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@ V. Duval
Virgine Duval
Virginie Duval, secrétaire générale de l’Union syndicale des magistrats (USM), répond à nos questions sur la crise de la justice. En effet, le Livre Blanc de l’USM de l’automne 2010 a recensé les profondes difficultés du système judiciaire, tant en ce qui concerne les ressources humaines que les moyens matériels.
Pourtant, selon le rapport 2010 sur la qualité de la justice de la Commission européenne pour l’efficacité de la justice (CEPEJ), et comme l’indique le gouvernement, la part consacrée à la Justice dans le budget national français est en progression depuis cinq ans. Existerait-il d’autres nerfs de la guerre que les finances ? Multiplicité des réformes, indicateurs de performance, statut des magistrats, défiance présidentielle (v. éditorial F. Rome, D. 2011), autant de réponses de la représentante des magistrats à des questions auxquelles nous devons aussi, chers lecteurs, être attentifs.
Selon le rapport 2010 de la CEPEJ, notre pays se situait en 2008 au 37e rang sur 43 pour le budget public annuel total alloué au système judiciaire rapporté au PIB (p. 46). Comment faut-il interpréter ce classement ?
Il s'agit d'une nouvelle détérioration des conditions dans lesquelles la justice est contrainte d'exercer ses missions, puisque la France a reculé de deux places depuis 2008. Ce même rapport de la CEPEJ relève aussi que le budget total annuel alloué aux services judiciaires n'a augmenté que de 0,8 % entre 2006 et 2008 alors que dans le même temps, la hausse était de 17,7 % en Europe.
Cela se traduit concrètement par un manque criant de personnels dans les services judiciaires : 3 procureurs pour 100 000 habitants (pour une moyenne européenne de 10,4) ; 9,1 juges professionnels pour 100 000 habitants (la moyenne européenne est de 20,6) ; 39e sur 45 pour le nombre de fonctionnaires de justice pour 100 000 habitants (29,1 fonctionnaires de justice pour 100 000 habitants). Pourtant, les contentieux augmentent chaque année (+66 % d'affaires civiles nouvelles, +55 % de délits jugés, entre 2002 et 2010).
Certes le budget du ministère de la Justice augmente globalement. Cependant, ce ministère comporte l'administration pénitentiaire, les services judiciaires et la Protection judiciaire de la jeunesse, qui, elle, voit ses moyens diminuer largement. Un effort est consenti pour l'immobilier pénitentiaire qui en avait grandement besoin mais ces augmentations minimes sont très insuffisantes pour compenser une pénurie, ancienne, dans l'ensemble des services du ministère de la Justice.
Quelles sont, selon vous, les parts respectives de l’activité répressive de l’État et des réformes judiciaires dans le désarroi des juges professionnels ?
Les magistrats ne sont pas fondamentalement contestataires, ils sont profondément légalistes et dévoués, comme l'ensemble des personnels du ministère.
Mais la dégradation des conditions d'exercice de leurs fonctions, accentuée par le mépris du pouvoir exécutif à leur égard, voire des mises en cause directes de leurs décisions (en contradiction totale avec la seule voie légale de contestation d'une décision : l'appel) entraîne un désarroi profond.
C'est ainsi qu'en février, un mouvement historique de renvoi d'audiences pendant 10 jours a été suivi dans plus de 170 juridictions et que deux manifestations d'ampleur ont été organisées en février et mars, avec l'ensemble des acteurs du ministère de la Justice.
Les magistrats sont confrontés, au quotidien, à des situations juridiques et humaines très difficiles et sont prêts à l'assumer, dès lors que cela fait partie de leurs missions. Mais ils n'acceptent plus d'être jugés responsables de dysfonctionnements qui ne leur incombent pas : multiplicité des réformes, parfois incohérentes entre elles (loi sur les peines plancher d'un côté, obligation d'aménagement des peines privatives de liberté d'un autre côté, par exemple), lois créant de nouvelles charges sans moyens supplémentaires, logiciel Cassiopée — pour remplacer les différents logiciels de l’ensemble de la chaîne pénale et apporter un gain de temps — chronophage et source d'erreurs juridiques, gestion des ressources humaines limitée à la gestion de la pénurie, réforme de la carte judiciaire mise en place sans considération des besoins des justiciables, impossibilité d'exercer leurs missions en respectant l'ensemble des termes de la loi…
Le mouvement du monde judiciaire n'est pas destiné à protéger un prétendu confort d'irresponsabilité (allégation totalement infondée) mais bien à défendre une justice de qualité, égale pour tous.
Selon l’USM, ce sont principalement les affaires de tutelles des majeurs protégés (handicapés, personnes âgées, etc.) qui pâtissent le plus de l’encombrement des tribunaux. Quelles sont vos conditions de travail ?
Les affaires de tutelles des majeurs protégés ne sont que l'un des exemples d'encombrement des tribunaux. Les services pénaux et civils sont très largement engorgés et malgré un nombre plus important de décisions rendues par les magistrats (entre 3 et 8 % selon les juridictions et les affaires, entre 2009 et 2011), les délais de traitement des affaires augmentent, peu à peu mais de manière constante.
Les magistrats peinent à rendre des décisions de qualité comme ils le souhaiteraient, les « indicateurs de performance » étant basés plus sur la quantité que sur la qualité…
Lorsque nous avons visité plus de 150 juridictions en 2010 pour établir notre Livre Blanc, nous avons été frappés par le mal être de nombreux collègues, greffiers et fonctionnaires… et pourtant, sans leur dévouement, la machine judiciaire exploserait.
Quelles seraient, selon vous, les mesures urgentes propres à remédier au déséquilibre du système pénal français mis en exergue par les condamnations de la Cour européenne des droits de l’homme (v., sur la garde à vue, arrêt Brusco ; sur le procureur de la République, arrêt Moulin) et le Conseil constitutionnel (v., sur la garde à vue, Décis. QPC du 30 juillet 2010) ?
Les procédures doivent être sécurisées par une loi équilibrée sur la garde à vue. Le système français a dû être condamné par la CEDH, le Conseil constitutionnel et la Cour de cassation pour être revu. Mais au-delà de l'urgence de ce texte à venir, il est maintenant important de veiller à ce que ce texte ne comporte pas de vides juridiques susceptibles de fragiliser les procédures.
Une pause législative est également nécessaire, parallèlement à un bilan des multiples lois pénales récemment votées, qui n'apparaissent pas efficaces pour lutter contre la délinquance.
Enfin, il est indispensable que le statut des magistrats du parquet soit aligné sur celui des magistrats du siège, s'agissant de leurs conditions de nomination et de leur discipline, afin de lever le soupçon, justifié ou non, d'intervention du pouvoir exécutif dans le traitement des affaires pénales. Une telle réforme n'est absolument pas incompatible avec la nécessité de mener une politique pénale cohérente sur le plan national.
Questionnaire de Désiré Dalloz
Quel est votre meilleur souvenir d’étudiant ? Ou le pire ?
Sans citer un souvenir précis, je ne peux que garder à l'esprit que ce sont ces années, certes parfois difficiles, qui m'ont permis d'exercer aujourd'hui exactement le métier que je souhaitais.
Quel est votre héros de fiction préféré ?
Le docteur Rieux, de La Peste de Camus. Il parvient à concilier les exigences de son métier et une indiscutable humanité.
Quel est votre droit de l’homme préféré ?
Le droit à la vie, dont le caractère essentiel est mis en exergue par la Convention européenne des droits de l'homme.
Références
« Voie de recours de droit commun (ordinaire) de réformation ou d’annulation par laquelle un plaideur porte le procès devant une juridiction du degré supérieur, voire devant la même juridiction autrement composée (appel des décisions rendues par la cour d’assises en premier ressort). »
« Les magistrats du siège, par opposition à ceux du parquet, sont les magistrats qui reçoivent la mission de juger. »
« Magistrats composant le ministère public dans chaque tribunal de grande instance, placés sous l’autorité d’un procureur de la République. Il est tenu une liste de rang des membres du parquet (procureur, procureur-adjoint, vice-procureur, substitut) déterminant la place de chacun dans les cérémonies publiques, les assemblées générales et les formations de la juridiction. »
Sources : Lexique des termes juridiques 2011, 18e éd., Dalloz, 2010.
■ Commission européenne pour l'efficacité de la justice (CEPEJ) — Rapport d'évaluation des systèmes judiciaires européens — édition 2010 (données 2008) : Efficacité et qualité de la justice.
■ Livre blanc 2010 — L’état de la justice en France (Bilan d’un an de visites dans les juridictions) Union syndicale des magistrats.
■ F. Rome, Les petits pois en ont gros sur la patate… D. 2011. 361.
■ CEDH 14 oct. 2010, Brusco c. France v. Dalloz actu étudiants, 27 oct. 2010.
■ CEDH 23 nov. 2010, Moulin c. France v. Dalloz actu étudiants, 1er déc. 2010.
■ Cons. Const., Décision 2010-14/22 QPC du 30 juill. 2010, v. Dalloz actu étudiants, 14 sept. 2010.
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