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Répondre de l’emploi de fonds publics devant le juge financier : un jeu à somme nulle
Répondre de l’emploi de fonds publics peut conduire certains administrateurs devant la Cour de discipline budgétaire et financière (CDBF). Créée en 1948, la CDBF sanctionne les fautes de gestion commises par les gestionnaires publics.
Elle rend, en cette année 2022, ses derniers arrêts. En effet, à compter du 1er janvier 2023, un nouveau régime de responsabilité financière des gestionnaires publics sera mis en place en fonction duquel tous ceux qui ont, de près ou de loin, participer à la prise d’une décision ayant des incidences financières irrégulières, auront à en répondre devant la Cour des comptes. Ce faisant, la CDBF est supprimée à compter de cette même date et un régime de responsabilité financière unifié sera mis en place.
Concrètement, cela signifie que tous les acteurs de l’exécution budgétaire et en particulier, les ordonnateurs et les comptables auront à répondre, devant un même juge et à l’occasion d’une même procédure contentieuse, de leur emploi des fonds publics mis à leur disposition.
Cette unification procédurale est salutaire. Elle permettra d’éviter que pour de mêmes faits, les protagonistes d’une même affaire, soient traités différemment selon qu’ils relevaient de la Cour des comptes (comptables) ou de la CDBF (administrateurs).
C’est cette contrariété possible entre des décisions rendues par ces deux juges financiers que l’affaire de l’Institut national de la propriété industrielle (INPI) avait mis en évidence (contrariété déjà évoquée lors d’un précédent billet : La fin prochaine des désaccords du juge financier, DAE, 7 févr. 2022).
L’examen de la gestion de l’INPI avait suscité, devant les juges financiers, un contentieux inattendu opposant la Cour des comptes à la Cour de discipline budgétaire et financière. Un point en particulier, avait retenu l’attention : la CDBF avait renoncé à engager la responsabilité du directeur général de cet institut, au motif que l’agent comptable ayant déjà été mis en débet pour ces mêmes faits, il ne pouvait plus être retenu de préjudice financier au détriment de l’INPI.
La CDBF a, en effet, la possibilité de sanctionner tout administrateur à raison de l’avantage injustifié qu’il pourrait consentir à autrui, dès lors que cet avantage a causé un préjudice pour le Trésor, la collectivité ou l’organisme intéressé (art. L. 313-6 CJF).
À l’occasion de l’examen des comptes de cet institut, la Cour des comptes avait prononcé un débet à l’encontre de l’agent comptable à raison des irrégularités constatées dans le règlement de frais d’hébergement et de repas (C. comptes, 27 oct. 2017, INPI, n° S 2017-3317).
Trois ans plus tard, pour les mêmes faits, la CDBF avait renoncé à mettre en cause la responsabilité du directeur général de ce même établissement, au motif que l’agent comptable ayant été mis en débet, il n’y avait plus de préjudice à réparer (CDBF 23 janv. 2020, n° 239-802).
La motivation retenue par la CDBF ne pouvait qu’étonner (AJDA 2020.1402). Il apparaissait, en effet, particulier, de considérer que l’ordonnateur ne pouvait être reconnu responsable d’irrégularités à la réalisation desquelles il avait largement contribué, en s’appuyant sur le fait que l’agent comptable, précédemment condamné pour ces mêmes faits, avait déjà endossé la responsabilité financière de l’irrégularité constatée en raison du débet prononcé à son encontre. Rappelons que le débet conduit l’agent condamné, à rembourser dans la caisse publique, les sommes qui en ont été irrégulièrement extraites.
Très logiquement, le parquet près la Cour des comptes a saisi le Conseil d’État, juge de cassation des arrêts rendus par la CDBF. Sa décision était attendue. En décembre 2021, la haute juridiction administrative a fait le choix, sur ce point de l’affaire, de casser la décision de la CDBF et de renvoyer à cette dernière, le soin de se prononcer de nouveau sur le fond de l’affaire (CE 20 déc. 2021, n° 439665).
C’est ce qu’a fait la CDBF avec sa décision du 27 juillet dernier (CDBF 27 juill. 2022, n° 260-802 II). En pratique, la décision aboutit au même résultat : aucune amende n’est prononcée à l’encontre du directeur général de cet institut. Mais bien évidemment, la motivation ne pouvait être la même et sur ce point, la CDBF a opéré une pirouette des plus habiles, en considérant que s’il y avait bien irrégularités à reprocher à l’administrateur, il était possible de le dispenser de peine et donc de ne pas prononcer d’amende, en raison de la modicité des sommes en jeu…
Pour ceux qui ont suivi cette affaire depuis ses débuts (voir notamment billet précité), on relèvera la stratégie de repli retenue… Soit.
Au-delà des interrogations légitimes qu’une telle affaire peut susciter (notamment AJDA 2020.1402), l’observateur averti ne peut s’empêcher de lire les dernières décisions de la CDBF au travers du prisme nouveau que va offrir le nouveau régime de responsabilité financière des gestionnaires publics mis en place avec l’ordonnance n° 2022-408 du 23 mars 2022 et qui entrera en vigueur le 1er janvier prochain. Nul doute que de semblables irrégularités disparaitront totalement des « radars » du juge financier dès lors que, quelle que soit l’infraction retenue, le texte permet de proportionner le montant des amendes « à la gravité des faits reprochés, à l’éventuelle réitération de pratiques prohibées et le cas échéant, à l’importance du préjudice causé à l’organisme ». Au mieux, les décisions de la Cour des comptes présenteront, par leur côté réprobateur, une valeur symbolique, probablement moralisatrice et ce, d’autant plus si les médias s’en font le relais.
Mais l’on devine avec certitude, que ce nouveau canevas, va empêcher que de graves irrégularités alors qu’elles n’ont pas causé un important préjudice, puissent être sanctionnées par le juge financier. C’est probablement là que le bât blesse : la réforme ne permet pas d’optimiser l’action du juge financier en matière de contrôle de l’emploi des fonds publics.
Si l’on ajoute à cela le fait que certains administrateurs (les ministres et élus locaux) ont été exclus du champ d’intervention de la Cour des comptes, on comprend que l’ordonnance du 23 mars dernier n’offre pas un cadre suffisant d’encadrement de l’emploi de ces fonds.
Concrètement, le seul avantage de ce nouveau régime de responsabilité financière, c’est d’unifier la procédure et de permettre que tous les acteurs aient à répondre, en même temps, devant un même juge. Mais ce seul avantage ne contrebalance pas les insuffisances que l’on n’a aucune peine à deviner à la lecture des nouvelles modalités de mise en cause de la responsabilité des gestionnaires publics.
La Cour des comptes va donc évoluer dans un périmètre contraint et il lui faudra bien faire avec. Les marges de manœuvre à sa disposition, pour donner un minimum de corps au texte, sont peu nombreuses. Mais il faut espérer qu’elle saura les explorer pleinement afin d’éviter que la réforme ne se résume à un jeu à somme nulle.
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