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Le billet

[ 6 mai 2019 ] Imprimer

Les Espagnols attendent un nouveau gouvernement pour la troisième fois en moins de quatre ans …

Après les élections générales du 28 avril, les tractations politiques ont commencé afin de désigner un nouveau président du gouvernement qui, il faut le souhaiter, recevra rapidement la confiance des députés et agira avec plus de stabilité que le gouvernement sortant. Dans l’attente, il est encore difficile de savoir s’il faut analyser le résultat de ces élections anticipées en se réjouissant de la remontada du parti socialiste, en s’inquiétant du retour de l’extrême-droite au parlement espagnol ou en s’interrogeant sur l’adaptabilité des mécanismes du régime parlementaire rationalisé dans un monde politique où le bipartisme traditionnel laisse place à une pluralité de nouveaux partis politiques.

En février dernier, Pedro Sanchez (parti socialiste ouvrier espagnol, ci-après PSOE), alors président du gouvernement espagnol depuis juin 2018, a décidé de dissoudre les chambres et de convoquer de nouvelles élections générales qui se sont tenues le 28 avril. Il a été désigné à cette fonction à la suite d’une motion de censure à l’encontre du gouvernement de Mariano Rajoy. Ce dernier (Parti populaire) avait été investi au mois d’octobre 2016, après de longs mois de tergiversations entre les partis politiques qui étaient sortis sclérosés des élections générales de décembre 2015 et de juin 2016 (V. Le Billet du 31 oct. 2016) qui illustraient déjà la diversification du paysage politique.

Si Pedro Sanchez est arrivé au pouvoir grâce au soutien des députés séparatistes catalans, qui ont voté en faveur de la défiance (Motion de censure constructive en Espagne car les députés qui déposent la motion de censure doivent présenter un candidat à la présidence du gouvernement V. Constitution espagnole, art. 113) contre l’ancien gouvernement, c’est à l’inverse en raison du retrait de leur soutien qu’il a décidé de dissoudre le parlement. En effet, les députés séparatistes catalans ont choisi de se rallier aux partis de droite pour voter contre la loi de finances présentée par le gouvernement Sanchez. Ce vote a été perçu comme une fronde contre le pouvoir en place du fait qu’il se tenait le lendemain de l’ouverture du procès de douze dirigeants catalans devant le Tribunal suprême espagnol pour sédition, rébellion et détournement de fonds suite à la tentative de sécession de la Catalogne d’octobre 2017 et alors que le président de gouvernement refusait de leur octroyer l’organisation d’un nouveau référendum d’autodétermination.

Ce changement de position a mis un terme à la fragile majorité dont bénéficiait le gouvernement Sanchez depuis son entrée en fonction et l’a incité à recourir à l’article 115 de la Constitution espagnole. Cet article prévoit que le président du gouvernement peut, après délibération en Conseil des ministres et sous sa responsabilité, proposer la dissolution d’une chambre (Congrès ou Sénat) ou des deux chambres qui composent le parlement (les Cortès générales). La dissolution est décrétée par le roi et le décret de dissolution doit fixer la date des nouvelles élections.

La dissolution retrouve ici sa vertu démocratique en offrant la possibilité au corps électoral de trancher les tensions politiques et de soutenir la majorité sortante ou une nouvelle. Cependant, le recours à cet outil traditionnel du régime parlementaire peut être risqué désormais, en l’absence d’un vote massif pour un parti politique majoritaire. Ces dernières années, les élections générales en Espagne (mais aussi dans d’autres pays comme l’Italie l’an dernier) illustrent la fin du bipartisme et l’apparition de nouvelles formations, situées à divers endroits du paysage politique. Tous attirent une portion du corps électoral démontrant des positionnements politiques individuels plus complexes face aux nouveaux problèmes et défis de notre temps.

Pedro Sanchez a toutefois réussi son pari car le PSOE sort vainqueur des élections avec 28,7 % des suffrages et 123 députés (sur les 350 qui composent le congrès des députés). Le PSOE effectue une très belle remontée dans les urnes car il obtient 38 députés de plus qu’en juin 2016 et la majorité absolue au Sénat (122 sénateurs sur les 208). À l’inverse, l’autre parti ancestral de la politique espagnol, le Parti populaire, chute. Avec seulement 16,7% des voix, il perd la moitié de ces sièges (66 députés). Les voix des électeurs de droite se sont reportées vers l’extrême. Ainsi le parti d’extrême droite Vox a obtenu 10 % des suffrages ce qui va permettre à 24 députés de siéger au congrès des députés alors que cela n’était plus arrivé depuis 1982.

La suite des événements risque d’être plus complexe pour Pedro Sanchez car ce beau score ne lui octroie pas la majorité absolue au congrès des députés. Outre le fait que cela signifie que l’action politique du gouvernement va être conditionnée à la solidité des alliances passées, Pedro Sanchez va avoir rapidement besoin de soutien pour être investi chef de gouvernement selon la procédure de l’article 99 de la Constitution. Autre illustration de la rationalisation des régimes parlementaires, cet article cherche à stabiliser l’union entre députés et président de gouvernement au moment de l’investiture. Néanmoins, comme nous l’avons vu en 2015 et 2016, il a aussi entrainé une longue période de statu quo de la politique espagnole à cause des partis politiques qui ne parvenaient pas à s’entendre pour choisir un président de gouvernement.

À l’heure où l’on demande à chacun de réfléchir et de proposer des pistes d’évolution de nos régimes politiques, l’entrée en fonction du futur gouvernement espagnol fournira un nouvel exemple pour repenser le parlementarisme.

 

Auteur :Karine Roudier


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