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À vos copies !
Droit des obligations
Conditions du devoir d’information et de la garantie des vices cachés entre contractants professionnels
Chaque mois, retrouvez le commentaire d’une décision de justice issue de l’actualité jurisprudentielle.
Ce mois-ci, Dalloz Actu Étudiant vous propose de commenter l’arrêt Com. 23 mai 2024, n° 22-20.448
Travail préparatoire
Rappel de méthodologie
Un commentaire d’arrêt est un exercice qui comprend deux temps : l’explication de l’arrêt et son appréciation.
En d’autres termes, il faut, en premier lieu, expliquer le sens de l’arrêt. Ce qui suppose d’abord de le lire très attentivement, pour bien le comprendre. Ensuite, et c’est un temps essentiel de votre commentaire, il vous faut identifier la question que l’arrêt à commenter a résolue. En outre, il vous faut détecter la ou les règles de droit qui fondent la décision qui vous est soumise. Enfin, il vous faut faire un exercice de mémoire (si vous composez votre commentaire dans le cadre d’un examen) ou de recherche (si vous composez librement votre commentaire), non seulement pour découvrir le thème général dans lequel s’inscrit l’arrêt à commenter, mais encore pour trouver des éléments bibliographiques qui vous permettront de mieux comprendre l’arrêt que vous devez commentez et donc de mieux l’expliquer.
En second lieu, après avoir expliqué le sens de l’arrêt et démontrer que vous l’avez compris, vous devez apprécier l’arrêt à commenter, donner une opinion sur la façon dont la Cour de cassation a tranché le litige et répondu à la question de droit, au fond, il vous faut juger les juges, vous prononcer sur la valeur de la décision, ce qui sera d’autant plus simple que vous pourrez la situer dans le temps, c’est-à-dire en déterminer la portée. Dans cette perspective d’appréciation de la valeur de l’arrêt, il vous faut exploiter des éléments bibliographiques qui vous permettront de recueillir les diverses opinions doctrinales qui se sont prononcées sur la question de droit réglée par la Cour de cassation, et de vous prononcer sur la pertinence des diverses thèses en présence à propos de la question de droit, celle que soutenaient les juges du fond, celle du demandeur au pourvoi et puis celle retenue par la Cour de cassation qui sera fatalement peu ou prou une des deux précédentes.
Analyse de l’arrêt
Analyser l’arrêt conduit à s’en tenir à le présenter en vue d’introduire votre commentaire. Voici la démarche à suivre :
– d’abord, il vous faut sélectionner les faits qui seront utiles dans la perspective de votre commentaire ;
– en outre, il convient de qualifier les faits, ce qui revient à les faire entrer dans une catégorie juridique donnée ;
– ensuite, il faut exposer les différentes étapes de la procédure, à savoir la décision des juges du fond, puis le moyen du pourvoi ;
– de plus, il vous faut énoncer la question de droit que l’arrêt a tranchée ;
– enfin, il convient d’exposer la solution que la Cour de cassation a finalement retenue.
Dans l’arrêt qu’il vous faut ici commenter, reprenons cette démarche :
■ Sélection des faits : : Après s’être fournie auprès de la société Brenntag, la société Agrovin a vendu des appareils de traitement du vin à la société Domaine Montariol Degroote. Le procédé utilisé pour traiter le vin réside dans l’usage spécifique d’un acide technique, plutôt qu’alimentaire. Or, après avoir subi des plaintes de ses clients dénonçant l’impropriété des vins ainsi traités, la société Degroote a assigné les deux sociétés Agrovin et Brenntag en indemnisation.
■ Qualification des faits : Une société d’œnologie avait acheté auprès d’un fabricant des appareils pour le traitement de son vin, présentant la particularité d’employer un acide technique au lieu d’un acide alimentaire. Elle les avait revendus à un sous-acquéreur qui, après reçu des plaintes de sa clientèle dénonçant des défauts dans les lots qu’ils avaient achetés, assigna les deux sociétés en réparation de ses préjudices, notamment sur le fondement de la garantie des vices cachés.
■ Procédure : La cour d’appel condamna solidairement la société venderesse (Brenntag) à hauteur de 70% et la société acheteuse (Agrovin) à hauteur de 30 %. Concernant l’acheteuse, elle retint sa faute aux motifs que si l’usage d’un acide technique n’est pas interdit en soi, il reste inhabituel en sorte qu’il appartenait à cette société, en sa qualité de professionnel, de s’assurer de la possibilité de l’utiliser en sollicitant de son vendeur les caractéristiques et spécifications de ce produit afin de les comparer avec les normes professionnelles applicables, ce qu’elle n’a pas fait alors qu’elle avait connaissance de désordres dans l’utilisation de ce traitement et reçu, en ce sens, des recommandations de sa maison mère pour l’inciter à faire usage d’un acide alimentaire. De ce qui précède, les juges du fond ont déduit la commission de négligences et d’imprudences justifiant l’engagement de sa responsabilité. Concernant la venderesse (société Brenntag), la cour d’appel jugea que celle-ci avait, en sa qualité de professionnel, manqué à l’obligation d’information dont elle était débitrice, y compris à l’égard de l’acheteur professionnel, dès lors que l’ignorance de ce dernier, ne disposant pas des caractéristiques techniques du bien vendu, était légitime ; or les juges du fond ont constaté que la société Brenntag ne justifiait pas avoir informé la société Agrovin lors de la vente de cet acide que celui-ci était susceptible de comporter des défauts, notamment par le biais d'une fiche technique et d’un certificat de conformité, et que les formulations portées sur les fiches de sécurité étaient imprécises et susceptibles de générer une confusion en ce qu'elles n'excluaient pas un usage alimentaire. Elle considéra enfin que la venderesse était tenue à la garantie des vices cachés au motif, notamment, que la destination normale d'un acide « technique » peut être un usage alimentaire et que la présence de la molécule de contamination dans l'acide chlorhydrique vendu caractérisait un vice caché en ce qu'il était, au regard des constatations expertales, nécessairement antérieur à la vente et en avait compromis l'usage.
■ Moyen du pourvoi : L’acheteuse contesta l’engagement de sa responsabilité dès lors que rien ne s’opposait à ce qu’un acide technique puisse être utilisé à des fins alimentaires et que le préjudice subi n’avait pas été causé par la qualité technique de l’acide mais par sa pollution, constitutive d’un vice caché dont seule la venderesse était tenue à garantie. La venderesse réfuta quant à elle l’obligation d’information mise à sa charge au profit d’un acheteur dont la qualité de professionnel spécialisé en produits œnologiques empêchait qu’il soit rendu créancier d’une telle obligation, dès lors qu’il disposait des compétences techniques pour apprécier les caractéristiques du bien vendu. Elle récusa également l’existence d’un vice caché dès lors que l’usage alimentaire ayant été fait d’un acide technique ne correspondait pas à un usage normal de la chose.
■ Problème de droit : 1/ Le vendeur professionnel est-il tenu d’informer l’acheteur professionnel de même spécialité ?
2/ Comment caractériser la normalité de l’usage auquel on destine la chose affectée d’un vice caché ?
■ Solution : La Cour confirme la responsabilité de la société Agrovin ayant, par imprudence et négligence, fait le choix d’utiliser un acide technique plutôt alimentaire en ne tenant compte ni des recommandations qu’elle avait reçues, ni des désordres dans l’utilisation de ce traitement portés à sa connaissance. Au visa de l’article 1134 du Code civil dans sa rédaction antérieure à l’ordonnance du 10 février 2016, elle casse en revanche la décision des juges du fond concernant le manquement de la société venderesse à son obligation d’information, l’acheteur professionnel n’étant créancier d’une obligation d’information que dans la mesure où la compétence de celui-ci ne lui donne pas les moyens d’apprécier la portée exacte des caractéristiques de biens qui lui sont livrés. Or la cour d’appel a relevé que la société Agrovin était spécialiste des produits œnologiques, avait commandé de l'acide « technique » quand il existait également une qualité « alimentaire » du même acide, et que le contrat précisait que « les produits étaient de qualité industrielle standard, sauf stipulation contraire », ce dont il résultait qu'elle disposait des moyens d'apprécier la portée exacte des caractéristiques techniques de cet acide. Partant, c’était à la société acheteuse qu’incombait l’obligation de s'informer sur les caractéristiques techniques de l'acide technique dont elle faisait un usage alimentaire. L’analyse des juges du fond est également censurée, au visa de l’article 1641 du Code civil, concernant la garantie des vices cachés à laquelle la venderesse ne pouvait en l’espèce être tenue dès lors que l’usage alimentaire par l’acheteuse de l’acide technique ne correspondait pas à son usage normal.
I. Les contours du devoir d’information entre professionnels
A. Principe : le devoir d’informer du vendeur professionnel
● C. civ., art. 1602 ; fondement d’un devoir général d’information du vendeur professionnel, qui connaît plusieurs déclinaisons : obligation d’information stricto sensu (obligation objective de renseignement sur les caractéristiques du produit) + obligation de conseil et de mise en garde en cas de vente d’un produit dangereux ou complexe ;
● Devoir d’information couplé avec un devoir d’investigation nécessaire à l’exécution de son obligation d’information et de conseil : pour informer correctement son acheteur, le vendeur doit s’informer au préalable à la fois des caractéristiques du bien vendu, des besoins propres à son cocontractant et de l’usage que ce dernier entend faire du bien acquis : v. not. Civ. 1re, 11 mai 2022, n° 20-22.210 (DAE, 10 juin 2022, note Merryl Hervieu).
● L'obligation d'information et de conseil du vendeur sur l'adaptation du bien vendu à l'usage auquel il est destiné n’est toutefois qu’une obligation de moyens dont le contenu varie en fonction notamment de la qualité des parties.
B. Limite : la compétence de l’acheteur professionnel
● L’obligation d’information et de conseil du vendeur à l’égard de son client, acheteur professionnel, n'existe que dans la mesure où la compétence de celui-ci ne lui donne pas les moyens d'apprécier la portée exacte des caractéristiques techniques du bien vendu (pt 12) ;
● Illustration d’une jurisprudence constante : Com. 14 janv. 2014 n° 12-26.109 ; Com. 22 mars 2017, n° 15-16.315 ; Com. 4 juill. 2018 n° 17-21.071 ;
● Rendue au visa de l’anc. art. 1134, solution maintenue par la réforme du droit des contrats issue de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016. Depuis le 1er octobre 2016, celle des parties qui connaît une information dont l'importance est déterminante pour le consentement de l'autre doit l'en informer dès lors que, légitimement, cette dernière ignore cette information ou fait confiance à son cocontractant (C. civ. art. 1112-1, al. 1 nouveau). En application de ce texte, le juge apprécie l'ignorance légitime de l'autre partie, lorsqu'elle est un professionnel, au regard de ses compétences spécifiques.
● En l'espèce, la qualité de professionnelle spécialisée dans le secteur œnologique et le caractère standardisé du produit commandé caractérisaient le fait que la société disposait des moyens d’apprécier la portée exacte des caractéristiques techniques du produit vendu. La venderesse n’était donc nullement tenue d’informer sa cocontractante ; le devoir d’investigation pesait en conséquence sur l’acheteuse.
II. Les contours de la notion d’usage normal en matière de garantie des vices cachés
A. Le critère de l’usage normal
● Art. 1641 : critère constitutif de la notion de vice caché, entendu comme un défaut compromettant l’usage normalement attendu de la chose vendue ; depuis les années 90, critère distinctif de la garantie des vices cachés et de l’obligation de délivrance conforme, celle-ci visant l’adéquation du bien vendu à l’usage prévu par les stipulations du contrat ;
● En cas de défaut compromettant l’usage normal de la chose, mise en œuvre de la garantie des vices cachés, même au profit de l’acheteur professionnel (contra, la garantie de conformité due au seul consommateur, C. consom., art. L.217-3, al. 1) ;
● Normalité de l’usage : envoie à l’usage habituel qui est fait de la chose, « l’usage auquel on la destine » (art. 1641), indépendamment de l’usage spécifique qu’entend en faire l’acheteur ; ainsi, le vendeur d’un bien normalement fabriqué et techniquement conforme ne sera pas tenu à garantie dès lors que son usage a été compromis par l’utilisation défectueuse qui en a été faite par l’acheteur ayant détourné le bien de sa fonction, surtout s’il est un professionnel dont l’ignorance n’est pas excusable (jp constante).
B. L’appréciation de l’usage normal
● Appréciation in concreto ; l ’« usage normal » de la chose vendue est appréciée en fonction des pratiques professionnelles du secteur d’activité considéré ; la simple possibilité d’utiliser alternativement la chose ne suffit pas à caractériser un « usage normal » ;
● En l’espèce, prise en compte de la distinction entre l’acide « alimentaire » et l’acide « technique », ces qualités étant destinées à des usages distincts. Ressortait du secteur œnologique concerné que l’usage alimentaire de l’acide n’intervenait que dans des cas très restreints, en sorte cet usage ne pouvait être en l’espèce considéré comme « normal ».
● La possibilité pour l’acide de qualité « technique » d’être utilisé ponctuellement pour un usage alimentaire ne saurait donc constituer un usage normal et ainsi permettre au vendeur d’échapper à sa responsabilité au titre de la garantie des vices cachés.
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