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[ 10 décembre 2018 ] Imprimer

De quelques informations « juridiques » fallacieuses

Les réseaux sociaux sont à la fois magnifiques et tragiques. Magnifiques car ils permettent aux citoyens de s’exprimer et de retrouver une voix dont ils étaient privés. Tragiques en ce qu’ils permettent aux informations fallacieuses de prospérer, le réseau sur lequel elles sont diffusées servant à les légitimer. Plus le nombre de « likes » est important, plus l’information apparaît vraisemblable. 

Dans cette ère de la post-vérité, la vérité se délite et s’atomise. Il n’y aurait pas une Vérité mais des vérités, comme si la Vérité pouvait être relative. Certes, celle-ci n’est pas nécessairement atteignable, faute de pouvoir être prouvée. Cela ne permet pourtant pas de la démultiplier à l’infini et de mettre des vérités sur un pied d’égalité.

Il n’est certes pas nécessaire de faire des études supérieures pour penser par soi-même et se documenter. Les études de droit permettent toutefois à ceux qui les suivent de disposer d’une grille de lecture fiable leur permettant de détecter les informations fallacieuses, au moins lorsqu’elles touchent aux règles de droit et à nos institutions.

Or, ces fausses informations pullulent aujourd’hui. Elles sont souvent lancées par des personnes peu scrupuleuses souhaitant alimenter la défiance des citoyens envers les Institutions.

L’abrogation de la Constitution. D’abord, il aurait échappé aux citoyens que la Constitution de la Ve République aurait été abrogée. La Président de la République ne serait donc qu’un usurpateur, doublé d’un dictateur. La faute au… décret n° 2016-1675 du 5 décembre 2016 portant création de l'inspection générale de la justice. Ce décret mettrait à bas la séparation des pouvoirs de sorte que la Constitution aurait cessé d’exister au 1er janvier 2017. 

C’est évidemment faux. 

Pour faire simple, dans la hiérarchie des normes, le décret se situe bien loin en dessous de la Constitution. Si un décret venait à violer la Constitution, c’est le décret qui cèderait. D’ailleurs, dans une décision du 26 mars 2018, le Conseil d’État a annulé, pour illégalité, l’article 2 du décret précité « en tant qu'il inclut la Cour de cassation dans le champ de la mission permanente d'inspection, de contrôle, d'étude, de conseil et d'évaluation exercée par l'inspection générale de la justice » (n° 406066). 

Pour le reste, le décret en question a été jugé conforme aux normes supérieures, c’est-à-dire à la loi et à la Constitution.

Nous avons donc toujours une Constitution.

La loi Schiappa légaliserait la pédophilie. Ensuite, la loi n° 2018-703 du 3 août 2018 renforçant la lutte contre les violences sexuelles et sexistes dite « loi Schiappa » légaliserait la pédophilie. Pourquoi ? Parce que si un mineur de 15 ans ne parvenait pas à démontrer qu’il n’avait pas consenti à un rapport sexuel avec un adulte, l’adulte en question ne risquerait pas de peine.

Tout ceci est faux. 

Chacun se souvient que le débat sur le consentement des jeunes mineurs à un rapport sexuel a été relancé à la suite de deux faits divers. Un parquet, d’abord, avait renoncé à la qualification de viol sur une mineure de 11 ans, estimant qu’il n’était pas en mesure de prouver la contrainte, la menace, la surprise ou la violence. Une Cour d’assise avait, ensuite, acquitté des faits de viol un adulte ayant eu un rapport sexuel avec une mineure de 11 ans, faute de pouvoir démontrer, là encore, l’absence de consentement.

L’émotion suscitée par ces décisions a poussé les pouvoirs publics à s’interroger sur la possibilité de mettre en place une présomption de non consentement pour les mineurs de moins de 15 ou 13 ans. Finalement, devant les difficultés juridiques posées par cette présomption, le choix a été fait de renforcer les moyens de démontrer l’existence d’une contrainte ou d’une surprise sur les jeunes mineures (V. Dalloz Actu Étudiant, Le Billet du 17 sept. 2018).

Quoi qu’il en soit, les rapports sexuels entre un adulte et un mineur de 15 ans étaient interdits avant la loi Schiappa et le sont toujours après. Indépendamment du consentement du mineur, l’adulte qui a un rapport sexuel avec un mineur de 15 ans encourt une peine, par ailleurs aggravée par la loi Schiappa, au titre de l’atteinte sexuelle. Si la menace, la surprise, la violence, ou la contrainte est prouvée, l’adulte encourt une peine plus lourde au titre, cette fois, du viol, la loi Schiappa ayant l’ambition de permettre aux juges de démontrer plus facilement la contrainte ou la surprise subie par les jeunes mineurs.

On regrettera, à ce titre, que les suites de l’acquittement de l’adulte ayant eu un rapport sexuel avec une mineure de 11 ans n’aient pas suscité plus d’intérêt. En effet, le parquet ayant fait appel, l’adulte en question a finalement été condamné des faits de viol, le tout sous l’empire de la loi ancienne. C’est dire qu’il est toujours imprudent de céder à l’émotion engendrée par une affaire, a fortiori lorsque la procédure judiciaire n’est pas parvenue à son terme.

Le Pacte mondial sur les migrations. Enfin, une théorie du complot particulièrement alambiquée prospère actuellement sur les réseaux sociaux. La France serait sur le point de signer, à Marrakech, un traité international qui créerait un « droit à la migration » et qui aurait pour conséquence inéluctable d’entraîner une « déferlante migratoire » sur l’Europe en général et l’Hexagone en particulier. Il est d’ailleurs triste de constater que cette rhétorique, aussi viciée que vicieuse, est présente chez les « gilets jaunes ».

Là encore, c’est purement fallacieux.

Il y a tant de fausses informations, d’interprétations erronées, de vidéos d’inconnus outragés sur le sujet qu’il est difficile de trouver le projet de texte sur internet, celui-ci étant relégué très loin dans les résultats donnés par les moteurs de recherche.

Le voici

Ce texte présente une vision équilibrée de la question migratoire à l’échelle mondiale et affiche en deuxième objectif de « Lutter contre les facteurs négatifs et les problèmes structurels qui poussent des personnes à quitter leur pays d’origine ». C’est dire que, loin d’encourager les migrations, ce pacte affiche, dans ses objectifs premiers, de faire en sorte que des personnes n’aient plus comme seule alternative de quitter leur pays.

L’objectif 6 est, d’ailleurs, de « Favoriser des pratiques de recrutement justes et éthiques » ce qui, en creux, démontre bien que les États sont libres de choisir les migrants qu’ils souhaitent recevoir, à condition toutefois que la méthode de « recrutement » soit « juste et éthique ».

Prétendre que ce pacte entend offrir un « droit à la migration » est un mensonge éhonté.

Prétendre que ce pacte est contraignant et entrainera une « déferlante migratoire » est une contrevérité monumentale.

En effet, ce texte ne constitue qu’une déclaration d’intention, celle de coopérer à l’échelon mondial sur la question migratoire. Il n’est donc qu’un guide de bonnes pratiques, absolument non contraignant en tant que tel.

Dans son préambule, le projet de texte l’énonce clairement : « le Pacte mondial réaffirme le droit souverain des États de définir leurs politiques migratoires nationales et leur droit de gérer les migrations relevant de leur compétence, dans le respect du droit international. Compte tenu de la diversité́ des situations, des politiques, des priorités et des conditions d’entrée, de séjour et de travail des pays, les États peuvent, dans les limites de leur juridiction souveraine, opérer la distinction entre migrations régulières et irrégulières, notamment lorsqu’ils élaborent des mesures législatives et des politiques aux fins de l’application du Pacte mondial, conformément au droit international ».

Certes le texte prévoit que les signataires s’engagent « à atteindre les objectifs du Pacte mondial et à honorer les engagements qui y sont pris, en accord avec notre vision et nos principes directeurs, en prenant des mesures concrètes à tous les niveaux pour favoriser des migrations sures, ordonnées et régulières à toutes les étapes ».

Mais puisque le texte n’est pas contraignant, aucun organe n’est chargé de vérifier que les objectifs sont atteints par les États signataires et aucune sanction n’est prévue si les objectifs ne sont pas atteints.

Tout le vocabulaire de ce projet de texte est d’ailleurs non contraignant, les États membres étant simplement « encouragés » « à élaborer dans les meilleurs délais des initiatives nationales ambitieuses en vue de la mise en œuvre du Pacte mondial et à procéder à des examens réguliers et sans exclusive au niveau national, par exemple en élaborant et en utilisant sur une base volontaire un plan national de mise en œuvre ».

Penser par soi-même et s’informer à partir de sources fiables est plus que jamais nécessaire.

Les colères sont parfois saines. Elles ne le sont plus lorsqu’elles sont alimentées par des mensonges qui poussent à la déraison. 

 

Auteur :Mathias Latina


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