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[ 18 novembre 2019 ] Imprimer

Quel modèle de responsabilité pour les gestionnaires publics ? 2e partie – Approche comparée

Le précédent billet consacré au modèle de responsabilité des gestionnaires publics a permis de mettre en évidence les limites du modèle français : une Cour des comptes qui peine à juger les comptables publics qu’ils soient patents ou de fait ; une Cour de discipline budgétaire et financière qui n’a jamais convaincu tant ont été rares les décisions rendues…

Le colloque organisé par la Cour des comptes le 18 octobre 2019 entendait, outre un état d’un lieu, opérer un détour par les modèles de responsabilité appliqués ailleurs, en Europe et au-delà. Si le présent billet entreprend de réaliser un rapide tour du monde sur le sujet, il est renvoyé à une publication (à paraître) au sein de la revue Gestion et finances publiques pour un état des lieux plus détaillé.

Un état des lieux qui pourrait s’appuyer sur des études déjà réalisées, conduisant à classer les instituts supérieurs de contrôle selon qu’ils sont ou non dotés de compétences juridictionnelles, études réalisées par la Cour des comptes européennes ou encore par le réseau Intosai.

Cette classification mérite toutefois d’être précisée car au sein de chacune de ces deux catégories, la comparaison suppose d’être affinée. Bien évidemment, avec les réserves qui s’imposent pour toute approche comparée mais avec un incontournable : le contrôle de l’emploi des fonds publics est un objectif partagé quel que soit le système politique, institutionnel et juridique.

Une première approche permet d’identifier des modèles comparables au modèle français avec juxtaposition d’une Cour des comptes et d’une Cour de discipline budgétaire et financière. C’est le cas en Tunisie ou encore à Madagascar. Mais on l’aura compris d’emblée, c’est un modèle peu répandu (inconnu en Europe) et même en perte de vitesse lorsque l’on voit les orientations retenues par certains pays qui ont fait le choix de supprimer leur CDBF (Tchad).

Plus répandu, le modèle juridictionnel conduisant à confier à un institut supérieur de contrôle (ISC), des compétences pour juger les comptables et les ordonnateurs. C’est le cas au Portugal, en Espagne, en Italie ; également en Algérie, au Maroc, au Gabon, à Djibouti ou également au Brésil. Et la liste pourrait encore se compléter.

Les champs de compétences ne se recoupent toutefois pas tout à fait. Ainsi au Portugal et en Italie, les ministres sont responsables de la gestion de leur ministère. C’est en Italie, qu’un ministre a, ainsi, été condamné en 2002 à rembourser 1,2 M€ en raison de l’achat de photocopieurs obsolètes.

Des variations peuvent également être prises en considération lorsque l’on apprécie les mesures susceptibles d’être prises par l’ISC. Ainsi au Brésil, il est possible de déchoir l’intéressé de ses fonctions, en Espagne de suspendre voire de prononcer le licenciement de l’intéressé. Il est également possible de bloquer les comptes bancaires voire de prononcer une interdiction de sortie du territoire comme en République Démocratique du Congo.

Si la France entend rester dans un système juridictionnel, on pourrait en déduire que l’étude des ISC non dotés de compétences juridictionnelles, serait inutile. Au contraire (et alors que la Cour des comptes française dispose également de compétences non juridictionnelles), leur étude permet d’entrevoir des modèles différenciés de responsabilité des gestionnaires publics.

Parmi ces ISC non juridictionnels, on peut envisager un premier niveau comprenant les États pour lesquels il n’existe pas de responsabilité financière au sens où nous l’entendons, ie une responsabilité distincte des responsabilités civile ou pénale. C’est le cas en Allemagne, au Canada, aux États-Unis, en Argentine, au Kenya… Mais l’environnement sociétal, culturel, peut également constituer un vecteur important de mise en cause de cette responsabilité. C’est le cas dans les pays d’Europe du Nord : on songe notamment à l’affaire du Toblerone qui a conduit à la démission de la ministre concernée (dans les faits, les accusations étaient toutefois plus conséquentes qu’une simple tablette de Toblerone, concernant près de 50 000 couronnes suédoises).

On l’aura toutefois compris, le modèle de responsabilité financière intégrera nécessairement un aspect culturel qu’il n’est pas possible de reproduire partout. Ici, encore une fois, pour nuancer la portée de l’exercice de comparaison.

On peut ensuite envisager des ISC non juridictionnels de second niveau, disposant d’un système d’alerte en cas de dépenses illégales avec la possibilité de prononcer des amendes lorsque les recommandations formulées par l’ISC n’ont pas été suivies d’effets. Ce modèle se rencontre en Bulgarie, en Slovaquie, en Slovénie, également en Croatie.

Car finalement, au-delà de la sanction prononcée à l’encontre de l’intéressé, l’objectif est bien évidemment d’obtenir la cessation des irrégularités et, en cas de préjudice causé à la caisse publique, que celle-ci soit rétablie.

Par certains aspects, ces modèles peuvent donc constituer une réponse complémentaire intéressante.

Dans ce cadre, un troisième niveau apparaît avec des ISC dotés de larges pouvoirs de sanction. C’est le cas en Afrique du Sud où le Vérificateur général des comptes publics peut obliger au reversement dans la caisse publique, des montants concernés. Au Pérou, le contrôleur général de la République peut prononcer des sanctions au constat d’actes interdits par la loi, de négligence dans l’exercice des fonctions avec la possibilité, notamment, de disqualifier l’intéressé pour l’exercice de fonctions publiques ou de prononcer une suspension de l’exercice de ces fonctions (sans rémunération, pour une période maximum de 360 jours).

Parmi ces ISC de troisième niveau, certains se présentent (auprès de l’Intosai notamment) comme des ISC juridictionnels. Il faut toutefois relever que les caractéristiques d’un institut juridictionnel ne sont pas forcément au rendez-vous, au sens de l’approche française et même européenne, de ce que doit être une juridiction en termes, notamment, d’indépendance et de collégialité.

Mais peu importe, l’intérêt de l’analyse de ces systèmes réside dans le constat que des moyens sont mis en place pour préserver au mieux la caisse publique. Et c’est bien évidemment l’apport principal qu’il faut en retirer.

En conclusion, ce rapide tour du monde, riche d’enseignements, dévoile un objectif commun : assurer le contrôle de l’emploi des fonds publics.

Selon des modalités différentes et avec une efficacité à relativiser parfois… Encore une fois, l’approche comparée suppose une prudence dans l’analyse et une confrontation à la pratique.

Mais sous cette réserve, la comparaison permet de confirmer les perspectives d’évolution des régimes de responsabilité financière et d’entrevoir d’autres possibilités notamment dans le suivi des recommandations formulées à l’occasion de l’examen de la gestion.

 

Auteur :Stéphanie Damarey


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