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Procédure pénale
La garde à vue française est contraire au droit à un procès équitable
Mots-clefs : Garde à vue, Inconstitutionnalité, Procès équitable, Art. 6 Conv. EDH, Assistance, Avocat, Projet de loi
La chambre criminelle estime contraires au droit à un procès équitable les dispositions régissant la garde à vue, consacrant la jurisprudence européenne rendue sur le fondement de l’article 6 Conv. EDH.
« Sauf exceptions justifiées par des raisons impérieuses tenant aux circonstances particulières de l'espèce, et non à la seule nature du crime ou délit reproché, toute personne soupçonnée d'avoir commis une infraction doit, dès le début de la garde à vue, être informée de son droit de se taire et bénéficier, sauf renonciation non équivoque, de l'assistance d'un défenseur ». Tel est l'attendu énoncé par la chambre criminelle, en sa formation plénière, dans un arrêt du 19 octobre 2010 (n° 10-82.902), et qui sous-tend la solution adoptée dans deux autres arrêts du même jour (nos 10-82.306 et 10-82.051).
Après le Conseil constitutionnel, qui avait statué sur la constitutionnalité de la mesure, par décision du 30 juillet 2010 (v. « Inconstitutionnalité de la garde à vue de droit commun et avant-projet de loi de réforme… », Dalloz Actu Étudiant 14 sept. 2010), la Haute cour délivre donc son « brevet de conventionalité » à la garde à vue française, en (im)posant le respect des principes suivants :
– la restriction du droit à l'assistance par un avocat dès le début de la mesure, en application de l'article 706-88 du Code de procédure pénale, doit répondre à l'exigence d'une raison impérieuse, laquelle ne peut découler de la seule nature de l'infraction ;
– la personne gardée à vue doit être informée de son droit de garder le silence ;
– elle doit également bénéficier de l'assistance d'un avocat dans des conditions lui permettant d'organiser sa défense et de préparer ses interrogatoires, auxquels l'avocat doit pouvoir assister.
Ces principes énoncés, restait un problème majeur à régler : celui de leur application dans le temps. La chambre criminelle contourne la difficulté, emboîtant, en quelque sorte, le pas du Conseil constitutionnel, en recourant au principe de sécurité juridique et à l'objectif de valeur constitutionnelle de bonne administration de la justice. Elle précise ainsi que chaque arrêt « n'encourt pas l'annulation dès lors que les règles qu'il énonce ne peuvent s'appliquer immédiatement à une garde à vue conduite dans le respect des dispositions législatives en vigueur lors de sa mise en œuvre, sans porter atteinte au principe de sécurité juridique et à la bonne administration de la justice », et que « ces règles prendront effet lors de l'entrée en vigueur de la loi devant, conformément à la décision du Conseil constitutionnel du 30 juillet 2010, modifier le régime juridique de la garde à vue, ou, au plus tard, le 1er juillet 2011 ».
Ces arrêts suivent de peu la condamnation de la France par la Cour européenne des droits de l'homme dans l'affaire Brusco, pour violation du droit de ne pas contribuer à la propre incrimination. En l'espèce — antérieure à la loi Perben 2 du 9 mars 2004 (désormais, en effet, l'article 153 du Code de procédure pénale prévoit que l'obligation de prêter serment et de déposer n'est pas applicable aux personnes gardées à vue sur commission rogatoire du juge d'instruction) —, un individu placé en garde à vue sur commission rogatoire du juge d'instruction avait été entendu comme témoin avec obligation « de dire toute la vérité, rien que la vérité » et obligation de déposer. La Cour de Strasbourg estime ici que le fait d'avoir dû prêter serment avant de déposer, et le risque de poursuites pénales en cas de témoignage mensonger, ont constitué pour le requérant une forme de pression, incompatible avec le droit à un procès équitable, notamment le droit de ne pas s'auto-incriminer. Elle considère ainsi que dès l'interpellation et le placement en garde à vue, les autorités disposaient de raisons plausibles de soupçonner que le requérant était impliqué dans la commission de l'infraction recherchée ; partant, elle juge « purement formel » l'argument selon lequel celui-ci n'avait été entendu qu'à titre de témoin et non de suspect. La violation de l'article 6 Conv. EDH est donc constatée et une satisfaction équitable allouée. Surtout, les magistrats en profitent pour rappeler quelques « fondamentaux » en matière de garde à vue, tels qu'issus des arrêts Dayanan et Salduz c. Turquie (CEDH 13 oct. 2009 ; 27 nov. 2008) notamment : l'avocat doit assister l'intéressé dès le début de la mesure et pendant les interrogatoires pour que la mesure soit conforme aux dispositions de l'article 6. Un message bien reçu, donc, par la Cour de cassation !
On rappellera qu'un projet de loi relatif à la garde à vue, censé tirer les leçons de la décision d'inconstitutionnalité du 30 juillet 2010, a été présenté au Conseil des ministres du 13 octobre 2010. Celui-ci devra, vraisemblablement, être revu. La Chancellerie a d'ores et déjà annoncé que le texte serait complété par des dispositions relatives aux régimes dérogatoires. Reste que les conditions d'intervention de l'avocat et, surtout, les modalités envisagées pour l’audition libre, semblent, en l'état, difficilement compatibles avec les principes nouvellement posés…
CEDH 14 oct. 2010, Brusco c. France, n° 1466/07
Crim. 19 oct. 2010, FP-P+B+I+R, n° 10-82.902
Crim. 19 oct. 2010, FP-P+B+I+R, n° 10-82.306
Crim. 19 oct. 2010, FP-P+B+I+R, n° 10-85.051
Références
« Mission donnée par un juge à un agent de l’autorité publique, aux fins de surveillance (juge-commissaire dans les procédures collectives de liquidation), de remplacement (magistrat chargé d’instruire à la place de la juridiction qualifiée, pour cause d’éloignement), de conservation (huissier désigné pour rétablir la minute de la décision au greffe) ou de règlement d’une situation juridique (notaire commis pour liquidation de régime matrimonial).
Commission rogatoire : Se dit aussi de l’agrément nécessaire à l’exercice régulier de certaines fonctions, telles celles du garde champêtre qui doit être dûment commissionné par le sous-préfet. »
« Magistrat du siège du tribunal de grande instance désigné dans cette fonction pour trois années renouvelables. Il constitue la juridiction d’instruction du premier degré. Sa disparition au profit d’un juge de l’instruction ou de l’enquête est annoncée. »
« Le droit à un procès équitable constitue aujourd’hui la pierre angulaire des procédures juridictionnelles. Il faut l’entendre comme le droit à un procès équilibré entre toutes les parties (equus = équilibre) dont les principales manifestations, dans la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, sont : le droit à un recours effectif devant un tribunal; le droit à un tribunal indépendant et impartial; le droit à un procès public, respectant l’égalité des armes et conduisant à un jugement rendu dans un délai raisonnable; le droit à l’exécution effective de la décision obtenue.
Issu du droit naturel, le droit à un procès équitable est devenu un droit substantiel, la garantie de la garantie des droits. »
Lexique des termes juridiques 2011, 18e éd., Dalloz, 2010.
■ « Inconstitutionnalité de la garde à vue de droit commun et avant-projet de loi de réforme… », Dalloz Actu Étudiant 14 sept. 2010.
■ « Garde à vue : le feuilleton continue », Dalloz Actu Étudiant 19 oct. 2010.
■ « Focus sur Daniel Soulez-Larivière », Dalloz Actu Étudiant 12 oct. 2010.
■ « Garde à vue : absence d'avocat validée par la cour d'appel de Paris », Dalloz Actu Étudiant 25 février 2010.
■ Cons. const. 30 juill. 2010, n° 2010-14/22 QPC, Dalloz Actu Étudiant 14 sept. 2010.
■ CEDH 13 oct. 2009, Dayanan c. Turquie, req. n° 7377/03, « Point sur… la légalité des gardes à vue », Dalloz Actu Étudiant 4 déc. 2009.
■ CEDH 27 nov. 2008, Salduz c. Turquie, req. n° 36391/02, « Point sur… la légalité des gardes à vue », Dalloz Actu Étudiant 4 déc. 2009.
■ Article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme - Droit à un procès équitable
« 1. Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable, par un tribunal indépendant et impartial, établi par la loi, qui décidera, soit des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil, soit du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle. Le jugement doit être rendu publiquement, mais l'accès de la salle d'audience peut être interdit à la presse et au public pendant la totalité ou une partie du procès dans l'intérêt de la moralité, de l'ordre public ou de la sécurité nationale dans une société démocratique, lorsque les intérêts des mineurs ou la protection de la vie privée des parties au procès l'exigent, ou dans la mesure jugée strictement nécessaire par le tribunal, lorsque dans des circonstances spéciales la publicité serait de nature à porter atteinte aux intérêts de la justice.
2. Toute personne accusée d'une infraction est présumée innocente jusqu'à ce que sa culpabilité ait été légalement établie.
3. Tout accusé a droit notamment à :
a) être informé, dans le plus court délai, dans une langue qu'il comprend et d'une manière détaillée, de la nature et de la cause de l'accusation portée contre lui ;
b) disposer du temps et des facilités nécessaires à la préparation de sa défense ;
c) se défendre lui-même ou avoir l'assistance d'un défenseur de son choix et, s'il n'a pas les moyens de rémunérer un défenseur, pouvoir être assisté gratuitement par un avocat d'office, lorsque les intérêts de la justice l'exigent ;
d) interroger ou faire interroger les témoins à charge et obtenir la convocation et l'interrogation des témoins à décharge dans les mêmes conditions que les témoins à charge ;
e) se faire assister gratuitement d'un interprète, s'il ne comprend pas ou ne parle pas la langue employée à l'audience. »
■ Code de procédure pénale
« Tout témoin cité pour être entendu au cours de l'exécution d'une commission rogatoire est tenu de comparaître, de prêter serment et de déposer. Lorsqu'il n'existe aucune raison plausible de soupçonner qu'il a commis ou tenté de commettre une infraction, il ne peut être retenu que le temps strictement nécessaire à son audition.
S'il ne satisfait pas à cette obligation, avis en est donné au magistrat mandant qui peut le contraindre à comparaître par la force publique. Le témoin qui ne comparaît pas encourt l'amende prévue par l'article 434-15-1 du code pénal.
L'obligation de prêter serment et de déposer n'est pas applicable aux personnes gardées à vue en application des dispositions de l'article 154. Le fait que les personnes gardées à vue aient été entendues après avoir prêté serment ne constitue toutefois pas une cause de nullité de la procédure. »
« Pour l'application des articles 63, 77 et 154, si les nécessités de l'enquête ou de l'instruction relatives à l'une des infractions entrant dans le champ d'application de l'article 706-73 l'exigent, la garde à vue d'une personne peut, à titre exceptionnel, faire l'objet de deux prolongations supplémentaires de vingt-quatre heures chacune.
Ces prolongations sont autorisées, par décision écrite et motivée, soit, à la requête du procureur de la République, par le juge des libertés et de la détention, soit par le juge d'instruction.
La personne gardée à vue doit être présentée au magistrat qui statue sur la prolongation préalablement à cette décision. La seconde prolongation peut toutefois, à titre exceptionnel, être autorisée sans présentation préalable de la personne en raison des nécessités des investigations en cours ou à effectuer.
Lorsque la première prolongation est décidée, la personne gardée à vue est examinée par un médecin désigné par le procureur de la République, le juge d'instruction ou l'officier de police judiciaire. Le médecin délivre un certificat médical par lequel il doit notamment se prononcer sur l'aptitude au maintien en garde à vue, qui est versé au dossier. La personne est avisée par l'officier de police judiciaire du droit de demander un nouvel examen médical. Ces examens médicaux sont de droit. Mention de cet avis est portée au procès-verbal et émargée par la personne intéressée ; en cas de refus d'émargement, il en est fait mention.
Par dérogation aux dispositions du premier alinéa, si la durée prévisible des investigations restant à réaliser à l'issue des premières quarante-huit heures de garde à vue le justifie, le juge des libertés et de la détention ou le juge d'instruction peuvent décider, selon les modalités prévues au deuxième alinéa, que la garde à vue fera l'objet d'une seule prolongation supplémentaire de quarante-huit heures.
La personne dont la garde à vue est prolongée en application des dispositions du présent article peut demander à s'entretenir avec un avocat, selon les modalités prévues par l'article 63-4, à l'issue de la quarante-huitième heure puis de la soixante-douzième heure de la mesure ; elle est avisée de ce droit lorsque la ou les prolongations lui sont notifiées et mention en est portée au procès-verbal et émargée par la personne intéressée ; en cas de refus d'émargement, il en est fait mention. Toutefois, lorsque l'enquête porte sur une infraction entrant dans le champ d'application des 3° et 11° de l'article 706-73, l'entretien avec un avocat ne peut intervenir qu'à l'issue de la soixante-douzième heure.
S'il ressort des premiers éléments de l'enquête ou de la garde à vue elle-même qu'il existe un risque sérieux de l'imminence d'une action terroriste en France ou à l'étranger ou que les nécessités de la coopération internationale le requièrent impérativement, le juge des libertés peut, à titre exceptionnel et selon les modalités prévues au deuxième alinéa, décider que la garde à vue en cours d'une personne, se fondant sur l'une des infractions visées au 11° de l'article 706-73, fera l'objet d'une prolongation supplémentaire de vingt-quatre heures, renouvelable une fois.
À l'expiration de la quatre-vingt-seizième heure et de la cent-vingtième heure, la personne dont la prolongation de la garde à vue est ainsi décidée peut demander à s'entretenir avec un avocat, selon les modalités prévues par l'article 63-4. La personne gardée à vue est avisée de ce droit dès la notification de la prolongation prévue au présent article.
Outre la possibilité d'examen médical effectué à l'initiative du gardé à vue, dès le début de chacune des deux prolongations supplémentaires, il est obligatoirement examiné par un médecin désigné par le procureur de la République, le juge d'instruction ou l'officier de police judiciaire. Le médecin requis devra se prononcer sur la compatibilité de la prolongation de la mesure avec l'état de santé de l'intéressé.
S'il n'a pas été fait droit à la demande de la personne gardée à vue de faire prévenir, par téléphone, une personne avec laquelle elle vit habituellement ou l'un de ses parents en ligne directe, l'un de ses frères et sœurs ou son employeur, de la mesure dont elle est l'objet, dans les conditions prévues aux articles 63-1 et 63-2, elle peut réitérer cette demande à compter de la quatre-vingt-seizième heure. »
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