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[ 23 septembre 2019 ] Imprimer

Les règles constitutionnelles à l’épreuve du jeu politique ou le casse-tête de l’investiture des gouvernements en régime parlementaire

En l’espace de quelques semaines, l’actualité anglaise, italienne et espagnole a illustré combien la rationalisation des régimes parlementaires pouvait être mise à l’épreuve par la pratique politique et assurer, avec plus ou moins de succès mais énormément de débats, la stabilité des régimes. Pour ce qui concerne nos voisins frontaliers, le casse-tête tend à se former dès l’entrée en fonction du gouvernement.

Aujourd’hui, lundi 23 septembre, le Roi d’Espagne va dissoudre le Parlement et convoquer, par conséquent, de nouvelle élections générales le 10 novembre prochain, les quatrièmes en quatre ans. La dissolution est non négociable, elle est prévue par l’article 99 de la Constitution espagnole dans l’hypothèse où aucun Président du gouvernement n’a obtenu la confiance du Congrès, deux mois après le premier vote d’investiture (cf. Billet du 6 mai 2019). Cette situation, catastrophique pour l’Espagne, interroge néanmoins sur la conciliation entre des règles constitutionnelles visant à rationaliser les régimes parlementaires pour assurer une stabilité du pouvoir et la recomposition du paysage politique.

Ce nouvel épisode espagnol fait écho au scénario italien qui a vu s’opposer l’ancien ministre de l’intérieur, Matteo Salvini et le Président du Conseil. En effet, Giuseppe Conte a décidé de présenter la démission de son gouvernement, le 20 août, après un discours remarqué devant les sénateurs et ce, afin de mettre en échec la motion de censure que le parti de Mateo Salvini souhaitait voter. Après plusieurs journées de négociations entre les différents partis, sous l’oeil vigilant de Sergio Mattarella, véritable Président d’une République parlementaire, « au-dessus des partis », Giuseppe Conte a de nouveau été nommé à la tête du gouvernement italien. Il a obtenu l’investiture des chambres les 9 et 10 septembre : 343 députés (262 contre et 3 abstentions) et 169 sénateurs (133 contre et 5 abstentions) ont exprimé leur confiance au gouvernement Conte II. Si le Président du conseil sort renforcé de cette crise, la stabilité semble toutefois assez fragile pour ce gouvernement de coalition entre le Mouvement 5 étoiles et des membres du centre gauche. 

Ces aléas institutionnels et politiques offrent de nouveau l’occasion de souligner la singularité de la Ve République qui s’exprime par la volonté de mettre un terme à la filiation entre le Parlement et le Gouvernement. La Constitution de 1958 ne mentionne pas d’obligation pour le Premier ministre et son Gouvernement d’être investi par tout ou partie des parlementaires. Le texte constitutionnel ne laisse place à aucune ambiguïté : c’est le Président qui nomme le Premier ministre et, sur ses propositions, les autres membres du Gouvernement (Const. 58, art. 8). Si l’alinéa 1er de l’article 49 a pu être interprété par la plupart des Gouvernements fraichement nommés comme un moyen de s’assurer du soutien des députés (Voir la pratique de cet article ici), la rédaction est cependant claire, là aussi :   « Le Premier ministre, après délibération du Conseil des ministres, engage devant l'Assemblée nationale la responsabilité du Gouvernement sur son programme ou éventuellement sur une déclaration de politique générale. »

Cet engagement de responsabilité est une faculté laissée au Premier ministre, après décision en Conseil des ministres, qui n’est conditionnée par aucun délai. 

La liberté apparente du Président de la République dans le choix de son Premier ministre et de l’équipe gouvernementale doit évidemment s’entendre comme un choix tactique et conditionné par les dynamiques politiques. Pour autant, il est indéniable que depuis 1958, l’exclusion de la phase d’investiture a permis d’éviter d’officialiser la fragilité d’un Gouvernement tout juste composé. Il ne s’agit pas de considérer la Ve République comme étant parfaite - d’autres points mériteraient d’être discutés - mais de noter, a minima, que la phase d’entrée en fonction du Gouvernement offre un nouvel angle de réflexion pour (re)penser l’équilibre entre les pouvoirs.

 

Auteur :Karine Roudier


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