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Le professeur d'Université
S'orienter, étudier, passer des concours, suivre des stages, découvrir un métier, décrocher un contrat... Autant d'étapes importantes qui soulèvent, pour chaque étudiant, un foisonnement de questions. Afin de démêler les réalités des idées reçues, Dalloz Actu Étudiant a décidé de décrypter tous les mois les spécificités d'un métier du droit à partir du témoignage d'un professionnel.
Vous les rencontrez, écoutez toutes les semaines sur les bancs de la fac mais qui sont vraiment les professeurs d'Université ? Comment travaillent-ils ? À défaut de fournir une réponse exhaustive et générale à cette question, nous avons interviewé l'une d'entre elles, Cécile Chainais, jeune professeur de droit processuel, droit civil, procédure civile et droit comparé. Un métier qu'elle qualifie d'« aussi difficile que passionnant ». Elle est également coauteur avec Serge Guinchard et Frédérique Ferrand de la 32e édition du Précis Dalloz Procédure civile – Droit interne et droit de l’Union européenne qui vient de paraître.
Pouvez-vous nous raconter votre parcours professionnel ?
Après ma terminale à Nantes, j'ai fait hypokhâgne et khâgne à Paris, puis j'ai intégré l'École normale supérieure de la rue d'Ulm où j'ai passé une licence et une maîtrise de philosophie. Les questions relatives à la justice m’attiraient mais le monde du droit m’était totalement étranger. Grâce à un accord entre l’ENS et l’Université Paris II, je suis entrée en 2e année de droit dans cette Université, « pour voir ». Je me suis progressivement laissée séduire par le droit, sans doute parce qu’il se trouvait à la croisée des chemins entre ma sensibilité littéraire (par la précision du vocabulaire qu’il requiert) et une certaine culture scientifique transmise par mes parents, attentive au principe d’égalité et à la rigueur du raisonnement logique.
Une discussion informelle, au détour d’un forum d’orientation dans le hall d’Assas, avec Serge Guinchard a joué un rôle important : alors que je venais prendre des informations sur les voies pour devenir magistrat, il m’a proposé, au vu de mon parcours, de dispenser des enseignements en culture générale à l’IEJ de Paris 2, à l’intention des candidats au concours d’entrée à l’ENM ! J'ai accepté. Surtout, il avait su attirer mon attention sur l’inestimable liberté qui fait l’essence du métier d’universitaire plus que toutes les autres professions juridiques. Je me suis donc engagée dans le Master 2 Recherche « Justice et droit du procès », master dont j'ai d’ailleurs repris la direction depuis un an. Puis j'ai mené à bien une thèse de procédure civile comparée avant d'être recrutée comme maître de conférences à Paris II et de passer l’agrégation en 2007. J'ai alors été nommée professeur à l'Université d'Amiens pendant 5 ans. J’y ai été très heureuse, profitant de l’environnement d’une université à taille humaine et particulièrement dynamique. J’y dirigeais l'IEJ et un master 2 sur la justice. Ensuite, à la faveur d’une mutation, j’ai eu le plaisir de revenir à Paris II, il y a deux ans.
Qu'est-ce qui vous anime dans l'enseignement ?
Un désir profond de transmettre aux étudiants la passion du droit, leur montrer aussi bien les facettes multiples de l’office du juge que l’importance fondamentale des droits de la défense. La volonté, aussi, de leur ouvrir des horizons et de susciter chez eux des envies de lecture, ce qui est encore le meilleur moyen de former des esprits libres. Leur donner le goût des livres, y compris de livres exigeants et difficiles, loin des facilités que leur offre l’information immédiatement disponible électroniquement à laquelle ils sont habitués.
Ma mission d’enseignement varie selon les publics.
À Paris II, j'assure notamment le grand cours de procédure civile en Licence 3, devant un grand amphithéâtre (900 étudiants !). C'est un cours que j'adore. Il vise à doter les étudiants d’une « colonne vertébrale » en procédure civile et à leur donner des repères qui leur permettront d’évoluer et de s’adapter dans leur vie professionnelle future.
En master 2, les enseignements prennent la forme de séminaires, devant un public beaucoup plus restreint. Une large place est laissée au débat et à la discussion. Dans « séminaire », il y a semen, la graine que l’on sème et dont nul ne sait exactement ce qu’elle deviendra. L’enseignement vivant, en somme ! C’est aussi l'opportunité de laisser germer, se développer des idées de recherche : la recherche alimente l’enseignement et réciproquement.
En quoi consiste votre quotidien ?
Comme tout universitaire, j'ai plusieurs métiers en un. Pour être sincère, je ne le savais pas en m’engageant dans la voie universitaire ! Mon emploi du temps varie selon les semaines et consiste toujours à articuler trois aspects : l’enseignement, la recherche, mais aussi l’administration.
Le temps de l'enseignement, d’abord : il faut de nombreuses heures de travail en amont pour préparer une seule heure de cours si l’on veut être au point intellectuellement et pédagogiquement. S’ajoute à cela une dimension importante d’administration des enseignements : organisation des travaux dirigés, formation et supervision des équipes de doctorants qui les assurent, direction du Master 2 « Justice » dont la vitalité suppose un fort investissement (élaboration d’une maquette d’enseignements cohérente, recrutement des étudiants, liens avec les professionnels, organisation de l'année, remise solennelle des diplômes, etc.).
Le temps de la recherche, ensuite : temps passé à lire, écrire et pour lequel un certain isolement est nécessaire. C’est un aspect essentiel de notre activité mais c’est aussi la partie la moins « visible » ; cette dimension de notre métier n’est pas toujours aisée à faire comprendre. Elle est complétée par l’activité d’encadrement des doctorants et par la participation aux colloques, où l’on confronte ses idées avec les autres.
Si l’on n’y prend garde, ce temps indispensable de la recherche est vite menacé par celui de l’administration. Les fonctions administratives des universitaires n’ont cessé de croître ces dernières années : comptes-rendus d’activité, coordination de projets collectifs (passionnante, mais chronophage), réponse à des appels d'offres (face auxquels il faut faire preuve de discernement, afin de ne pas faire uniquement de la recherche « sur commande »).
Enfin, l'universitaire a aussi un rôle dans la cité. Il peut être amené, à ce titre, à collaborer occasionnellement avec des professions ou des institutions. J’assure ainsi actuellement la direction scientifique du prochain rapport annuel de la Cour de cassation et j’ai la chance d’être associée aux réflexions sur l’avenir de cette institution. C’est passionnant.
Je n’échangerais ce métier pour rien au monde. Mais il m’arrive de passer certaines semaines les yeux rivés sur la montre pour essayer de combiner au mieux tous ces aspects, en m’efforçant d’être la plus efficace possible ! Cela n’est pas toujours propice à la sérénité que demande la recherche. En théorie, j’essaie de ne pas laisser le temps universitaire déborder sur les soirées et les week-ends mais en pratique c’est rarement tenable… À certains égards, notre métier au service du service public de l’Université ressemble de plus en plus, paradoxalement, à une profession libérale.
La profession a-t-elle beaucoup évolué depuis 30-40 ans ?
Radicalement. Le métier n'est plus du tout ce qu'il était.
Le développement de l’Internet a énormément modifié notre façon de travailler. La masse d'information disponible est beaucoup plus importante, au point d’être difficile à gérer. Les sollicitations sont multiples et nos messageries électroniques prises d’assaut ; tout va beaucoup plus vite. Aujourd'hui quiconque le souhaite peut organiser un colloque en moins de huit jours, muni d’un bon carnet d'adresses ! C’est dire qu’il est difficile de garder la maîtrise de son propre calendrier.
Notre métier s'est démultiplié. Avec le développement exponentiel des tâches administratives, nous devenons à nous-mêmes nos propres secrétaires, nous efforçant d’être toujours plus organisés. Notre indépendance d'enseignants-chercheurs, à certains égards, se trouve menacée par cet environnement de plus en plus exigeant et contraignant. La loi de 2007 a prétendument doté les Universités de « l’autonomie » [NDRL : Loi n° 2007-1199 du 10 août 2007 relative aux libertés et responsabilités des universités], mais sans leur donner les moyens de cette autonomie : les Universités croulent sous des charges administratives et financières qu’elles ne peuvent assumer. Certains collègues de grande valeur intellectuelle se retrouvent ainsi à n’assumer que des fonctions administratives, pour faire face à ce délire administratif quasi kafkaïen, par dévouement pour la collectivité. C’est très regrettable.
L’ensemble du système demanderait à être repensé, en s’inspirant notamment des exemples étrangers tels que l’Allemagne, où les universitaires sont à la fois mieux traités et mieux entourés par des équipes qui les secondent pour les missions qui excèdent le cœur de leur métier.
Quels sont les défis du professeur d'Université des années 2010 ?
Premier défi : ne pas se laisser entièrement happé par le travail d’actualisation des connaissances, inhérent à l’activité du juriste (la « pêche » à la dernière jurisprudence, au dernier texte de loi) et conserver un temps suffisant pour mener des recherches fondamentales, axées sur les grands principes et les grandes évolutions historiques. C'est l’équilibre que je m’efforce de trouver dans mon travail autour du Précis Dalloz de Procédure civile notamment, afin de donner le meilleur état de l'art.
Deuxième défi : développer davantage les recherches de droit comparé, notamment collectives. Les liens entre les laboratoires de recherche à l’échelle européenne et même mondiale sont essentiels en ce sens. La procédure civile offre pour cela un terrain extrêmement fertile, à l’heure où l’on réfléchit à doter l’Europe de règles communes de procédure civile.
Troisième défi : élaborer progressivement une bonne utilisation des nouvelles technologies dans le cadre des cours notamment. Certaines recherches psycho-cognitives récentes montrent que, mal employées, celles-ci peuvent être contre-productives et nuire à la réception du discours. Au-delà de l’effet attractif immédiat, elles nécessitent technicité et réflexivité de la part de celui qui les emploie. Tout est à construire et à penser en ce domaine. L’Université Paris II accompagne de cette évolution nécessaire ; elle développe ainsi depuis deux ans une licence dite « numérique », à destination des étudiants qui ne peuvent assister aux cours. Tout cela offre de stimulantes perspectives.
Questionnaire de Désiré Dalloz
Quel est votre meilleur/pire souvenir d'étudiant ?
Mon meilleur souvenir : un cours de grec « grand débutant », en khâgne, par Joëlle Bertrand, professeur extraordinaire de classe préparatoire à Louis-Le-Grand : elle nous a appris le grec en un an, en conjuguant une rigueur pédagogique exceptionnelle dans la transmission de la langue grecque avec un enthousiasme communicatif pour la civilisation athénienne. Éblouissant.
Quel est votre héros de fiction préféré ?
L’inspecteur Columbo ! un héros, ou plutôt anti-héros, qui ne paye pas de mine, mais assène le coup final, avec son fameux « ah j’oubliais, une dernière petite question… ».
Quel est votre droit de l'homme préféré ?
Dans l’absolu, la liberté d’expression.
En relatif, la garantie de l’indépendance des universitaires, que le Conseil constitutionnel a reconnue pour les professeurs d’Universités mais qui à mes yeux s’étend bien sûr à l’ensemble des universitaires. Un droit toujours menacé et à défendre, comme le montre le livre d’Olivier Beaud intitulé Les libertés universitaires à l’abandon ? (paru aux éditions Dalloz fin 2010).
Carte d'identité du professeur d'Université
Professeur d'Université est un métier qui implique de longues études, le passage par différents statuts et la réussite de plusieurs diplômes et concours. Un titre assez prestigieux. Toutefois, il n'est pas représentatif en droit comme ailleurs, de la diversité des étudiants dans les Universités puisqu'il n'est détenu que par 22,5 % de femmes. Ce métier correspondrait le plus souvent à un emploi à vie avec des horaires flexibles, une réelle indépendance et un environnement riche intellectuellement.
■ Les chiffres
– 23,4 % des 60 000 enseignants-chercheurs titulaires sont des professeurs d'Université en 2013-2014 selon les chiffres du ministère de l'Enseignement supérieur et de la recherche. Soit 14 010 professeurs d'Université. Un effectif en légère hausse par rapport à 2012 (+0,6 %).
– 2 724 professeurs (public, privé) enseignent le droit contre 4 667 les lettres, 8 300 les sciences ou 5 643 la santé.
– 22,5 % de professeur d'Université étaient des femmes en 2011, selon les chiffres du ministère de l'Enseignement supérieur et de la recherche. Une féminisation qui diminue avec le nombre de diplômes : elles représentaient 57,6 % des étudiants (Licence/Master), 48 % des doctorants, 42,4 % des maîtres de conférences, 31,7 % des titulaires d'une habilitation à diriger des recherches (HDR). Au final, 14,8 % seulement des présidents d'Université étaient des femmes en 2011, toutes disciplines confondues.
■ La formation et les conditions d'accès
La réussite à un concours est nécessaire pour obtenir ce statut. Plusieurs voies sont possibles : les concours nationaux d'agrégation sur épreuves ou les concours sur emplois. Dans le premier cas, les candidats doivent être titulaires d'un doctorat ou d'un diplôme équivalent. Avant de passer ce concours, ils doivent avoir exercé plusieurs années en tant que maître de conférences. Il leur faut également obtenir une habilitation à diriger des recherches (HDR ; v. M. Latina, « La saison des recrutements », Dalloz Actu Étudiant, Le Billet, 21 mai 2013).
■ Les domaines d'intervention
Droit privé, droit public, philosophie du droit et toutes leurs déclinaisons... Les matières ne manquent pas en droit.
■ Le salaire
Une grille tarifaire s'applique aux professeurs d'Université. En début de carrière, ils touchent 3 000 €/mois. En fin de carrière, les salaires montent à 6 000 €/mois. À cela s'ajoutent diverses indemnités. Enfin, le professeur d'Université, selon ses activités externes peut toucher des rémunérations issues de l'édition, de conférences ou d'expertises.
■ Les qualités requises
Pédagogie, rigueur, discipline, écoute, actualisation des connaissances, neutralité, sens critique, patience, persévérance.
■ Les règles professionnelles
Il n'existe pas de code déontologique à proprement parler. Mais les professeurs d'Université sont, par définition, indépendants, tenus à respecter leurs engagements universitaires, à la probité et ils s'engagent à défendre les intérêts de leur Faculté et non leurs intérêts personnels.
■ Sites Internet
Université Panthéon-Assas : http://www.u-paris2.fr/CHAINAIS/0/fiche___annuaireksup/
Ministère de l’enseignement et de la recherche : http://www.enseignementsup-recherche.gouv.fr/
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