conv. EDH : absence de droit à l’aide à mourir - La Convention européenne des droits de l’homme ne reconnaît pas de droit à mourir. En vertu de son article 2, nul ne peut être privé intentionnellement de la vie. Les exceptions à cette interdiction ne mentionnent ni l'euthanasie ni le suicide médicalement assisté. C’est pourquoi la Cour européenne des droits de l’homme refuse de faire du « suicide assisté » un droit de l’homme. Dans l’affaire Pretty c. RU du 29 avril 2002 (req. n°2346/02), une ressortissante britannique, atteinte d’une maladie incurable dont elle est finalement décédée, demandait que son mari fût autorisé à lui donner la mort. Le Royaume-Uni qui interdit l’assistance au suicide refusait d’accéder à cette demande. Selon les juges européens, la législation britannique ne viole pas, ainsi, le droit à la vie protégé par l’article 2 de la Convention, dans la mesure où le droit à la vie n’a pas pour corollaire le droit de mourir. Autrement dit, ce texte ne saurait être interprété comme conférant un droit diamétralement opposé à celui qu’il consacre, à savoir un droit à mourir. Sur cette base, aucun pays n’est donc tenu de légaliser l’euthanasie. En l’absence de consensus européen et eu égard au caractère clivant du recours à l’aide médicale à mourir, soulevant des questions éthiques et morales extrêmement sensibles, cette liberté laissée aux États doit être approuvée. Observons à ce titre que si la plupart des États européens ont refusé de s’engager dans cette voie de la légalisation, certains ont franchi le cap : la Belgique, qui a dépénalisé l’euthanasie par une loi du 28 mai 2002 ; les Pays-Bas ayant créé, par une loi du 12 avril 2001, une excuse exonératoire de responsabilité pénale du médecin qui, à la demande du patient dont les souffrances sont intolérables et les perspectives d’amélioration nulles, fait le choix d’abréger ses souffrances ; plus récemment, la France, qui vient de reconnaitre un droit à l’aide à mourir, par recours à une substance létale, que la personne malade s’administre directement ou, si elle n’en a pas l’aptitude physique, se fait administrer par un médecin ou par un infirmier. Pour l’heure, l’aide médicale à mourir, qui englobe le suicide assisté et l'euthanasie volontaire, reste cependant interdite dans la majorité des États membres du Conseil de l’Europe. Dès lors, une interdiction, même générale et extraterritoriale, n’entraîne pas en soi une violation du droit au respect de la vie privée protégé à l’article 8 de la Conv. EDH (CEDH, 13 juin 2024, DK c./Hongrie, req. n° 35312/ 23). Rappelons que l’article 8 crée des obligations positives et négatives à la charge des États. Il s’agit de protéger, positivement et de ne pas porter atteinte, négativement, aux droits et libertés fondamentales consacrées par la Convention. Dans cette affaire, la Cour a appelé la nécessité incombant à l’État de protéger la dignité humaine du requérant. Si l’interdiction du recours à l’aide médicale à mourir n’était pas remis en cause, demeurait toutefois la question de savoir si au nom du principe de proportionnalité, un juste équilibre avait été ménagé entre les intérêts concurrents, en considérant la marge d’appréciation étatique. Or en l’espèce, la possibilité pour le requérant de bénéficier de soins palliatifs adéquats et de faire l’objet d’une sédation palliative pour soulager les souffrances liées à la fin de vie a conduit la Cour à conclure que les autorités nationales « n’ont manqué à aucune obligation positive pouvant découler de l’article 8 concernant les soins palliatifs » (pt. 158).

Cependant, concevant la Convention comme un instrument malléable qui doit s’interpréter à la lumière des évolutions sociales et normatives observées, en matière d’éthique médicale, dans l’espace européen et l’ordre international, la Cour européenne juge nécessaire de procéder à un réexamen constant de cette question (v. not. CEDH, 31 janv. 2023, Y. c/ France, req. n° 76888/17, § 91). Elle considère en ce sens que le droit à la vie ne peut pas être interprété comme interdisant en soi la dépénalisation conditionnelle de la « mort médicalement assistée » C’est ainsi que tout en maintenant l’absence de droit au suicide assisté ou à l’euthanasie,  la Cour de Strasbourg a plusieurs fois admis que le droit à la vie, au sens de l’article 2, n’interdit pas le recours à l’aide médicale à mourir, à la condition que celle-ci soit accompagnée de garanties appropriées et suffisantes pour prévenir les abus et assurer le respect du droit à la vie (CEDH, gd. ch. 5 juin 2015, Lambert et autres c/ France, req. n° 46043/14 ; 14 mai 2013, Gross c./Suisse, req. n° 67810/10).

Droit français : d’une liberté au droit à mourir. En droit français, la loi n° 2005-170 du 22 avril 2005 relative à la fin de vie, dite loi Leonetti, a autorisé le médecin à « laisser mourir » son patient en fin de vie, ie « en phase avancée ou terminale d’une affection grave et incurable, quelle qu’en soit la cause » (CSP, art. L.1111-10 abrogé), ce que certains appellent l’euthanasie passive. L’arrêt des soins vise à éviter l’obstination déraisonnable constitutive d’un acharnement thérapeutique. En revanche, demeurait prohibée l’administration par le médecin de substances mortifères dans le but de causer la mort du patient, soit l’euthanasie active, seule étant autorisée l’administration de soins destinés à soulager la souffrance.

Pour garantir à toute personne le « droit à une fin de vie digne et apaisée », la loi n° 2016-87 du 2 février 2016 créant de nouveaux droits en faveur des malades et des personnes en fin de vie, tout en précisant les modalités d’arrêt des soins en cas d’acharnement thérapeutique, a prévu que cet arrêt pouvait s’accompagner de l’administration d’une sédation profonde et continue jusqu’à la mort. Il ne s’agissait cependant pas de consacrer, par cette loi, « un droit à mourir », car la sédation ne tend pas à provoquer la mort. 

En revanche, la proposition de loi adoptée le 27 mai 2025 a franchi ce cap. Ce texte, voté par les députés par 305 voix pour et 199 voix contre, institue un droit à l'aide à mourir, consistant à autoriser et à accompagner une personne qui en a exprimé la demande à recourir à une substance létale, afin qu'elle se l'administre seule ou, si elle n’est pas physiquement en mesure d'y procéder, par un médecin ou par un infirmier. Ainsi se trouve consacrée une nouvelle forme d’euthanasie active par laquelle la personne malade elle-même au premier plan, et non par un tiers dont l’intervention est seulement prévue à titre subsidiaire, procède par une action positive à l’injection de substances létales dans le but de se donner la mort. 

Cinq critères d’éligibilité à ce droit sont cumulativement requis : être âgé d'au moins dix-huit ans ; être de nationalité française ou résider de façon stable et régulière en France ; être atteint d'une affection grave et incurable, quelle qu'en soit la cause, qui engage le pronostic vital, en phase avancée, caractérisée par l'entrée dans un processus irréversible marqué par l'aggravation de l'état de santé de la personne malade qui affecte sa qualité de vie, ou en phase terminale ; présenter une souffrance physique ou psychologique constante liée à cette affection, qui est soit réfractaire aux traitements, soit insupportable selon la personne lorsque celle-ci a choisi de ne pas recevoir ou d'arrêter de recevoir un traitement ; être apte à manifester sa volonté de façon libre et éclairée. 

Par ailleurs, un délit d'entrave à l'aide à mourir est créé bien qu’en parallèle, une clause de conscience soit instituée pour les professionnels de santé qui refuseraient de participer à la procédure d'aide à mourir.

Ainsi, la mort n’est-elle plus seulement une liberté. Elle devient un droit subjectif, comme le devient le droit « à » recevoir des soins palliatifs prévu par la seconde proposition de loi, complémentaire à celle ici présentée et adoptée le même jour. Visant à garantir l'égal accès de tous à l'accompagnement et aux soins palliatifs, le droit de bénéficier d'un accompagnement et de soins palliatifs, garanti à toute personne dont l'état de santé le requiert, devient un droit opposable : le malade, qui a demandé à bénéficier de soins palliatifs et qui ne les a pas reçus dans un certain délai (qui sera fixé par décret), pourra ainsi saisir le juge administratif afin que soit ordonnée en urgence sa prise en charge. Avec son accord, ce recours pourra être également formé par sa personne de confiance ou, à défaut, par un de ses proches.

Le Sénat examinera ces deux textes à compter de l’automne 2025.

Références :

■ CEDH, Pretty c. RU, 29 avr. 2002, req. n° 2346/02 : AJDA 2003. 1383, note B. Le Baut-Ferrarese ; D. 2002. 1596, et les obs. ; RDSS 2002. 475, note P. Pédrot ; RSC 2002. 645, obs. F. Massias ; RTD civ. 2002. 482, obs. J. Hauser ; ibid. 858, obs. J.-P. Marguénaud

■ CEDH, 13 juin 2024, DK c./Hongrie, req. n° 35312/ 23 DAE, 26 juin 2024, note Egehan Nalbant

■ CEDH, 31 janv. 2023, Y. c/ France, n° 76888/17 AJDA 2023. 1344, note C. Grossholz ; D. 2023. 239, et les obs. ; ibid. 400, point de vue B. Moron-Puech ; ibid. 2024. 891, obs. RÉGINE ; AJ fam. 2023. 168, obs. L. Brunet ; ibid. 70, obs. A. Dionisi-Peyrusse ; AJCT 2023. 376, obs. P. Jacquemoire ; RTD civ. 2023. 332, obs. J.-P. Marguénaud

■ CEDH, gd. ch. 5 juin 2015, Lambert et autres c/ France, n° 46043/14 : AJDA 2015. 1124 ; ibid. 1732, chron. L. Burgorgue-Larsen ; D. 2015. 1625, et les obs., note F. Vialla ; ibid. 2016. 752, obs. J.-C. Galloux et H. Gaumont-Prat ; AJ fam. 2015. 364, obs. A. Dionisi-Peyrusse

■ CEDH, 14 mai 2013, Gross c./Suisse, req. n° 67810/10 : AJDA 2015. 150, chron. L. Burgorgue-Larsen

 

Auteur :Merryl Hervieu


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