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L’abrogation de la réforme des retraites en commission, vitalité ou dérive démocratique ?
La proposition de loi déposée par le groupe LIOT à l’Assemblée nationale visant à abroger la réforme des retraites, a été discutée mercredi en commission dans un climat houleux. Cette étape met en lumière une nouvelle phase peu connue de la construction de la loi. Les échanges en commission – et ceux à venir peut-être dans l’hémicycle – illustrent de nouveau la richesse des droits constitutionnel et parlementaire de la 5e République mais aussi toute leur complexité pour les citoyens non spécialistes, qui sont pourtant majoritairement les premiers concernés par les mesures discutées.
Le mardi 25 avril, le député Bertrand Pancher, président du groupe Libertés, Indépendants, Outre-mer et Territoires a déposé une proposition de loi d’abrogation de la réforme des retraites portant l’âge légal de départ à 64 ans. L’exposé des motifs rappelle que le contexte dans lequel la loi du 14 avril 2023 de financement rectificative de la sécurité sociale a été débattue (dans des délais contraints sur la base du 47-1 Const.) puis adoptée (sans vote en raison du recours au 49, al. 3 Const.) a pour effet que la promulgation de la loi n’a entraîné ni la validation politique de la réforme ni son acceptation sociale. L’objectif de la présente proposition est donc d’« aller au bout du “cheminement démocratique” […] sortir de l’impasse dans laquelle le pays se trouve aujourd’hui, afin d’éviter que celui-ci ne se déchire davantage. Et de retrouver l’apaisement ». Afin d’y parvenir, l’article 1er de la proposition prévoit l’abrogation de la loi du 14 avril.
Conformément à la procédure législative et au regard de l’objet du texte, la proposition de loi a été discutée en commissions des affaires sociales de l’Assemblée nationale le 31 mai. Les vidéos de cette séance donnent assez bien le ton des échanges qui ont été particulièrement tumultueux sur plusieurs points.
A commencer par la composition de la commission : soixante-douze députés siègent au sein de la commission des affaires sociales, une des huit commissions permanentes de l’Assemblée nationale. Ils sont répartis à proportion des effectifs des groupes politiques de l’hémicycle. On y trouve par conséquent : trente-deux députés Renaissance, dix-neuf de la Nupes, onze du Rassemblement national, huit des Républicains et deux de LIOT. Plusieurs députés ayant annoncé leur absence à cette journée de discussion, la composition en a été modifiée le jour même par décret dont le contenu illustre bien le choix tactique opéré par certains groupes faisant démissionner d’une commission certains députés pour les nommer le jour même des débats dans la commission des affaires sociales.
Ce “glissement” avait commencé à tendre les débats avant même leur ouverture et il a ensuite été particulièrement critiqué à l’issue du vote d’un amendement sur l’article 1er. En effet, lors de cette discussion en commission, le droit d’amendement peut être exercé pour faire avancer l’écriture d’un texte qui sera soumis à la discussion en séance plénière (Const., art. 42) et c’est sans grande surprise que sept amendements ont été déposés en vue de supprimer l’article 1er de la proposition. Le premier d’entre eux en discussion a été approuvé à 38 voix contre 34. Cette courte majorité a donc confirmé pour certains une manipulation de la composition de la commission par certains groupes.
La tension est également montée autour de la gestion des amendements et sous-amendements déposés en commission. Le texte a en effet fait l’objet de centaines d’amendements et plus de mille sous-amendements dont l’examen pouvait entraîner un débat en commission jusqu’au 5 juin fin de journée. Face à cela, la présidente de la commission a considéré que « Tout au long de l’examen de l’article un, il y a eu une volonté d’obstruction qui est vraiment flagrante […] avec le dépôt de plus de 1 000 sous-amendements ». Elle a par conséquent décidé de recourir à l’article 41 du règlement de l’assemblée – après en avoir discuté avec la présidente de la chambre afin de poursuivre l’examen du texte sans examiner les sous-amendements déposés sur l’article 1er. Elle a déclaré : « Pour qu’il y ait une bonne tenue des débats et pour aller au bout du texte, nous ne prendrons pas en compte la pléthore de sous-amendements, en veux-tu en voilà, qui ont été déposés afin de faire de l’obstruction. Vous m’avez demandé de réunir le bureau, le bureau s’est exprimé et j’espère que vous allez respecter la décision du bureau. Nous voulons un vote sur le texte, nous voulons aller jusqu’au bout du texte et voter ». Plusieurs députés de l’opposition ont regretté une « folie autoritaire » et la suppression pure et simple du droit d’amendement des parlementaires.
Un dernier acte restait à jouer pour les défenseurs du projet d’abrogation. Après le retrait de l’article 1er, le rapporteur de la proposition de loi, M. de Courson, a déposé deux amendements visant à supprimer l’article 2 puis l’article 3, au motif que ces articles n’avaient plus de sens après le retrait de la mesure phare. Cette démarche est logique au regard de l’objectif de son groupe puisqu’en supprimant l’ensemble des textes de la proposition de loi en commission, c’est le texte déposé au bureau de l’Assemblée nationale qui aurait fait l’objet d’une discussion en séance plénière (art. 90 du règlement de l’Assemblée) avec donc, l’article abrogeant la loi du 14 avril. Sans surprise là encore, il n’a pas été suivi et les articles 2 et 3 ont été maintenus.
Finalement, c’est une proposition de loi vidée de sa substance qui sera examinée en séance plénière le 8 juin. Son avenir reste néanmoins très incertain. Pour rétablir l’article 1er dans le texte, le groupe LIOT devra déposer un amendement sur l’abrogation du recul de l’âge légal de départ en retraite. Or, cette abrogation pourrait être considérée comme aggravant la charge publique et cela est interdit par l’article 40 de la Constitution cette fois. L’amendement serait alors considéré comme irrecevable et ne ferait même pas l’objet d’une discussion. La séance sera toutefois passionnante car nul doute que d’autres amendements seront déposés par plusieurs groupes. Certains évoquent même le dépôt d’une motion de censure.
Dans l’attente de l’issue de la séance du 8 juin, doit-on s’inquiéter de cette évolution des débats parlementaires que certains commentateurs qualifient de « guérilla » quelques semaines après la violence des débats sur la loi de financement rectificative de la sécurité sociale ? D’un côté, ces échanges même vifs, tendent à démontrer que les institutions fonctionnent et que ses acteurs jouent leur rôle pleinement en usant des différents outils entre leur main, aiguisés pour assurer la stabilité des pouvoirs. L’évolution de la majorité depuis les législatives de 2022 illustre le rapport de force entre majorité et opposition en demandant à chacun d’agir en responsabilité. Rien de surprenant donc pour un régime parlementaire rationalisé. En revanche, à l’inverse et sans aller sur le débat de la réforme de la retraite, cette manière d’envisager le dialogue sur des sujets sensibles dans notre pays, sans fluidité et toujours en allant vite (nous faisons ici référence au nombre de procédures accélérées engagées chaque session, par exemple 45 sur 69 lois adoptées en 2021-2022 ; 60 sur 76 lois adoptées en 2020-2021 ; 37 sur 58 lois adoptées en 2019-2020), l’argumentation sommaire du Conseil constitutionnel tant dans la décision sur la loi de financement rectificative de la sécurité sociale que dans les deux décisions RIP et le fait que pour la première fois dans la 5e République, nous avons un Président qui est obligé de ne pas se représenter laisse songeur. Doit-on y voir une force ou une faiblesse de notre Constitution qui assure peut-être coûte que coûte la stabilité de nos institutions si on la compare à nos voisins espagnols se préparant à des élections générales le 23 juillet prochain après la dissolution des chambres par Pedro Sanchez. D’autres beaux sujets d’examen de droit constitutionnel en devenir… (DAE, 15 mai 2023, Le billet de F. Rollin).
Références :
■ Proposition de loi d’abrogation de la réforme des retraites portant l’âge légal de départ à 64 ans
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