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La reconnaissance législative du préjudice écologique
La loi n° 2016-1087 du 8 août 2016 pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages reconnaît le préjudice écologique et en fixe les modalités de réparation. C’est la concrétisation du rapport du groupe de travail présidé par Yves Jégouzo (V. Focus sur… Le préjudice écologique réparable, Dalloz Actu Étudiant, 18 oct. 2013). Laurent Neyret, professeur à l’Université de Versailles, spécialiste du droit de l’environnement, faisait partie de ce groupe ; il a bien voulu répondre à nos questions.
Quelle est désormais la définition du préjudice écologique ?
Aux termes de l’article 1247 du Code civil, le préjudice écologique réparable s’entend de toute « atteinte non négligeable aux éléments ou aux fonctions des écosystèmes ou aux bénéfices collectifs tirés par l'homme de l'environnement ».
Cette définition appelle plusieurs remarques.
D’abord, on constatera que, par dérogation au droit commun où tout préjudice est réparable, ici, le législateur a voulu subordonner la réparation du préjudice écologique à la preuve d’un seuil de gravité suffisant caractérisé par l’expression « non négligeable ». Cette mention a été voulue pour rassurer ceux qui agitaient le chiffon rouge d’un risque d’encombrement des tribunaux dans le domaine de l’environnement. L’expression « non négligeable » a été reprise de la motivation de l’arrêt de la cour d’appel de Paris du 30 mars 2010 dans l’affaire de l’Erika qui qualifiait le préjudice écologique de « préjudice objectif, autonome » et le définissait comme étant « tout atteinte non négligeable à l’environnement naturel, à savoir notamment, à l’air, l’atmosphère, l’eau, les sols, les terres, les paysages, les sites naturels, la biodiversité et l’interaction entre ces éléments, qui est sans répercussions sur un intérêt humain particulier mais affecte un intérêt collectif légitime ». On peut douter de l’intérêt de la mention « non négligeable » tant on ne comprend guère ce qu’elle recouvre, à moins d’y voir une simple application de l’adage de minimis non curat praetor selon lequel le juge n’a que faire des petits dommages.
Ensuite, la définition du préjudice écologique participe d’une protection, en creux, de l’environnement pour lui-même, indépendamment de toute répercussion sur les sujets de droit. Le préjudice réparable est alors un préjudice écologique objectif et non plus seulement un préjudice subjectif causé à « autrui ». Il s’agit là d’une consolidation de la jurisprudence Erika qui avait admis la réparation des atteintes à la nature sauvage. Désormais, le mazoutage d’oiseaux sauvages, la destruction volontaire ou involontaire d’une espèce, la pollution d’une rivière par exemple, feront l’objet de mesures de réparation sur le fondement de la responsabilité civile.
Enfin, le préjudice écologique réparable s’entend également des préjudices collectifs causés à l’homme, c’est-à-dire de l’atteinte aux bénéfices collectifs que l’environnement lui procure, comme la régulation du climat ou des maladies, ou encore l’intérêt esthétique d’un paysage. Ce préjudice collectif avait été proposé par les auteurs de l’Eco-nomenclature [L. Neyret et G. J. Martin (dir.), LGDJ, 2012] puis repris dans le Rapport Jegouzo de 2013. La conception du préjudice écologique retenue par le législateur est donc étendue puisqu’elle va au-delà de l’environnement lui-même pour toucher l’homme, dans sa dimension collective.
La loi crée-t-elle un régime de responsabilité spécifique ?
Non. La loi ne consacre pas un régime spécifique de responsabilité écologique. En effet, la preuve du fait générateur et celle du lien de causalité répondent toujours aux règles du droit commun de la responsabilité civile telles qu’elles découlent des articles 1240 et suivants du Code civil [numérotation issue de l’Ord. 10 févr. 2016].
La loi du 8 août 2016 pose un principe de réparation du préjudice écologique signifié par les termes à portée générale du nouvel article 1246 du Code civil aux termes duquel « toute personne responsable d'un préjudice écologique est tenue de le réparer ». Un tel principe permet de dépasser l’obstacle dirimant de l’exigence d’un dommage causé à « autrui » tel qu’exigé par l’article 1240 du Code civil, et de répondre à un besoin d’adaptation du régime de droit commun par rapport aux spécificités du préjudice écologique. Plus précisément, le texte pose un principe de priorité de réparation en nature, à l’image de mesures de remise en état du type ré-empoissonnement à la suite de la pollution d’une rivière par exemple. La réparation sous la forme de dommages et intérêts peut intervenir seulement « en cas d'impossibilité de droit ou de fait ou d'insuffisance des mesures de réparation ». Par ailleurs, le législateur a établi une dérogation au principe de libre utilisation des dommages et intérêts en posant une obligation d’affectation des sommes allouées pour préjudice écologique à la réparation de l’environnement. Aucune chance dès lors qu’il y ait un enrichissement sans cause des demandeurs, comme certains le redoutaient. Un euro alloué au titre du préjudice écologique est un euro qui profitera à la nature.
Comment s’intègre le nouveau dispositif dans le Code civil en pleine réforme du droit des obligations et de la responsabilité civile ?
La consolidation du préjudice écologique dans le Code civil a été l’occasion de renforcer la prévention des dommages en droit de la responsabilité civile. À cet égard, « les dépenses exposées pour prévenir la réalisation imminente d'un dommage, pour éviter son aggravation ou pour en réduire les conséquences constituent un préjudice réparable » (C. civ., art. 1251). Au-delà, « indépendamment de la réparation du préjudice écologique, le juge, saisi d'une demande en ce sens par une personne mentionnée à l'article 1248, peut prescrire les mesures raisonnables propres à prévenir ou faire cesser le dommage (C. civ., art. 1252). À ce jour, ces dispositions valent uniquement en cas de préjudices écologiques, mais on ne manquera pas de relever qu’elles se retrouvent, à l’identique, dans l’avant-projet de réforme de la responsabilité civile. Formulons le vœu que le précédent du préjudice écologique fasse florès et que la dimension préventive de la responsabilité civile soit élargie à l’ensemble des dommages dans le cadre d’une réforme à venir de la responsabilité civile.
En retour, les discussions relatives à l’avant-projet de réforme de la responsabilité civile seraient l’occasion de renforcer la sous-section consacrée aux « règles particulières à la réparation des préjudices résultant d’un dommage environnemental », pour l’instant vide. Certes, cette sous-section a vocation à recevoir les articles votés dans le cadre de la loi du 8 août 2016 relative à la biodiversité, mais il serait opportun d’aller au-delà, dans un souci de cohérence avec les dispositions de l’avant-projet de réforme, et notamment avec celles qui concernent le dommage corporel. À cet égard, de la même manière que le projet d’article 1269 du Code civil prévoit que les « préjudices patrimoniaux et extrapatrimoniaux résultant d’un dommage corporel sont déterminés, poste par poste, suivant une nomenclature non limitative des postes de préjudices fixée par décret en Conseil d’État », on pourrait envisager que « les préjudices résultant d’un dommage à l’environnement sont déterminés, poste par poste, suivant une nomenclature non limitative des postes de préjudices fixée par décret en Conseil d’État ».
Quels seront les effets pratiques de cette reconnaissance ?
En pratique, le principe pollueur-payeur inscrit à l’article 4 de la Charte de l’environnement sort renforcé par la loi de 2016. La jurisprudence Erika se trouve, quant à elle, sanctuarisée. L’ensemble des parties prenantes — juges, avocats, ONG, industriels — vont devoir intégrer ce nouveau poste de préjudice dans leur pratique professionnelle. Nul doute que la sécurité juridique et la sécurité environnementale en sortiront renforcées.
Plus précisément, dans le domaine de l’assurance, il va falloir clarifier les contrats d’assurance pour ce qui concerne la détermination des risques couverts par les compagnies. Autre exemple, en matière de procédures collectives, la description du passif de la société devra rendre compte précisément du passif environnemental incluant le préjudice écologique pur dans ses diverses variantes.
Selon vous, quelle serait la prochaine étape pour une meilleure protection de l’environnement par le droit ?
Dans les années à venir, le renforcement de la protection de l’environnement devrait passer par la mise en place d’une justice environnementale mondialisée. À cet égard, les deux Pactes des Nations unies de 1966 relatifs respectivement aux droits civils et politiques et aux droits économiques, sociaux et culturels, pourraient être complétés par un Pacte international pour l’environnement qui regrouperait, à droit constant, l’ensemble des principes partagés par les États en matière de protection de l’environnement (sur cette proposition : Renforcer l’efficacité du droit international de l’environnement, Rapport de la Commission environnement du Club des juristes, 2015).
Le questionnaire de Désiré Dalloz
Quel est votre meilleur souvenir d’étudiant ? Ou le pire ?
Je garde un excellent souvenir de mes mercredis après-midi passés sur les bancs du public du tribunal correctionnel qui se trouvait à quelques minutes de la faculté. Cela m’a permis de prendre conscience que les articles de loi appris en cours ne relevaient pas seulement de la technique mais qu’ils incarnaient également une éthique, et que la justice était avant tout une question humaine et sociale.
Quel est votre héros de fiction préféré ?
Le personnage qui me vient à l’esprit n’est pas à proprement parler un personnage de « fiction », mais il mérite attention parce que son histoire se retrouve dans de nombreux récits : il s’agit de Noé. À l’heure où le monde est confronté à un déluge de menaces — terroristes, écologiques pour citer les plus graves — formulons le vœu que le droit suive la voie tracée par Noé et contribue, à sa mesure, à sauver l’humanité, en se conjuguant en mode espérance pour les générations présentes et futures, et plus largement pour l’ensemble du vivant.
Quel est votre droit de l’homme préféré ?
Certainement le droit à la dignité humaine, en ce qu’il est le révélateur de la protection de toute personne sans condition, du seul fait de son appartenance à la famille humaine. À l’avenir, on pourrait imaginer un droit à la dignité élargi au droit à un environnement équilibré. Pour preuve, le bureau du procureur de la Cour pénale internationale vient d’annoncer qu’il s’intéresserait désormais aux crimes visés au Statut de Rome impliquant ou entraînant, entre autres, des ravages écologiques, l’exploitation illicite de ressources naturelles ou l’expropriation illicite de terrains. Où l’on voit ici que les crimes contre l’environnement peuvent être des « actes inhumains », élément caractéristique de la notion de crime contre l’humanité.
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