Actualité > Le billet

Le billet

[ 30 juin 2025 ] Imprimer

Responsabilité financière des gestionnaires publics : une tempête dans un verre d’eau

Faisant application du nouveau régime de responsabilité financière des gestionnaires publics, la chambre du contentieux de la Cour des comptes a pu, avec certaines de ses décisions, inquiéter ses potentiels justiciables. On songe notamment à celle par laquelle une attachée d’administration hospitalière a été condamnée pour ne pas avoir averti ses supérieurs des risques encourus en cas d’inexécution de justice (CH Sainte-Marie), à la mise en cause d’une secrétaire de mairie qui avait omis de transmettre à l’assureur de la commune, les congés maladie de ses agents, omission répétée et constatée sur deux années quand même… (Sainte-Eulalie-en-Born) et à ces décisions par lesquelles le juge financier a engagé la responsabilité de comptables publics (not. Département de l’Eure, Gazélec de Péronne et encore dernièrement Marana-Golo).

Une crainte qui a gagné en intensité à la suite de la décision du Conseil d’État, en date du 29 janvier 2025, par laquelle la haute juridiction administrative a exclu la responsabilité financière du régime de la protection fonctionnelle. Une décision qui a apparemment mis le feu aux poudres puisque depuis, le malaise est très clairement palpable et s’est exprimé de différentes manières.

La Lettre du cadre territorial relayait ainsi que dix associations professionnelles territoriales avaient « pris la plume (et haussé le ton) pour dénoncer les menaces que fait courir l’application actuelle de la responsabilité financière des gestionnaires publics » (2 juin 2025).

En particulier le Syndicat national des directeurs généraux des collectivités territoriales (SNDGCT) qui dénonce une automatisation de la sanction et a exprimé son indignation face à l’insécurité croissante issue des premières jurisprudences (not. Achat public, J.-M. Joannes, Responsabilité des gestionnaires publics : deux ou trois trucs bizarres, 16 mai 2025).

Des craintes particulièrement perceptibles via les réseaux sociaux. Ces derniers ayant d’ailleurs une fâcheuse tendance à les amplifier, jouant très clairement un rôle de caisse de résonance.

Face à de tels avis de tempête et afin d’apaiser les tensions, le juge financier et en particulier le ministère public en la personne de sa Procureure générale, Véronique Hamayon, a souhaité éclairer l’action de la Cour des comptes pour expliquer la jurisprudence financière, la justifier et surtout en assurer la meilleure compréhension possible. Une petite dizaine de publications ponctue cette séquence à l’image de la tribune parue à l’AJDA en mai dernier (Responsabilité des gestionnaires publics, un régime équilibré, adapté aux enjeux, AJDA 2025.785), de l’article publié dans la revue Gestions hospitalières (Responsabilité financière, n’opposons pas gestion régulière et gestion efficace, Gestions hospitalières n° 646, mai 2025, p. 254) ou encore dans La Gazette (« Il faut expliquer ce nouveau régime aux gestionnaires publics », 19 mai 2025, p. 59).

Une démarche essentielle pour que chacun comprenne que les risques existent certes, mais sont de fait infinitésimaux (ne serait-ce qu’en considération des moyens dont dispose le juge financier pour l’exercice de ses compétences juridictionnelles…) et surtout, que le gestionnaire public n’a pas de raison particulière de craindre l’intervention du juge financier, dès lors qu’il exerce ses missions du mieux possible. L’erreur est possible, elle n’est sanctionnée que si elle présente un degré de gravité important. C’est en tout cas ce qu’il est possible de retenir de la jurisprudence financière depuis l’entrée en vigueur de ce régime de responsabilité financière au 1er janvier 2023.

Ainsi dans la décision Sainte-Eulalie-en-Born, c’est la simplicité de la tâche à accomplir et alors que la faute a été reproduite durant deux années qui a conduit le juge financier à sanctionner la secrétaire de mairie d’une amende de 1 000 euros. Dans Département de l’Eure, les services avaient été avertis des risques d’escroquerie ce qui devait alerter suffisamment les concernés et les amener à être prudents. Cela n’a pas empêché le juge financier de tenir compte des circonstances et en particulier de ce que l’escroquerie apparaissait particulièrement sophistiquée, pour limiter le montant de l’amende à 2 500 euros. Dans Banzenheim, il est quand même question de détournements de fonds publics ce qui justifie que la secrétaire de mairie ait été condamnée à une amende de 10 000 euros. Dans Eguilles, un comptable a certes été condamné mais dans le même temps, le comptable qui lui a succédé, a découvert l’irrégularité et y a mis un terme, a bénéficié d’une décision de classement.

Ce qu’il faut comprendre, c’est qu’en y regardant de plus près, les décisions de la chambre du contentieux peuvent difficilement être discutées.

Et si tel peut être le cas, le juge d’appel joue son rôle de régulateur comme il l’a fait dans sa récente décision Richwiller dans laquelle il a considéré que les juges de première instance avaient retenu de la notion d’intérêt personnel, une interprétation trop extensive.

Alors certes le risque existe, il ne saurait être question de le minimiser. Mais reprenons cette formulation, il est infinitésimal. Il est certes plus important qu’avant, alors que la Cour de discipline budgétaire et financière était compétente. Cette dernière rendait en moyenne, quatre arrêts chaque année… autant dire que le risque d’être sanctionné était alors plus qu’infinitésimal… D’ailleurs, beaucoup de justiciables potentiels ne connaissaient même pas l’existence de cette juridiction et les risques contentieux encourus.

Avec le nouveau régime de responsabilité financière, cette responsabilité financière des gestionnaires publics est désormais tangible et visible. Le risque existe. Mais il est tellement limité, à tous niveaux, qu’il sera difficile de persuader le citoyen, d’autant plus dans le contexte budgétaire actuel, que ce régime de responsabilité financière serait inadapté et doive être remis en cause.

Si l’on peut comprendre la crainte, elle est indiscutablement exagérée et laisse l’impression d’une tempête dans un verre d’eau.

Références :

■ C. comptes, 10 juill. 2023, CH Centre hospitalier Sainte-Marie, n° 2023-0858 JO 31 octobre 2023, texte n° 94 ; Rec. 30 ; AJDA 2023. 1832, chron. Péhau et Vergallo ;  Finances hospitalières 2023 n° 182, note Yahia ;  JCP Adm. 2024, n° 2, chron. 2008, Damarey. ; AJCT 2023. 632, Zaoui ; BJCL n° 1/2024, p. 3, chron. Damarey

■ C. comptes, 7 oct. 2024, Commune de Sainte-Eulalie-en-Born, n° S 2024-1305 JO 10 octobre 2024, Texte 86 ; Rec. 77 ; JCP Adm. 2024 n° 50, comm. 2339, obs. Damarey ; AJDA 2024. 2258, comm. Péhau et Vergallo ; Contrats eet marchs publics 2024, comm. 297, Muller ; JCP Adm. 2024, chron. 2343, obs. Damarey ; BJCL n° 2/2024, p. 83, chron. Damarey

■ C. comptes, 3 mai 2024, Département de l’Eure, n° S 2024-0715 Rec. 36 ; BJCL n° 6/2024, p. 504, chron. Damarey ; JCP Adm. 2024, n° 2278, comm. Raude, Lamarque et Auché ; AJDA 2024. 2258, comm. Péhau et Vergallo ; JCP Adm. 2024, chron. 2343, obs. Damarey ; DAE, 27 mai 2024, La recherche de l'imputabilité des infractions financières : entre déni et réalité jurisprudentielle, note Stéphanie Damarey

■ C. comptes, 25 juin 2024, Régie Gazélec de Péronne, n° S 2024-0625 : Rec. 55 ; JCP Adm. 2024, comm. 2228, obs. Damarey ; BJCL n° 6/2024, p. 504, chron. Damarey ; AJDA 2024. 1859, comm. Péhau et Vergallo ; JCP Adm. 2024, chron. 2343, obs. Damarey

■ C. comptes, 24 juin 2025, Communauté de communes de Marana-Golo, n° 2025-0624

■ C. comptes, 14 nov. 2024, Commune de Banzenheim, S 2024-1396 : Rec. 85 ; JCP Adm. 2025, comm. 2035, obs. Damarey ; BJCL n° 2/2024, p. 83, chron. Damarey

■ C. comptes, 13 mai 2025, Commune d’Eguilles, n° 2025-0647

■ CAF, 20 juin 2025, Commune de Richwiller, n° 2025-04

 

Auteur :Stéphanie Damarey


  • Rédaction

    Directeur de la publication-Président : Ketty de Falco

    Directrice des éditions : 
    Caroline Sordet
    N° CPPAP : 0122 W 91226

    Rédacteur en chef :
    Maëlle Harscouët de Keravel

    Rédacteur en chef adjoint :
    Elisabeth Autier

    Chefs de rubriques :

    Le Billet : 
    Elisabeth Autier

    Droit privé : 
    Sabrina Lavric, Maëlle Harscouët de Keravel, Merryl Hervieu, Caroline Lacroix, Chantal Mathieu

    Droit public :
    Christelle de Gaudemont

    Focus sur ... : 
    Marina Brillié-Champaux

    Le Saviez-vous  :
    Sylvia Fernandes

    Illustrations : utilisation de la banque d'images Getty images.

    Nous écrire :
    actu-etudiant@dalloz.fr