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Le billet
Du viol sur mineur de quinze ans par un majeur et de l’inceste
Par la loi du 3 août 2018 renforçant la lutte contre les violences sexuelles et sexistes, le législateur avait souhaité renforcer la répression des infractions sexuelles commises sur les mineurs.
D’abord, la peine réprimant le délit d’atteinte sexuelle sur mineur de quinze ans était passée de cinq d’emprisonnement et 75.000 euros d’amende à sept ans d’emprisonnement et 100.000 euros d’amende (C. pén., art. 227-25).
Ensuite, la prescription des infractions de nature sexuelle, commises à l’encontre des mineurs, avait été portée à trente ans, le délai ne commençant à courir qu’à compter de la majorité de la victime, ce qui permettait à ces dernières d’agir jusqu’à l’âge de 48 ans, indépendamment de la date de commission des faits.
Poussé par l’opinion publique, légitimement choquée par les viols sur mineurs, le législateur avait également envisagé de rendre automatique la qualification de viol en cas de rapports sexuels avec pénétration entre un majeur et un mineur de quinze ans. L’idée était d’éviter les débats relatifs à l’existence, ou non, du consentement de la victime mineure de quinze ans.
Face aux réticences du Conseil d’État, qui objecta que la réduction de l’élément moral de l’infraction à la seule connaissance de l’âge de la victime exposait le texte à une censure du Conseil constitutionnel (avis consultatif, 21 mars 2018), le Gouvernement abandonna son projet initial.
Il se contenta d’ajouter un alinéa 3 à l’article 222-22-1 du Code pénal, dans lequel il précisa que « lorsque les faits sont commis sur la personne d'un mineur de quinze ans, la contrainte morale ou la surprise sont caractérisées par l'abus de la vulnérabilité de la victime ne disposant pas du discernement nécessaire pour ces actes ».
De nouvelles affaires, notamment dans des contextes incestueux, ont poussé le législateur à remettre l’ouvrage sur le métier.
C’est ainsi que la proposition de loi visant à protéger les mineurs des crimes et délits sexuels et de l’inceste, adoptée par l’Assemblée nationale le 15 mars 2021, a finalement franchi le pas en créant de nouvelles infractions.
Le nouvel article 222-23-1 du Code pénal, tel que voté par l’Assemblée nationale, énonce que « constitue également un viol tout acte de pénétration sexuelle, de quelque nature qu’il soit, ou tout acte bucco‑génital commis par un majeur sur la personne d’un mineur de quinze ans ou commis sur l’auteur par le mineur, lorsque la différence d’âge entre le majeur et le mineur est d’au moins cinq ans ».
La preuve de la menace, de la contrainte, de la surprise ou de la violence, c’est-à-dire de l’absence de consentement, n’est donc plus nécessaire à la qualification de viol, lorsque ce dernier est commis par un majeur sur mineur de quinze ans.
Deux précisions doivent être faites.
D’abord, le viol, en général, et le viol sur mineur de quinze ans, en particulier, n’est plus nécessairement un acte de pénétration sexuelle commis sur la personne de la victime ou sur la personne de l’auteur. Est également un viol, le fait de pratiquer à la victime ou le fait pour la victime de pratiquer sur la personne de l’auteur un acte bucco-génital.
Un arrêt récent de la Cour de cassation (Crim. 14 oct. 2020, n° 20-83.273 : DAE 14 janv. 2021) avait choqué en ce qu’il n’avait pas censuré une décision des juges du fond qui avaient refusé de qualifier de viol le fait, pour l’auteur, d’avoir pratiqué un cunnilingus sur la personne de la victime. En l’espèce, c’est parce que la preuve d’un acte de pénétration sexuelle intentionnelle n’avait pas été rapportée que la qualification de viol n’avait pas été retenue.
Si une fellation, qui implique une pénétration, pouvait donc être qualifiée de viol, qu’elle soit subie ou pratiquée, telle n’était pas nécessairement le cas d’un cunnilingus.
La loi nouvelle, qui vise les actes « bucco-génitaux » au côté des actes de pénétration, ne permettra plus ce type de distinction et évitera que les juges ne se perdent, comme ils l’ont fait dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt du 14 octobre 2020, dans des considérations liées à la profondeur ou à l’intensité de la pénétration…
Ensuite, pour éviter les effets de seuil, le législateur a introduit une différence d’âge minimum entre le mineur de quinze ans et le majeur, à savoir cinq ans. L’idée est, notamment, d’éviter que des rapports sexuels, légaux, ne deviennent automatiquement illégaux du fait du passage à la majorité d’une des personnes.
Pour cela, il suffit d’imaginer un couple composé d’une personne de 14 ans et d’une autre de 17 ans et demi. Les rapports sexuels au sein de ce couple, à condition qu’ils soient évidemment consentis, ne sont pas illégaux. Si une différence d’âge minimum n’avait pas été introduite, les rapports sexuels au sein de ce couple seraient automatiquement tombés sous le coup de la loi pénale du seul fait du passage à la majorité d’un des membres du couple. Légaux avant la majorité de l’un d’eux, les rapports sexuels entre eux seraient devenus illégaux après celle-ci, le majeur de 18 ans encourant alors la peine prévue pour le viol, le consentement de la victime de 14 ans et demi étant indifférent.
En exigeant une différence d’âge d’au moins cinq ans, différence qui ne vaudra pas dans un contexte de prostitution, le législateur s’est donc prémuni contre cette situation absurde.
Par ailleurs, la peine encourue en cas de viol sur un mineur de quinze ans commis par un majeur est de 20 ans de réclusion criminelle. Cette peine est identique à celle prévue pour un viol sur mineur de quinze ans, indépendamment de la personne de l’auteur (C. pén., art. 222-24, 2°). Elle est toutefois significativement augmentée, si l’on se souvient que, dans le système actuel, lorsque la preuve de l’absence de consentement du mineur de quinze ans n’est pas rapportée, l’auteur encourt uniquement la peine de l’atteinte sexuelle, soit sept ans.
L’inceste fait également son entrée dans le Code pénal. Au vrai, le terme « inceste » figurait déjà dans les textes (C. pén., art. 222-31-1 s.). Un viol ou une agression sexuelle était qualifié « d’incestueux », lorsqu’il était pratiqué par certaines personnes limitativement énumérées (père, mère, frère, sœur etc.). Reste que cette qualification n’avait pas de conséquence directe sur la peine encourue. En effet, ce n’était pas le « viol incestueux » qui était sanctionné d’une peine de vingt ans de réclusion criminelle, mais, aux termes de l’article 222-24, 4° du Code pénal, le viol « commis par un ascendant ou par toute autre personne ayant sur la victime une autorité de droit ou de fait ». La seule conséquence directe du viol incestueux consistait donc dans l’obligation faite au juge de statuer sur le retrait de l’autorité parentale lorsque l’auteur de l’infraction avait une telle autorité sur la victime mineure (C. pén., art. 222-31-2).
La proposition de loi étudiée entend ainsi réparer cette anomalie en prévoyant, dans l’article 222-23-2 que « constitue un viol incestueux qualifié d’inceste tout acte de pénétration sexuelle, de quelque nature qu’il soit, ou tout acte bucco‑génital commis par un majeur sur la personne d’un mineur ou commis sur l’auteur par le mineur, lorsque le majeur est un ascendant ou toute autre personne mentionnée à l’article 222‑22‑3 ayant sur le mineur une autorité de droit ou de fait ».
On notera que, dans cette hypothèse, le seuil de la présomption de non-consentement a été fixé à 18 ans et qu’il n’y a pas de condition de différence d’âge entre le majeur et le mineur.
Le cercle des personnes susceptibles de commettre un inceste a également été étendu au grand-oncle et à la grande-tante et la peine a été fixée, comme pour le viol sur mineur de quinze ans, à 20 ans de réclusion criminelle.
Enfin, le législateur a, une fois encore, étendu la prescription, non pas en en reculant le point de départ, en en étendant la durée ou encore en créant de nouvelles causes de suspension ou d’interruption mais, de manière originale, en créant une nouvelle notion, celle de prolongation de prescription (C. pr. pén., art. 7, al. 3).
Si avant l’expiration de la prescription d’un premier viol sur mineur, l’auteur commet, sur un autre mineur, un viol, le délai de prescription du premier viol sera prolongé jusqu’à l’expiration du délai de prescription du second viol.
Il est ainsi créé, en quelque sorte, un « continuum d’infractions », la nouvelle infraction prolongeant le délai de prescription de l’infraction précédente. L’idée est d’éviter que certains viols sur mineurs commis par le même auteur soient prescrits tandis que d’autres ne le soient pas. L’auteur pourra alors être condamné pour toutes les infractions qu’il a commises, indépendamment de la date de leur commission.
Aussi, la révélation de nouvelles infractions pourrait permettre de rendre à nouveau possible des poursuites à propos d’infractions que l’on pensait prescrites. La révélation de nouveaux faits par les victimes est, en conséquence, encouragée car, de ces révélations peut dépendre le sort des infractions plus anciennes.
La solution est juridiquement habile, quoiqu’elle soit susceptible de créer des situations complexes. Comme on l’a vu, des infractions prescrites pourraient finalement ne plus l’être à la faveur de la révélation de nouveaux faits ultérieurs.
En outre, si les viols sur mineur sont des infractions particulièrement odieuses, les meurtres ne le sont-ils pas, a fortiori lorsqu’ils sont commis sur des mineurs ?
Dès lors, le traitement particulier de la prescription des viols sur mineur commis par des majeurs, mais aussi des agressions et atteintes sexuelles sur mineur, qui bénéficient du même dispositif, interroge nécessairement.
La durée et le régime de la prescription ne devraient-ils pas être uniquement guidés par la gravité des infractions ? La cohérence du droit pénal est donc, une fois encore, mise en cause par les interventions au coup par coup du Législateur…
Reste à savoir si le Sénat proposera, en deuxième lecture, des modifications du texte et si le Conseil constitutionnel trouvera à redire à la qualification de viol sur mineur de quinze ans par un majeur, indépendamment de la question du consentement de la victime.
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