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Le billet

[ 11 janvier 2021 ] Imprimer

Réflexions autour de la création d’un nouveau collectif de citoyens

La composition, la semaine passée, d’un collectif de citoyens chargé de suivre la campagne de vaccination contre le covid-19, peut être mise en perspective avec la création, ces derniers mois, de plusieurs instances consultatives, en dehors de tout cadre normatif préexistant. Ce choix politique finit par interroger l’objectif poursuivi par le pouvoir exécutif et l’interprétation de la séparation des pouvoirs par la majorité.

Le 24 novembre 2020, le Président de la République a annoncé la création d’un collectif de citoyens afin d’ « associer plus largement la population » à « la conception de [la] stratégie vaccinale (V. Déclaration du Premier ministre, 3 déc. 2020) contre le covid-19. Le Conseil économique, social et environnemental (CESE) a été chargé de la mise en place du collectif. Trente citoyens et cinq suppléants ont été tirés au sort à compter du 4 janvier 2021, selon plusieurs critères (âge, genre, région, niveau d’études, catégorie socioprofessionnelle, type d’habitation et positionnement face à la vaccination). Les travaux du collectif devraient débuter le 16 janvier.

Très proche dans son esprit de la convention citoyenne pour le climat, la proposition présidentielle n’a pas créé de remous au moment de son annonce. En revanche, la mise en place effective du collectif la semaine passée a été très critiquée par les différents membres de la classe politique en raison de sa forme et de la mission qu’il lui a été confiée. Sur la page du CESE, on peut lire en effet que le collectif « sera chargé de formuler des observations sur les choix de politique vaccinale qui seront proposés. Il s’exprimera également sur les questionnements, peurs, résistances et questions éthiques que peut susciter la vaccination contre la covid-19. ». Les principales critiques se sont concentrées tout d’abord sur le caractère « gadget » de cet outil car le nombre de citoyen retenu serait trop faible pour illustrer de manière juste la parole de population ; sur le recours et la manipulation de la démocratie participative ensuite, pour tenter d’apaiser les débats autour de la vaccination et cacher les errances de la stratégie vaccinale au sommet de l’État ; et enfin, ce collectif est perçu comme un moyen de contourner la parole des parlementaires, qui sont censés être les représentants officiels de la nation et d’affaiblir leur légitimité.

Ainsi, et alors que la réflexion autour de l’amélioration des outils de démocratie participative est récurrente depuis la crise des gilets jaunes, cette proposition de collectif citoyens interroge les équilibres entre la démocratie participative et parlementaire et leur capacité à se compléter dans une période où la séparation des pouvoirs semble toujours être remise en question (V. Le Billet, 9 nov. 2020). Elle rappelle également les débats qui ont fait suite à l’annonce par le Premier ministre, le 26 novembre 2020, de la création d’une commission indépendante chargée de proposer une nouvelle écriture de l’article 24 de la proposition de loi « sécurité globale » suite aux nombreuses manifestations et oppositions contre ce texte. Les critiques ont là aussi été nombreuses, y compris dans les rangs de la majorité. Les Présidents de l’Assemblée nationale et du Sénat, Richard Ferrand et Gérard Larcher, ont dû rappeler que c’est au Parlement qu’il revient de voter la loi (conformément à l’art. 24 Const. 58) et que la désignation d’un organe extérieur sonnerait comme un désaveu du travail parlementaire.

Cette confusion du rôle des institutions a été ensuite accentuée par le président du groupe LREM à l’Assemblée nationale lorsque le 30 novembre 2020, au cours d’une conférence de presse, il a annoncé que la majorité allait « proposer une nouvelle écriture complète de l’article 24 dans le cadre d’un travail collectif aux trois groupes parlementaires de la majorité ». Cette annonce ne pouvait que surprendre puisque le texte de la proposition de loi avait été adopté par l’Assemblée nationale le 24 novembre et transmis au Sénat le même jour pour une première lecture, comme l’exige la procédure législative. Christophe Castaner a donc semblé oublier qu’il revenait désormais aux sénateurs, et à eux seuls, de proposer une nouvelle écriture de l’article polémique et que les députés de la majorité n’avaient qu’à patienter que la navette législative leur ramène le texte au palais Bourbon.

Enfin, ultime illustration d’une dilution dubitative des espaces de réflexion : le recours par l’État à quatre cabinets de conseil pour être accompagné dans le développement de la stratégie vaccinale contre le covid-19. Le recours à de telles sociétés privées n’est pas nouveau de la part d’un Gouvernement, la démarche pourrait donc être jugée classique et passer inaperçue. Elle est cependant problématique car elle illustre une forme de déclin de l’expertise de la haute fonction publique dans les domaines clefs de l’action de l’État et, au regard de l’action des Gouvernements sous la présidence d’Emmanuel Macron, elle confirme une nouvelle manière, encore très confuse, de répartir le pouvoir et d’équilibrer les processus de décision en toute transparence.

 

Auteur :Karine Roudier


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