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[ 21 janvier 2020 ] Imprimer

Droit des obligations

Vice caché : une garantie limitée jusqu’au bout de la chaîne

La clause limitative de garantie des vices cachés est valable entre professionnels de même spécialité et dans le cadre d’une action directe, opposable au sous-acquéreur.

Pour les besoins de son activité, un exploitant forestier avait acquis une abatteuse ; trois ans après la vente, l’engin, qui se trouvait entreposé dans l’un des hangars appartenant à l’exploitant, avait pris feu, l’incendie survenu avait non seulement détruit l’abatteuse, mais également endommagé le bâtiment et divers équipements nécessaires à l’exploitation. Une expertise judiciaire avait établi que l'incendie avait été causé par un vice de conception de l’abatteuse. L’acquéreur avait alors assigné le vendeur ainsi que l’assureur de ce dernier en garantie des vices cachés. Ces derniers avaient appelé en garantie le fabricant de l’engin litigieux.

La cour d’appel prononça la résolution de la vente. Elle énonça que l’acquéreur peut jouir de la liberté que lui offre la loi (C. civ., art. 1644), en cas de vice caché, de demander ou non la résolution de la vente jusqu’à tant qu’il n’a pas été statué sur ses prétentions par une décision passée en force de chose jugée, ce qui était en l’espèce le cas. Elle condamna en conséquence le vendeur intermédiaire à restituer à l’acquéreur le prix de la vente, mais dans la limite d’une certaine somme, conformément à la clause limitative de la garantie des vices cachés stipulée au profit du fabricant dans le contrat originaire. 

Un pourvoi en cassation avait été formé. A titre principal, le vendeur et le fabricant contestaient par un premier moyen le prononcé de la résolution de la vente, considérant que cette demande de l’acheteur en résolution du contrat avait été nouvelle en cause d’appel. Par un second moyen, joint à celui, similaire, avancé au soutien du pourvoi incident formé par l'acquéreur, le vendeur et l’acheteur reprochaient à la juridiction d’appel d’avoir limité la condamnation du fabricant à la restitution du prix de vente et ainsi exclu du champ de sa garantie les autres dommages occasionnés par l’incendie, alors qu’en sa qualité de professionnel, un fabricant n'est pas en droit d'ignorer les défauts de la chose qu'il fabrique et ne peut donc en conséquence se prévaloir envers son revendeur comme auprès d’un sous-acquéreur, d'une clause limitant sa garantie des vices cachés. Ils soutenaient également qu’un fabricant ne peut opposer à un acheteur professionnel de même spécialité que lui une clause limitative de sa garantie des vices cachés qu'à la double condition que le premier ait ignoré le vice affectant la chose vendue et que le second ait pu raisonnablement déceler ce vice au moment de la vente. Or en l’espèce, le fabricant ne pouvait avoir ignoré le vice caché affectant la conception même de la machine vendue, alors que son acquéreur ne pouvait le déceler sans procéder à des investigations particulièrement étendues, de sorte que le fabricant, en sa qualité de vendeur initial, ne pouvait en l’espèce opposer la clause limitative de garantie ni au revendeur ni, a fortiori, au sous-acquéreur pour limiter son indemnisation. 

La Cour de cassation rejette ce pourvoi.

Concernant la résolution de la vente, la Cour de cassation confirme l’analyse des juges du fond qui avaient relevé qu’en première instance, l’acquéreur avait sollicité, au titre de la garantie des vices cachés, la condamnation du vendeur et du fabricant à réparer les conséquences du sinistre, ce dont ils ont déduit que tendant au mêmes fins, sa demande en résolution de la vente et en restitution du prix de vente, formée en conséquence de l’action en garantie des vices cachés et d’une demande complémentaire d’indemnisation du préjudice, était bien recevable en cause d'appel.

Concernant la limitation de garantie, la Haute juridiction rappelle que « le fabricant n’étant présumé connaître les vices affectant la chose vendue qu’à l’égard de l’acquéreur profane, une clause limitative ou exclusive de garantie des vices cachés est opposable à un acheteur professionnel de même spécialité que celui qui lui vend la chose, sauf pour le premier à rapporter la preuve que le second avait une connaissance effective du vice relevant de la mauvaise foi ». Or la cour d’appel avait relevé que le fabricant produisait des machines destinées aux exploitants forestiers et que le vendeur intermédiaire était spécialisé dans le commerce de ce type de matériels dont il assurait l’entretien. Ces deux sociétés étaient donc des professionnels de même spécialité. L’action engagée par l’acheteur final à l’encontre du fabricant étant de nature contractuelle, le fabricant était fondé à opposer les moyens de défense dont il pouvait se prévaloir envers le vendeur intermédiaire. Ainsi la « clause limitative de garantie devait recevoir application dans les rapports entre le fabricant, le vendeur et l’acquéreur ».

De même que le droit de la consommation prive le vendeur professionnel d’aménager conventionnellement la garantie des vices cachés dont il est tenu à l’égard de l’acheteur profane, en raison de la présomption irréfragable de sa connaissance des vices de ce type (C. consom., art. L. 212-1), le droit commun lui interdit également, par principe, de limiter ou d’éluder sa garantie, même lorsqu’il contracte avec un acheteur professionnel, puisqu’il reste présumé avoir connu les vices de la chose vendue. Ainsi, quelle que soit la qualité de son cocontractant, le vendeur professionnel n’est pas en droit d’ignorer les vices de la chose vendue, même à un professionnel (Com. 27 nov. 1991, n° 89-19.546 ; Civ. 2e, 30 mars 2000, n° 98-15.286). Tenu de les connaître, il ne peut dès lors se prévaloir d’une clause limitative ou élusive de sa garantie des vices cachés (Civ. 3e, 3 janv. 1984, n° 81-14.326 ; Com. 4 juin 1969; Civ.1re, 5 mai 1982, n° 81-10.315). Celle-ci sera par principe considérée comme abusive, même en droit commun car le déséquilibre condamné par le droit de la consommation demeure ; seule sa source change : le déséquilibre n’est plus économique, il est technique. La perte du bénéfice des clauses d’aménagement conventionnel de la garantie est donc, en droit commun comme en droit spécial, érigée en règle de principe.

Cette règle est néanmoins assortie d’une exception, traditionnelle, celle de la validité des clauses restrictives ou élusives de la garantie lorsque l’acheteur professionnel est de même spécialité que le vendeur (Com. 6 nov. 1978, n° 76-15.037; Civ. 3e, 30 juin 2016, n° 14-28.839). En effet, dans cette hypothèse, l’argument né de la disparité de compétence technique entre les contractants ne vaut plus (Civ. 1re, 21 juill. 1987, n° 84-15.987; Com. 22 juin 1993, n° 91-13.598 Com. 19 mars 2013, n° 11-26.566). En conséquence, la présomption de connaissance du vice, au lieu d’être d’irréfragable, est simple : elle peut donc être renversée par la preuve contraire, plus précisément par celle, incombant au vendeur, que le vice était indécelable ; or en l’espèce, les juges ont retenu que « La simple ouverture du capot du compartiment moteur permettait de constater un enchevêtrement de câbles et de tuyaux révélant, pour un professionnel, une conception très spécifique ». Cette perceptibilité du vice, conjuguée à l’identité de spécialité des contractants, souverainement appréciée en appel, des principaux contractants, rendait la clause litigieuse valablement opposable par le fabricant à son acheteur. 

La décision rapportée souligne surtout l’étendue du champ de l’exception, également appelée à jouer dans le cadre d’une action directe, en l’occurrence, en cas de ventes successives du bien vicié à l’intérieur d’une chaîne appelée homogène (conclusion successive de contrats de même nature, en l’espèce, vente suivie d’une revente). Sur le fondement de la théorie de l’accessoire, l’action en garantie transmise aux acquéreurs successifs d’un bien a une nature nécessairement contractuelle, chacun des acquéreurs de la chose, en sa qualité d’ayant-cause, jouissant  de tous les droits et actions attachés à la chose qui appartenaient à son auteur (Civ. 1re, 9 oct. 1979, n° 78-12.502). S’il dispose d'une action contractuelle directe à l'encontre du fabricant de la chose vendue, au titre de la garantie des vices cachés, le sous-acquéreur peut alors, selon la même logique, se voir opposer par ce fabricant, en sa qualité de vendeur initial ou originaire du bien, tous les moyens de défense que ce dernier peut opposer à son propre cocontractant en sorte qu’en l’espèce le fabricant, qui pouvait valablement se prévaloir de la limitation de sa garantie envers le revendeur, pouvait tout autant l’opposer au sous-acquéreur, l’acheteur final. Il est enfin important de relever que la Cour semble ici s’inscrire dans une approche, encore discutée, plutôt favorable à une appréciation de l’identité de spécialité limitée au vendeur originaire et à son cocontractant, les termes de son dernier attendu de solution, dont la conclusion paraît s’imposer d’elle-même, ne traduisant pas la nécessité de rechercher l’identité de spécialité professionnelle de l’ensemble des parties à l’action directe ; autrement dit, celle du sous-acquéreur serait, sinon indifférente, du moins non déterminante.

Civ. 1re, 27 nov. 2019, n°18-18.402

Références

■ Fiches d’orientation Dalloz : Garantie des vices cachés

■ Com. 27 nov. 1991, n° 89-19.546: RTD com. 1992. 664, obs. B. Bouloc

■ Civ. 2e, 30 mars 2000, n° 98-15.286: D. 2000. 132 ; RDI 2000. 349, obs. P. Malinvaud

■ Civ. 3e, 3 janv. 1984, n° 81-14.326: P 

■ Com. 4 juin 1969 P: D. 1970. 51

■ Civ. 1re, 5 mai 1982, n° 81-10.315 P

■ Com. 6 nov. 1978, n° 76-15.037

■ Civ. 3e, 30 juin 2016, n° 14-28.839 P: D. 2016. 1499 ; AJDI 2017. 58, obs. F. Cohet

■ Civ. 1re, 21 juill. 1987, n° 84-15.987

■ Com. 22 juin 1993, n° 91-13.598: RTD com. 1994. 342, obs. B. Bouloc

■ Com. 19 mars 2013, n° 11-26.566 P: Dalloz Actu Étudiant, 5 avr. 2013; D. 2013. 1947, obs. X. Delpech, note A. Hontebeyrie ; RDI 2014. 112, obs. P. Malinvaud ; RTD com. 2013. 323, obs. B. Bouloc

■ Civ. 1re, 9 oct. 1979, n° 78-12.502 P

 

Auteur :Merryl Hervieu


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