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La loi relative à la géolocalisation
La loi n° 2014-372 du 28 mars 2014 relative à la géolocalisation a passé les étapes législatives essentielles : vote par les Assemblées selon la procédure accélérée, examen constitutionnel par les Sages, promulgation par le président de la République, publication au Journal officiel. Caroline Lacroix, maître de conférences à l’Université de Haute Alsace, auteur d’une thèse sur La réparation des dommages en cas de catastrophe, répond à nos questions sur ce dispositif qui consiste techniquement à localiser, en temps réel, une personne suspectée à son insu, à partir d’un téléphone portable ou un objet comme un véhicule, sur lequel une balise a préalablement été posée.
Quel est le dispositif mis en place par la loi ?
La loi établie les infractions permettant de recourir à la géolocalisation et définit les autorités compétentes pour autoriser une telle opération ainsi que la durée de ces autorisations. Elle fixe donc le cadre légal d’une telle opération destinée à permettre la manifestation de la vérité.
Le recours à cette technique est désormais possible en cas d’investigations concernant, d’abord, les délits contre les personnes punis d’une peine d’emprisonnement supérieure ou égale à 3 ans et les autres crimes et délits punis d’au moins 5 ans. Une telle possibilité est, ensuite, offerte s’agissant d’une enquête en recherche des causes de la mort, des causes de la disparition et en recherche d’une personne en fuite.
L'opération est autorisée dans le cadre de l’enquête de police (flagrance ou préliminaire) par le procureur de la République, pour une durée maximale de quinze jours consécutifs. À l’issue de ce délai, cette opération est autorisée par le juge des libertés et de la détention (JLD) pour une durée maximale d'un mois renouvelable. Au cours de l’instruction, elle est autorisée par le juge d’instruction, pour une durée de 4 mois renouvelable.
Le texte encadre encore les hypothèses d’introduction dans un lieu privé (professionnel et d’habitation) afin d’installer un dispositif de géolocalisation. Ainsi, seul le JLD ou le juge d’instruction pourra, sous réserve que l’infraction soit passible d’une peine d’au moins 5 ans d’emprisonnement, l’autoriser.
Quelles sont les exceptions à l’autorisation de procéder à la géolocalisation ?
La loi prévoit d’abord, des conditions dérogatoires de mise en œuvre des opérations de géolocalisation en cas d’urgence (risque imminent de dépérissement des preuves ou d’atteinte grave aux personnes ou aux biens). Le dispositif de géolocalisation peut être mis en place par un officier de police judiciaire. Informé immédiatement, un magistrat peut alors ordonner la mainlevée de la mesure.
Par ailleurs, l’intervention d’un magistrat n’est pas nécessaire pour permettre la localisation d’un téléphone portable ou d’un véhicule de la victime de l'infraction sur laquelle porte l'enquête ou la personne disparue, dès lors que l’opération a pour objet de retrouver la victime, l'objet qui lui a été dérobé ou la personne disparue et que cette mesure est prise dans le propre intérêt de cette dernière.
Enfin, le texte interdit le recours à un dispositif de géolocalisation dans certains lieux : cabinet d'un avocat ou son domicile ; locaux d'une entreprise de presse, ou domicile d'un journaliste ; cabinet d'un médecin, d'un notaire ou d'un huissier, d'un député ou d'un sénateur, ou d’un magistrat.
Dans quel contexte juridictionnel, aussi bien national qu’européen, survient cette loi ?
En France, aucune disposition du Code de procédure pénale ne prévoyait spécialement la possibilité de recourir à la géolocalisation.
L’insuffisance d’un tel encadrement juridique s’est trouvé mise à mal d’abord par la CEDH puis par la chambre criminelle de la Cour de cassation.
La première exigeait que cette ingérence dans la vie privée des individus soit prévue par une loi suffisamment précise et qu’elle offre des « garanties adéquates et suffisantes contre les abus » (CEDH 2 sept. 2010, Uzun c/ Allemagne). À cet égard, la prévisibilité du droit français pouvait sembler imparfaite.
La seconde imposait qu’une telle opération soit exécutée sous le contrôle d’un juge, interdisant de ce fait les opérations de géolocalisation décidées par le parquet (Crim. 22 oct. 2013).
L’ensemble de ces arrêts mettait en évidence la nécessité de légiférer sur la question.
Sous quelle réserve la loi a-t-elle été validée par le Conseil constitutionnel ?
Le Conseil constitutionnel a validé les dispositions relatives à la mise en œuvre de la géolocalisation. Selon les Sages, le législateur a bordé celle-ci « de mesures de nature à garantir que, placées sous l’autorisation et le contrôle de l’autorité judiciaire, les restrictions apportées aux droits constitutionnellement garantis soient nécessaires à la manifestation de la vérité et ne revêtent pas un caractère disproportionné au regard de la gravité et de la complexité des infractions commises ».
En revanche, certaines dispositions relatives au dossier de procédure ont fait l’objet de réserves d’interprétation ou ont été partiellement censurées.
D’abord, la loi prévoit que, dans une instruction concernant l'un des crimes ou délits entrant dans le champ d'application de la criminalité organisée, certaines pièces relatives à la géolocalisation puissent être exclues par le JLD du dossier de la procédure et versées dans un dossier distinct afin de protéger les personnes ayant aidé la police pour l’installation d’une balise ainsi que leurs proches contre des risques de représailles (C. pr. pén., art. 230-40). Une telle possibilité n’est ouverte que lorsque la connaissance de ces informations « n’est ni utile à la manifestation de la vérité, ni indispensable à l’exercice des droits de la défense ». La personne mise en examen ou le témoin assisté dispose d'un délai de dix jours pour demander au président de la chambre de l'instruction de contrôler le recours à cette procédure (C. pr. pén., art. 230-41). Le Conseil a jugé que ce délai ne saurait courir qu'à compter du moment où la personne en cause a été formellement informée que cette procédure a été mise en œuvre.
Ensuite, le texte interdisait qu’une condamnation soit prononcée sur le « seul » fondement des éléments de géolocalisation obtenus dans les conditions prévues à l'article 230-40, sauf si la requête et le procès-verbal mentionnés au dernier alinéa de ce même article ont été versés au dossier principal de la procédure. Un telle disposition est analysée a contrario par le Conseil comme ouvrant la possibilité de retenir comme éléments de preuve ces informations de géolocalisation dans le procès et pris en compte par la juridiction de jugement lorsqu’elle déclare l’accusé coupable. En permettant qu’une condamnation puisse être prononcée sur le fondement de tels éléments non versés au dossier alors que la personne mise en cause ne peut pas contester les conditions dans lesquelles ils ont été recueillis, cette disposition méconnaît le principe du contradictoire et le respect des droits de la défense. Le mot « seul » est donc jugé contraire à la Constitution. En conséquence, le Conseil constitutionnel précise que si les informations figurant dans le dossier distinct n’ont pas été versées au dossier de la procédure, « il appartiendra à la juridiction d’instruction d’ordonner » que ces éléments « soient retirés du dossier de l’information avant la saisine de la juridiction de jugement ».
Le questionnaire de Désiré Dalloz
Quel est votre meilleur souvenir d’étudiant ? Ou le pire ?
Le meilleur : le jour de ma soutenance de thèse sous la présidence du professeur Renée Koering-Joulin.
Le pire : les cours de procédure pénale en DEA à Strasbourg mais qui ne m’ont pas enlevé le goût de la matière !
Quel est votre héros de fiction préféré ?
Antigone, vue par Jean Anouilh.
Quel est votre droit de l’homme préféré ?
La résistance à l’oppression proclamée par la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen (NDLR : article 2 : « Le but de toute association politique est la conservation des droits naturels et imprescriptibles de l'Homme. Ces droits sont la liberté, la propriété, la sûreté, et la résistance à l'oppression. »).
Références
■ Loi n° 2014-372 du 28 mars 2014 relative à la géolocalisation (JO, 29 mars).
■ Cons. const. 25 mars 2014, n°2014-393 DC.
■ CEDH 2 sept. 2010, Uzun c/ Allemagne, n° 35623/05.
■ Crim. 22 oct. 2013, n°13-81.945 et n°13-81.949, Dalloz Actu Étudiant 21 nov. 2013.
■ Code de procédure pénale
« Lorsque, dans une instruction concernant l'un des crimes ou délits entrant dans le champ d'application de l'article 706-73, la connaissance de ces informations est susceptible de mettre gravement en danger la vie ou l'intégrité physique d'une personne, des membres de sa famille ou de ses proches et qu'elle n'est ni utile à la manifestation de la vérité, ni indispensable à l'exercice des droits de la défense, le juge des libertés et de la détention, saisi à tout moment par requête motivée du juge d'instruction, peut, par décision motivée, autoriser que n'apparaissent pas dans le dossier de la procédure :
1° La date, l'heure et le lieu où le moyen technique mentionné à l'article 230-32 a été installé ou retiré ;
2° L'enregistrement des données de localisation et les éléments permettant d'identifier une personne ayant concouru à l'installation ou au retrait du moyen technique mentionné à ce même article.
La décision du juge des libertés et de la détention mentionnée au premier alinéa du présent article est jointe au dossier de la procédure. Les informations mentionnées aux 1° et 2° sont inscrites dans un autre procès-verbal, qui est versé dans un dossier distinct du dossier de la procédure, dans lequel figure également la requête du juge d'instruction prévue au premier alinéa. Ces informations sont inscrites sur un registre coté et paraphé, qui est ouvert à cet effet au tribunal de grande instance. »
« La personne mise en examen ou le témoin assisté peut, dans les dix jours à compter de la date à laquelle il lui a été donné connaissance du contenu des opérations de géolocalisation réalisées dans le cadre prévu à l'article 230-40, contester, devant le président de la chambre de l'instruction, le recours à la procédure prévue à ce même article. S'il estime que les opérations de géolocalisation n'ont pas été réalisées de façon régulière, que les conditions prévues audit article ne sont pas remplies ou que les informations mentionnées à ce même article sont indispensables à l'exercice des droits de la défense, le président de la chambre de l'instruction ordonne l'annulation de la géolocalisation. Toutefois, s'il estime que la connaissance de ces informations n'est pas ou n'est plus susceptible de mettre gravement en danger la vie ou l'intégrité physique d'une personne, des membres de sa famille ou de ses proches, il peut également ordonner le versement au dossier de la requête et du procès-verbal mentionnés au dernier alinéa du même article. Le président de la chambre de l'instruction statue par décision motivée, qui n'est pas susceptible de recours, au vu des pièces de la procédure et de celles figurant dans le dossier mentionné au même alinéa. »
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