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Procédure pénale
Contrôle du parquet sur la garde à vue : nouvelle offensive de la CEDH
Mots-clefs : Garde à vue, Détention, Ministère public (contrôle, statut, indépendance)
Par un arrêt du 23 novembre 2010, la Cour européenne condamne la France pour violation de l'article 5, § 3, de la Convention, la requérante ayant été présentée à un « juge ou un autre magistrat habilité par la loi à exercer des fonctions judiciaires » plus de cinq jours après son arrestation et son placement en garde à vue.
Si l'arrêt rendu par la Grande chambre dans l'affaire Medvedyev pouvait entretenir les doutes quant à la conventionnalité de l'intervention du parquet pendant la garde à vue (CEDH, gde ch., 29 mars 2010, Medvedyev c. France), l'arrêt Moulin du 23 novembre 2010 semble bel et bien les dissiper. La Cour européenne y énonce en effet clairement que « du fait de leur statut […], les membres du ministère public, en France, ne remplissent pas l'exigence d'indépendance à l'égard de l'exécutif, qui, selon une jurisprudence constante, compte, au même titre que l'impartialité, parmi les garanties inhérentes à la notion autonome de "magistrat", au sens de l'article 5, § 3 » (§ 57).
La Cour de Strasbourg était saisie d'une affaire concernant une avocate, arrêtée en 2005 sur commission rogatoire dans le cadre d'une procédure suivie pour trafic de stupéfiants et blanchiment des produits de ce trafic. Dans sa requête, l'avocate toulousaine alléguait que, détenue durant cinq jours avant d'être présentée à un « juge ou un autre magistrat habilité par la loi à exercer des fonctions judiciaires », elle n'avait pas été « aussitôt » traduite devant une telle autorité, comme l'exige l'article 5, § 3 de la Convention. Ce texte dispose en effet que « toute personne arrêtée ou détenue, dans les conditions prévues au paragraphe 1, c), du présent article, doit être aussitôt traduite devant un juge ou un autre magistrat habilité par la loi à exercer des fonctions judiciaires et a le droit d'être jugée dans un délai raisonnable, ou libérée pendant la procédure ».
Dans sa décision, la Cour prend pour point de départ de son appréciation l'arrêt Medvedyev. Elle relève en l'espèce que, « pendant la période qui s'est écoulée entre son placement en garde à vue le 13 avril 2005 […] et sa présentation aux deux juges d'instruction d'Orléans le 18 avril 2005 […], pour l'interrogatoire de "première comparution", la requérante n'a pas été entendue personnellement par les juges d'instruction […] afin qu'ils se prononcent […] sur le bien-fondé de la détention » (§ 51). La Cour se pose alors la question de savoir si la requérante a été « aussitôt » traduite devant un juge ou un magistrat habilité par la loi à exercer des fonctions judiciaires. À cet égard, elle relève que l'intéressée a été présentée au procureur adjoint du tribunal de grande instance de Toulouse le 15 avril 2005, à l'issue de sa garde à vue. S'ensuit une analyse détaillée du statut de membre du ministère public : la dépendance vis-à-vis d'un supérieur hiérarchique commun — le garde des Sceaux, membre de l'exécutif —, l'absence d'inamovibilité, l'autorité et le contrôle des chefs hiérarchiques, l'obligation de requérir conformément aux instructions données dans les conditions des articles 36, 37 et 44 du code de procédure pénale (§ 56). Précisant qu'il ne lui appartient pas de prendre position dans le débat interne concernant le lien de dépendance effective entre le ministre de la Justice et le ministère public, la Cour considère que, du fait de leur statut, les membres du ministère public ne remplissent pas l'exigence d'indépendance à l'égard de l'exécutif (§ 57 préc.). Pointant encore l'indivisibilité du parquet et son monopole sur l'exercice de l'action publique, elle estime qu'en l'espèce, « le procureur adjoint de Toulouse […] ne remplissait pas, au regard de l'article 5, § 3, de la Convention, les garanties d'indépendance exigées par la jurisprudence pour être qualifié, au sens de cette disposition, de "juge ou autre magistrat habilité par la loi à exercer des fonctions judiciaires" » (§ 60). Dans ces conditions, le délai de présentation à un magistrat capable d'examiner le bien-fondé de la détention de la requérante, de plus de cinq jours, a excédé les limites posées par la jurisprudence européenne (v. CEDH 29 nov. 1988, Brogan et autres c. Royaume-Uni, pour un délai de 4 jours et 6 heures jugé contraire à l'art. 5, § 3) et il y a donc eu violation de la Convention.
Cette décision, rendue quelques jours seulement après la passation de pouvoirs place Vendôme, risque, après les arrêts relatifs à la garde à vue (v., dans l'ordre, Cons. const. 30 juill. 2010 ; CEDH 14 oct. 2010, Brusco c. France ; Crim. 19 oct. 2010), de compromettre les projets de réformes visant à supprimer le juge d'instruction sans modifier le statut du parquet…
CEDH 23 nov. 2010, Moulin c. France, n° 37104/06
Références
« Acte par lequel un magistrat délègue ses pouvoirs à un autre magistrat ou à un officier de police judiciaire, pour qu’il exécute à sa place un acte d’instruction. »
« Ensemble des magistrats de carrière qui sont chargés, devant certaines juridictions, de requérir l’application de la loi et de veiller aux intérêts généraux de la société.
Indépendants des juges du siège, les magistrats du parquet sont hiérarchisés et ne bénéficient pas de l’inamovibilité.
En matière civile, le ministère public peut être partie principale ou partie jointe. En matière pénale, il est toujours partie principale. »
« Magistrats composant le ministère public dans chaque tribunal de grande instance, placés sous l’autorité d’un procureur de la République. Il est tenu une liste de rang des membres du parquet (procureur, procureur-adjoint, vice-procureur, substitut) déterminant la place de chacun dans les cérémonies publiques, les assemblées générales et les formations de la juridiction. »
Lexique des termes juridiques 2011, 18e éd., Dalloz, 2010.
■ CEDH, gde ch., 29 mars 2010, Medvedyev c. France, n° 3394/03, Dalloz Actu Étudiant 8 avr. 2010.
■ CEDH 29 nov. 1988, Brogan et autres c. Royaume-Uni, série A n° 145-B.
■ Cons. const. 30 juill. 2010, n° 2010-14/22 QPC, Dalloz Actu Étudiant 14 sept. 2010.
■ CEDH 14 oct. 2010, Brusco c. France, Dalloz Actu Étudiant 27 oct. 2010.
■ Crim. 19 oct. 2010 [3 arrêts], Dalloz Actu Étudiant 27 oct. 2010.
■ Article 5 § 3 de la Convention européenne des droits de l’homme
« Toute personne arrêtée ou détenue, dans les conditions prévues au paragraphe 1.c du présent article, doit être aussitôt traduite devant un juge ou un autre magistrat habilité par la loi à exercer des fonctions judiciaires et a le droit d'être jugée dans un délai raisonnable, ou libérée pendant la procédure. La mise en liberté peut être subordonnée à une garantie assurant la comparution de l'intéressé à l'audience. »
■ Code de procédure pénale
« Le procureur général peut enjoindre aux procureurs de la République, par instructions écrites et versées au dossier de la procédure, d'engager ou de faire engager des poursuites ou de saisir la juridiction compétente de telles réquisitions écrites que le procureur général juge opportunes. »
« Le procureur général a autorité sur tous les officiers du ministère public du ressort de la cour d'appel. »
« Le procureur de la République a autorité sur les officiers du ministère public près les tribunaux de police et les juridictions de proximité de son ressort. Il peut leur dénoncer les contraventions dont il est informé et leur enjoindre d'exercer des poursuites. Il peut aussi, le cas échéant, requérir l'ouverture d'une information. »
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