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Le droit public financier dans le projet de révision constitutionnelle
Le projet de révision constitutionnelle présenté ce mercredi 9 mai par Édouard Philippe l’indique d’emblée : notre Constitution n’a pas connu de révision constitutionnelle depuis 10 ans. Il s’agissait alors de doter le Parlement de moyens d’action supplémentaires afin de rénover son dialogue avec le Gouvernement.
Avec ce nouveau projet constitutionnel, l’objectif est d’actualiser les « mécanismes de la Vème République, tout en préservant ses traits fondamentaux ». Les évolutions annoncées sont nombreuses avec notamment un examen modifié de la recevabilité des propositions de lois et amendements et la volonté de supprimer les cavaliers législatifs, la possibilité d’adopter une partie des textes en commission et plus globalement un objectif de rationalisation de la procédure législative, la réduction du nombre de parlementaires, des modifications également concernant le Conseil constitutionnel, la suppression de la Cour de justice de la République et du Conseil économique, social et environnemental, ce dernier remplacé par une Chambre de la participation citoyenne, l’introduction d’un droit à la différenciation entre collectivités territoriales, la reconnaissance de la Corse dans le texte constitutionnel… Vaste programme.
Le Professeur Derosier a procédé, sur son blog, à une analyse des principales dispositions de ce projet pour en déduire l’affaiblissement du Parlement et donc de la démocratie représentative. Nous nous permettons d’y renvoyer pour celles de ces dispositions non envisagées dans le cadre de ce billet.
S’agissant plus particulièrement du droit public financier, les apports du projet devraient conduire à revoir les délais d’examen des projets de loi de finances et de financement de la sécurité sociale (Projet de révision constitutionnelle, art. 6 et 7 ).
Cette évolution répond au souhait formulé par le Président Macron de revoir les temps parlementaires d‘examen des lois financières (Voir Billet du 19 février 2018 : Lois de finances, rééquilibrer le temps parlementaire (enfin ?) ).
Très concrètement, il s’agit de réduire le délai d’adoption des lois de finances à 50 jours ce qui, indique le projet de révision constitutionnelle, permettra au Gouvernement de déposer plus tardivement le projet de loi. Ce faisant, ce dernier pourra « s’appuyer sur des hypothèses économiques plus à jour que ne le permet le calendrier actuel ». Ce nouveau délai conduirait à réduire de 40 à 25 jours le délai imparti à l’Assemblée nationale pour l’examen des projets de loi de finances (art. 6). Dans le même temps, le délai imparti à cette même assemblée pour l’examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale serait augmenté de 20 à 25 jours (art. 7). Les délais d’examen des lois de finances et de financement seraient ainsi harmonisés.
Cette jonction dans l’examen des textes et cette diminution globale des délais constituent une avancée significative. Certes, comme le rappelle le Professeur Derosier, les « citoyens ont le droit de constater par eux-mêmes ou par leurs représentants, la nécessité de la contribution publique, de la consentir librement, d’en suivre l’emploi et d’en déterminer la quotité, l’assiette, le recouvrement et la durée », ce qui peut laisser supposer que « la réforme empêchera désormais de le faire effectivement, faute de temps » (Derosier J.-Ph., Blog préc. Révision en revue, vol. 2, 30 avril 2018). Mais la problématique réside surtout dans la conception même que l’on peut avoir du rôle du législateur en la matière. Sous les IIIe et IVe Républiques, les projets de lois finalement adoptés par les assemblées parlementaires étaient, trop souvent, revus de fond en comble, n’ayant rien à voir avec ce que le Gouvernement avait pu projeter. C’est d’ailleurs pour y remédier que les règles de la Constitution de 1958 associées à celles de l’ordonnance de 1959 ont conduit, par un effet de balancier inversé, à revoir la répartition des rôles entre le pouvoir exécutif et le législateur, au détriment de ce dernier.
La question se pose du rôle qui doit être celui du législateur. Pour l’essentiel, il doit pouvoir vérifier que l’autorisation budgétaire contenue dans ces lois, a été respectée. Ceci rejoint d’ailleurs la pratique actuelle des institutions de la Ve République : lorsqu’on constate les modifications apportées par le législateur au contenu des lois de finances initiales, qui sont loin de témoigner d’un usage effectif du Parlement de son pouvoir d’amendement. A tort ou à raison, ce pouvoir n’est pas utilisé comme il pourrait l’être, comme les pères fondateurs de la LOLF l’avaient envisagé. C’est un fait. Réduire le délai d’examen de ces lois n’aura donc aucune incidence sur la pratique parlementaire. Au mieux, elle entérine un état de fait.
En parallèle, le temps consacré à l’évaluation de l’activité de l’administration à l’occasion de l’examen du projet de loi de règlement est insignifiant pour ne pas dire inexistant. Or, c’est justement ce que permet le projet de révision constitutionnelle : « cette réduction des délais d’examen des textes financiers n’a de sens que si, parallèlement, le contrôle de l’exécution des budgets et, plus généralement, des résultats de l’action gouvernementale » deviennent réellement effectifs. A cet effet, c’est un « printemps de l’évaluation » qui doit voir le jour « dont la conclusion sera l’examen du projet de loi de règlement ».
Les ministres seront donc tenus de présenter, à l’occasion de l’examen de ce projet de loi, l’exécution du budget dont ils ont la charge devant les commissions parlementaires (art. 8).
En parallèle, les travaux parlementaires devront être organisés afin de permettre une évaluation des réformes mises en place : « il convient de marquer autant d’intérêt à l’adoption des réformes qu’à leur application concrète et à leur portée sur l’état de notre pays et la situation de nos concitoyens ». Ce faisant, « c’est le principe de responsabilité des acteurs publics qui est à l’œuvre »… Certes. Mais le projet de révision constitutionnelle reste muet sur la nature de cette responsabilité. Alors qu’il renvoie à deux projets de lois (organique et ordinaire), le soin de préciser les détails de cette révision constitutionnelle, il faut espérer que cet aspect de la réforme ne sera pas éludé.
Et en parallèle, il faut rejoindre les craintes exprimées par le Professeur Derosier concernant l’ordre du jour des assemblées avec une priorité accordée à certains textes qui pourrait réduire d’autant le temps consacré au contrôle (Derosier J.-Ph., Blog préc. Révision en revue, vol. 2, 30 avril 2018) – contrôle qui, pour ce qui nous concerne, pourrait finalement ne pas être celui attendu de l’examen des projets de loi de règlement
Le Conseil d’État, dans son avis émis sur ce projet a également nuancé la portée de ces évolutions en relevant « qu’en tout état de cause, la portée réelle de cette mesure dépendra davantage de la volonté des membres du Parlement de procéder à un examen approfondi de l’exécution budgétaire que de l’obligation faite aux ministres de présenter cette exécution » (CE, avis, 3 mai 2018, n° 394658). Et le pari réside probablement là : alors que jusqu’à présent, et en dépit des outils mis en place avec la LOLF qui auraient dû contribuer à revaloriser le pouvoir budgétaire des parlementaires, ces derniers ont persisté dans leur désintérêt affiché pour l’examen de la loi de règlement…
Parmi les modifications à relever également, celles apportées aux modalités de saisine du Conseil constitutionnel, avec une réduction prévue de 60 à 40 du nombre de députés ou sénateurs nécessaire pour opérer cette saisine (art. 11). Une évolution qui tient compte de la réduction proposée par ce même projet de réduire le nombre de parlementaires.
Il faut se rappeler que la création de cette possibilité pour 60 députés ou 60 sénateurs de saisir le Conseil constitutionnel, avait permis de rendre, quasiment systématique, la saisine du Conseil constitutionnel s’agissant des lois de finances initiales et des lois de financement de la sécurité sociale. La modification envisagée n’aura donc que peu d’effets en la matière. Il faut réserver le cas des autres lois de finances (rectificatives et de règlement) pour lesquelles la saisine est plus irrégulière et des lois de finances non soumises au contrôle du Conseil constitutionnel comme celles de 2007, 2008 et 2009 pour lesquelles il avait été regretté que la saisine ne soit pas automatique, alors que leur examen laisse apparaître de nombreux cavaliers budgétaires. En réduisant de 20 le nombre de députés ou sénateurs, nécessaire pour saisir le Conseil constitutionnel, on peut supposer qu’en sont réduits d’autant les risques d’une non saisine. Il est quand même dommage que le projet de révision constitutionnelle n’ait pas envisagé cette possibilité d’une saisine systématique pour ces lois financières…
Enfin, le Conseil économique, social et environnemental sera remplacé par une Chambre de la participation citoyenne. Les dispositions prévoient une saisine systématique de cette chambre pour les projets de loi à caractère économique, social et environnemental et de maintenir la saisine concernant les projets de loi de finances, de financement de la sécurité sociale et de programmation des finances publiques. Une consultation qui demeure une possibilité pour ces derniers textes : « la Chambre pourra également être consultée, comme aujourd’hui, sur (ces projets de loi) ». Une confirmation qui sera de peu de portée : le CESE étant très rarement – pour ne pas dire quasiment jamais - saisi de ces lois…
A suivre…
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