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Le billet
La tête d’Henri IV
Un auteur féminin à la plume pour le Billet, une fois n’est pas coutume ! L’auteur de ces lignes a appris la nouvelle la veille de la Journée internationale des droits de la femme… Hasard ? peut-être. Il était alors tentant d’en profiter pour écrire un billet féminin, voire féministe. Mais non, c’est un homme qui a retenu son attention et plus exactement sa tête…
Le visage d’Henri IV a été reconstitué à partir des travaux menés par l'équipe du légiste et paléopathologiste Philippe Charlier. La nouvelle a fait le tour des médias. Un rapide coup d’œil sur Internet montre que le résultat est spectaculaire. Cette nouvelle n’aurait pu susciter que la curiosité de la passionnée d’histoire si au détour d’une phrase, elle n’avait entendu que cette tête était conservée par la descendance royale du « bon roi » dans le coffre d’une banque parisienne !
Peut-on vraiment entreposer, comme on le ferait pour des bijoux, de l’argent ou des photos compromettantes, une tête dans un coffre à la banque ? La détention privée de cadavres ou de restes du corps humain est-elle licite ? Il ne s’agit pas ici de remettre en cause l’enquête menée sur l’identification du crâne et sa reconstitution : l'étude scientifique et historique par des chercheurs suppose momentanément d’en disposer. Mais ensuite, quel sort réserver à cette tête ?
Bien sûr la formule de Planiol est célèbre : « Les morts ne sont plus des personnes ; ils ne sont plus rien ». En passant de vie à trépas, notre enveloppe corporelle quitte la catégorie des personnes pour entrer dans celle des choses. D’ailleurs, sont vendus sur le marché de l'art reliques, momies égyptiennes, et autres éléments du corps humain que l’on trouve parfois exposés dans nos musées ou chez un collectionneur privé. Du reste, avant d’être retrouvée et authentifiée, la tête royale avait été acquise à Drouot pour 3 francs par un brocanteur, avant d’être rachetée dans les années 1950 par un couple qui l’avait précieusement conservée au fond d'un coffre en bois dans un grenier. En outre, les restes humains sont encore des choses susceptibles d’être l’objet d’un vol (v. X. Labbée). À s’en tenir là, rien ne s’opposerait à garder une tête (historique) dans son coffre bien au chaud à la banque.
Tout de même… le cadavre est une chose mais une chose particulière à laquelle la loi confère une protection spécifique. Le droit pénal le montre bien, lui qui érige en délit l’atteinte portée à l’intégrité du cadavre (C. pén., art. 225-17, al. 1er). Ultime outrage d’ailleurs subi en 1793 lorsque justement cette tête fut séparée de son corps.
Les restes d'un défunt sont sacrés. Le législateur, dans une loi du 19 décembre 2008, l’a proclamé à travers un article 16-1-1 ajouté au Code civil disposant que : « Le respect dû au corps humain ne cesse pas avec la mort. Les restes des personnes décédées — y compris les cendres de celles dont le corps a donné lieu à crémation — doivent être traités avec respect, dignité et décence » (v. les notes de P. Bonfils, X. Labbée, G. Loiseau, et I. Corpart). Ce texte avait eu pour conséquence d’en finir avec la possibilité de conserver l’urne de grand-papa sur la cheminée (sur la question de la détention privative d'une urne funéraire à domicile, v. TGI Lille 25 janv. 2001). Et, sur ce fondement, avait été interdite l'exposition macabre « Our body » motif pris de sa finalité commerciale bassement mercantile (Civ. 1re, 16 sept. 2010 ; Paris, 30 avr. 2009 ; TGI Paris, réf., 21 avr. 2009) sans toutefois remettre en cause les expositions dans les musées. La conservation de restes humains dans les musées n’est d’ailleurs pas sans poser des problèmes éthiques et juridiques, notamment sur la question de savoir si les principes de la domanialité publique peuvent être appliqués à ces derniers (v. le débat engendré par la demande de restitution à la France des têtes maories).
Si les proches du défunt sont les gardiens naturels de sa dépouille, il ne peut s’agir d’un droit de propriété tel qu’on l’entend traditionnellement. L’existence éventuelle d’un droit réel exercé sur les restes mortels ne devrait emporter qu’un devoir : celui de traiter avec dignité les restes de ce qui fut un être humain. Accepterait-on qu’un représentant quelconque du tiers-état conserve la tête de son aïeul à son domicile ou dans un lieu de dépôt quelconque? Certes non ! Peut-on alors admettre que l’écoulement du temps ou l’appartenance à notre histoire change quoi que ce soit s’agissant de la détention par un particulier ? Rien n’est moins sûr. Une fois l'utilité scientifique remplie, l’énigme historique résolue, les restes doivent être inhumés ou incinérés selon la volonté du défunt.
Le roi Henri IV a retrouvé sa tête quatre siècles après sa mort, il n’est que temps maintenant qu’il sorte de son coffre et retrouve sa sépulture en la basilique de Saint-Denis !
Références
■ Article 225-17 du Code pénal
« Toute atteinte à l'intégrité du cadavre, par quelque moyen que ce soit, est punie d'un an d'emprisonnement et de 15000 euros d'amende.
La violation ou la profanation, par quelque moyen que ce soit, de tombeaux, de sépultures, d'urnes cinéraires ou de monuments édifiés à la mémoire des morts est punie d'un an d'emprisonnement et de 15000 euros d'amende.
La peine est portée à deux ans d'emprisonnement et à 30000 euros d'amende lorsque les infractions définies à l'alinéa précédent ont été accompagnées d'atteinte à l'intégrité du cadavre. »
■ Article 16-1-1 du Code civil
« Le respect dû au corps humain ne cesse pas avec la mort.
Les restes des personnes décédées, y compris les cendres de celles dont le corps a donné lieu à crémation, doivent être traités avec respect, dignité et décence. »
■ X. Labbée, note sous Amiens, 26 nov. 1996, LPA 17 juill. 1997, p. 34.
■ P. Bonfils, « Loi n° 2008-1350 du 19 décembre 2008 relative à la législation funéraire », RSC 2009. 425.
■ X. Labbée, « Souviens-toi que tu es poussière. - À propos de la loi du 19 décembre 2008 », JCP G 2009, act. 34.
■ G. Loiseau, « Mortuorum corpus : une loi pour le respect », D. 2009. 236
■ I. Corpart, « Pour un nouvel ordre public funéraire : variations autour de la loi n° 2008-1350 du 19 décembre 2008 », Dr. fam. 2009, étude 15.
■ TGI Lille 25 janv. 2001, D. 2001. Jur. 2545, note X. Labbée.
■ Civ. 1re, 16 sept. 2010, n°09-67.456, Dalloz Actu Étudiant 1er oct. 2010 et 26 oct. 2010.
■ Paris, 30 avr. 2009, RTD civ. 2009. 501, obs. J. Hauser.
■ TGI Paris, réf., 21 avr. 2009, AJDA 2009. 797.
■ J. Lepers , « Un reste humain peut-il appartenir au domaine public ? », AJDA 2008. 1896.
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