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[ 5 mai 2025 ] Imprimer

L’enseignement et la recherche en droit à l’ère de l’intelligence artificielle

Nous l’avions exprimé dans une récente tribune publiée à l’AJDA (14 avril 2025, p. 681), il est primordial d’introduire, au plus vite, l’IA parmi les outils pédagogiques proposés aux étudiants des facultés de droit. Avant cela, que les enseignants chercheurs en droit puissent afficher un niveau de maîtrise suffisant, condition indispensable pour que les enseignements, l’apprentissage de ces derniers et leurs modalités d’évaluation soient adaptés à cette innovation majeure à laquelle il convient d’accorder toute sa place.

Très certainement, c’est un sujet, si ce n’est le sujet, d’actualité au sein des universités alors que leurs missions d’enseignement et de recherche se trouvent totalement concernées par les problématiques liées aux usages de l’IA.

Un sujet qui a déjà fait l’objet de deux précédents billets sur le site Dalloz Actu Etudiant :

En particulier, le 17 mars dernier : 

-        les études de droit et l’IA se conjuguent au présent et la paresse n’est pas permise ;

-        L’intelligence artificielle, entre angoisses irrationnelles et tentatives d’encadrement.

Nous nous permettons d’y ajouter une voix supplémentaire alors que les connaissances sur le sujet semblent aspirées dans un tourbillon sans fin, alimenté par les progrès saisissants que l’IA est en capacité de réaliser en quelques semaines, parfois en quelques jours.

C’est donc un rendez-vous à ne pas manquer : l’IA doit être intégrée parmi nos outils pédagogiques et nos méthodes d’évaluation ce qui suppose une appropriation rapide des potentialités offertes par l’IA et en particulier par l’IA générative, cette dernière ayant la capacité de s’entraîner sur des données massives et de générer de nouveaux contenus à partir de la commande formulée par l’utilisateur.

Il faut déjà comprendre que les analyses produites par l’IA ne sont qu’un résultat dont la fiabilité dépend de la formulation du « prompt » lequel correspond à l’instruction ou la série de données fournies à un système d’IA que cette dernière utilise pour générer des réponses, créer un texte ou une image… Savoir « prompter » est indispensable pour exploiter pleinement les potentialités de l’IA.

On pourrait présupposer, de manière intuitive, que l’IA répond aux questions qui lui sont posées et que très logiquement, les réponses dépendront de la formulation retenue pour les premières. C’est là que la méthodologie prend toute son importance car il faut accompagner l’IA pour qu’elle précise sa réponse, il faut modeler la chaîne de pensée, fonctionner par étapes pour limiter les risques de réponses erronées et/ou « hallucinées », inclure une porte de sortie pour éviter les fausses réponses… L’absence de maîtrise de l’outil conduit déjà certains étudiants en droit à se détourner de l’IA car ses résultats ne sont pas fiables. C’est vrai mais la fiabilité dépend indiscutablement du niveau de maîtrise et de prudence de l’utilisateur et de l’usage qu’il fait des réponses produites par l’IA. Il est donc tout aussi indispensable d’éprouver les réponses fournies par l’IA et s’assurer de leur pertinence.

Il faut également constater que toutes les IA ne se valent pas selon que l’on parle de Chatgpt, Claude, Gemini, Perplexity ou encore Mistral... Il faut ainsi en relativiser l’emploi car les résultats fournis ne sont pas de même qualité selon les disciplines (sans même distinguer selon que son accès est libre ou payant). Ainsi l’IA française Mistral, très contestée dans les sciences dures, apparaît à ce jour (et nous soulignons bien à ce jour), l’IA la plus qualitative dans le domaine juridique, notamment parce que ses réponses intègrent les éléments les plus récents en termes d’actualité. Par certains aspects, l’IA peut ainsi présenter les avantages d’un moteur de recherche plus perfectionné que les moteurs classiques, qui permet de gagner du temps dans la recherche et l’organisation des informations disponibles sur internet mais qu’il est indispensable de retravailler. En effet mais encore une fois à ce jour, l’IA dans les domaines juridiques ne permet pas de se substituer à la problématisation attendue des travaux universitaires. Il reste donc une marge de progrès conséquente. Que les enseignants-chercheurs se rassurent… pour l’instant, le volet recherche de leur activité est préservé. En revanche, pour le volet pédagogique et parce que nos étudiants ont accès à cet outil, il est indispensable de ne pas rester en marge et d’en acquérir a minima les rudiments. D’ores et déjà, certaines universités ont mis en place des actions de formation mais il était temps de le faire ; d’autres commencent seulement à l’envisager… pour les enseignants-chercheurs précurseurs sur le sujet, cela suppose un apprentissage autodidacte, de visualiser les usages possibles pour leur matière, de revoir les méthodes d’évaluation afin de tenir compte de l’usage fait par les étudiants de la production des IA… et ce d’autant plus que dans leur vie professionnelle à venir, l’IA a déjà pris ou va prendre très rapidement, une place incontournable.

Cela suppose également de se doter de bonnes pratiques dans l’usage des IA. Plusieurs universités se sont ainsi dotées d’une charte d’utilisation de l’IA. En octobre 2024, c’est l’Université d’Orléans qui a proposé une série de consignes à destination de son personnel et des étudiants, visant tout à la fois ses activités pédagogiques et de recherche, avec l’idée d’un usage raisonné de l’IA au service de la communauté universitaire, suivie par l’Université de Franche-Comté en novembre qui entend s’assurer d’une utilisation responsable de l’IA.

Afin d’enclencher une dynamique, une charte d’utilisation des IA génératives à destination des établissements d’enseignement supérieur a vu le jour en marge de ce sommet organisé en février 2025 et consacré à l’IA. La ministre déléguée chargée de l’intelligence artificielle et du numérique, Clara Chappaz dévoilait alors les principes qui doivent accompagner l’usage des IA basés sur la curiosité, la transparence, la précaution et la parcimonie.

En mars, l’Université de Lille s’est également dotée de sa charte des bonnes pratiques d’utilisation des intelligences artificielles génératives dans les travaux pédagogiques avec cet objectif partagé d’accompagner les usages (https://edsmre.univ-lille.fr/fileadmin/user_upload/edsmre/Documents/actualites/Charte_SIAG-UdL-Mars2025.pdf). L’utilisateur se trouve ainsi responsabilisé, tenu de s’assurer de l’exactitude des contenus qu’il produit en ayant recours à l’IA et de s’assurer d’une conduite respectant les principes d’intégrité académique. La charte insiste en particulier sur la transparence des usages ce qui implique d’en manifester et expliciter l’utilisation qui en a été faite. Cela implique également de revoir les modalités d’évaluation, en particulier alors que l’offre de formation évolue en passant au contrôle continu intégral, comme cela est envisagé à l’Université de Lille à compter de la rentrée 2026. En parallèle, cela suppose également d’accompagner les enseignants-chercheurs qui ne sont pas tous prédisposés à manier l’IA voire y sont parfois réticents… 

Indiscutablement, il reste du chemin à parcourir mais chacun doit être persuadé que le sens de circulation s’impose à nous, seul le rythme peut différer mais avec le risque que nos étudiants s’en trouvent lésés…

 

Auteur :Stéphanie Damarey


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