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Procédure pénale
Arrêts d’assises : des questions précises peuvent compenser une motivation laconique
Mots-clefs : Cour d’assises, Verdict, Motivation, Questions, Jury, Appel, Double degré de juridiction, Droit à un procès équitable
Par un arrêt de Grande chambre du 16 novembre 2010, la Cour européenne des droits de l’homme condamne la Belgique dans l’affaire Taxquet ; elle ne censure pas la « motivation » des arrêts d’assises telle que nous la connaissons en France, considérée comme conforme à la Convention si les questions posées au jury ont permis à l’accusé de comprendre le verdict.
À l’instar de l’arrêt Medvedyev (v. Dalloz Actu Étudiant 8 avril 2010) qui touchait directement la France, l’arrêt de Grande chambre rendu dans l’affaire Taxquet, parce qu’il risquait de remettre en cause le jury d’assises « à la française », était des plus attendus. Par un arrêt de chambre du 13 janvier 2009, la Cour de Strasbourg avait déjà condamné la Belgique dans cette affaire pour violation du droit à un procès équitable au sens de l’article 6, § 1 de la Convention, en raison de la formulation, trop vague et trop générale, des questions posées au jury, qui n’avait pas permis au requérant de connaître les motifs de sa condamnation.
Dans son arrêt de Grande chambre, la Cour européenne indique qu’elle n’est pas là pour remettre en cause l’institution du jury populaire mais pour « rechercher si la voie suivie a conduit, dans un litige déterminé, à des résultats compatibles avec la Convention, eu égard également aux circonstances spécifiques de l'affaire, à sa nature et à sa complexité », en d’autres termes, pour « examiner si la procédure a revêtu, dans son ensemble, un caractère équitable » (§ 84 ; v. CEDH 16 déc. 1992, Edwards c. Royaume-Uni ; 23 févr. 1994, Stanford c. Royaume-Uni). Elle précise encore que sa jurisprudence « ne requiert pas que les jurés donnent les raisons de leur décision », l’article 6 exigeant seulement que le public et, au premier chef, l’accusé soit à même de comprendre le verdict qui a été rendu (§ 90 ; v. CEDH 19 oct. 2005, Roche c. Royaume-Uni [GC] ; 1er juill. 2003, Suominen c. Finlande ; 22 févr. 2007, Tatichvili c. Russie). Ainsi, devant les cours d’assises avec participation d’un jury populaire, il convient simplement de « rechercher si l'accusé a pu bénéficier des garanties suffisantes de nature à écarter tout risque d'arbitraire et à lui permettre de comprendre les raisons de sa condamnation » (§ 92), qui peuvent consister en des « instructions ou éclaircissements donnés par le président de la cour d'assises aux jurés quant aux problèmes juridiques posés ou aux éléments de preuve produits », ou des « questions précises, non équivoques soumises au jury par ce magistrat, de nature à former une trame apte à servir de fondement au verdict ou à compenser adéquatement l'absence de motivation des réponses du jury » (v. CEDH 15 nov. 2001, Papon c. France).
En l’espèce, le requérant, accusé d’assassinat d’un ministre d'État et tentative d'assassinat sur la compagne de celui-ci, dénonçait non seulement l'absence de motivation du verdict de culpabilité mais encore l'impossibilité de faire appel de la décision rendue. Appliquant les principes évoqués, la Cour note que « ni l'acte d'accusation ni les questions posées au jury ne comportaient des informations suffisantes quant à son implication dans la commission des infractions qui lui étaient reprochées » (§ 94). S’agissant, en particulier, des questions posées par le président au jury, elle relève que seules 4 d’entre elles (sur 32) visaient le requérant, qu’elles étaient « laconiques et identiques pour tous les accusés », et qu’elles ne mentionnaient « aucune circonstance concrète et particulière » (§ 96). Même combinées avec l'acte d'accusation, elles ne permettaient pas de savoir quels éléments de preuve et circonstances de fait, parmi tous ceux ayant été discutés durant le procès, avaient conduit les jurés à répondre par l'affirmative aux quatre questions concernant le requérant (§ 97).
La Cour estime que, dans ces conditions, « la présentation au jury de questions précises [et individualisées autant que possible] constituait une exigence indispensable » (§ 98). Relevant, par ailleurs, l’absence de toute possibilité d’appel contre les arrêts de la cour d’assises dans le système belge, elle conclut à la violation de l’article 6, § 1, le requérant n’ayant pas disposé de garanties suffisantes lui permettant de comprendre le verdict de condamnation (§ 100).
L’arrêt Taxquet, on le voit, ne sonne pas le glas du jury d’assises à la française, loin de là. Le système des questions posées au jury apparaît comme un premier indice de conventionnalité ; on rappellera simplement qu’au terme de l’article 349, alinéa 2, du Code de procédure pénale, une question est posée sur chaque fait spécifié dans le dispositif de la décision de mise en accusation (v. Rép. pén. Dalloz ; v. égal. la décision Papon, préc.). En outre, l’appel contre les arrêts d’assises est ouvert depuis la réforme du 15 juin 2000.
CEDH, gde ch., 16 nov. 2010, Taxquet c. Belgique, n° 926/05
Références
« Juridiction répressive compétente, en premier ressort ou en appel, pour juger les crimes. À raison d’une cour d’assises par département, elle est composée de deux catégories de membres délibérant ensemble : d’une part, trois magistrats professionnels qui forment la cour, d’autre part, des jurés de jugement non professionnels qui forment le jury, au nombre de neuf lorsque la cour d’assises statue en premier ressort et de douze lorsqu’elle statue en appel, tous étant désignés par tirages au sort à partir des listes électorales.
Il existe une formation spéciale de la cour d’assises dans le ressort de chaque cour d’appel, chargée de juger les crimes militaires, les crimes de droit commun commis dans l’exécution de leur service par les militaires lorsqu’il y a un risque de divulgation d’un secret de la défense nationale, certains crimes contre les intérêts fondamentaux de la nation, les actes de terrorisme, et, depuis la réforme du Code pénal, les crimes en matière de trafics de stupéfiants. Elle est composée d’un président, et de six ou huit assesseurs, selon qu’elle statue en premier ressort ou en appel, tous magistrats professionnels, ce qui en fait une cour d’assises sans jurés. »
« Le droit à un procès équitable constitue aujourd’hui la pierre angulaire des procédures juridictionnelles. Il faut l’entendre comme le droit à un procès équilibré entre toutes les parties (equus = équilibre) dont les principales manifestations, dans la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’Homme, sont : le droit à un recours effectif devant un tribunal; le droit à un tribunal indépendant et impartial; le droit à un procès public, respectant l’égalité des armes et conduisant à un jugement rendu dans un délai raisonnable; le droit à l’exécution effective de la décision obtenue.
Issu du droit naturel, le droit à un procès équitable est devenu un droit substantiel, la garantie de la garantie des droits. »
« Réponses données par la cour et le jury d’assises aux questions posées à la suite des débats. »
Lexique des termes juridiques 2011, 18e éd., Dalloz, 2010.
■ Article 6 § 1er de la Convention européenne des droits de l’homme – Droit à un procès équitable
« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable, par un tribunal indépendant et impartial, établi par la loi, qui décidera, soit des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil, soit du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle. Le jugement doit être rendu publiquement, mais l'accès de la salle d'audience peut être interdit à la presse et au public pendant la totalité ou une partie du procès dans l'intérêt de la moralité, de l'ordre public ou de la sécurité nationale dans une société démocratique, lorsque les intérêts des mineurs ou la protection de la vie privée des parties au procès l'exigent, ou dans la mesure jugée strictement nécessaire par le tribunal, lorsque dans des circonstances spéciales la publicité serait de nature à porter atteinte aux intérêts de la justice. »
■ Article 349 du Code de procédure pénale
« Chaque question principale est posée ainsi qu'il suit: “L'accusé est-il coupable d'avoir commis tel fait? ”
Une question est posée sur chaque fait spécifié dans le dispositif de la décision de mise en accusation.
Chaque circonstance aggravante fait l'objet d'une question distincte.
Il en est de même, lorsqu'elle est invoquée, de chaque cause légale d'exemption ou de diminution de la peine. »
■ CEDH 16 déc. 1992, Edwards c. Royaume-Uni, série A no 247-B.
■ CEDH 23 févr. 1994, Stanford c. Royaume-Uni, série A no 282-A.
■ CEDH, gde ch., 19 oct. 2005, Roche c. Royaume-Uni, no 32555/96, CEDH 2005-X.
■ CEDH 1er juill. 2003, Suominen c. Finlande, no 37801/97.
■ CEDH 22 févr. 2007, Tatichvili c. Russie, no 1509/02, CEDH 2007-III.
■ CEDH 15 nov. 2001, Papon c. France, no 54210/00, CEDH 2001-XII.
■ M. Redon, V° « Cour d’assises », Rép. pén. Dalloz, nos 413 s.
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