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Le billet
Solidarité avec la Palestine au fronton des bâtiments publics, suite et sans doute fin
Dans un précédent billet (v. DAE, 15 sept. 2025, Billet F. Rolin) j’avais cherché à montrer qu’il existait sans doute des moyens légaux permettant aux communes de pavoiser le fronton de leur mairie de drapeaux palestiniens. Une vague de jugements de tribunaux administratifs est cependant venue censurer de telles initiatives. Ces jugements méritent qu’on les examine de plus près car ils posent de très délicates questions.
Le 15 septembre, je publiais ici même un billet, commentant d’une part les décisions des juridictions administratives qui avaient, durant l’été, censuré les décisions des communes de pavoiser le fronton de leur mairie avec des drapeaux palestiniens et, d’autre part, proposer quelques pistes pour que de tels pavoisements ne puissent être censurés par le juge. Je ne vais pas ici refaire tout le raisonnement, mais disons simplement que dans l’essentiel des espèces jusqu’au début du mois de septembre, les municipalités avaient, outre ce pavoisement, ajouté des banderoles appelant à la fin de la guerre à Gaza ou réalisé des opérations de communication sur le même thème ce qui avait permis aux tribunaux de considérer que la neutralité des services publics avait été mise en cause par ce qui était qualifié de « prise de position politique dans un conflit en cours ». J’avais critiqué ces solutions mais surtout proposé deux solutions dont une était de réaliser un pavoisement simple, sans aucune communication politique, et de le faire à l’occasion de l’Assemblée générale des Nations Unies qui se tenait le 22 septembre et durant laquelle la France entendait reconnaître l’État de Palestine. Ainsi, le pavoisement serait revêtu d’un sens différent, s’inscrivant dans le prolongement de la politique diplomatique de la France.
C’est aussi ce que proposa le parti socialiste par la voix d’Olivier Faure, son principal responsable. Et de fait, de nombreuses mairies, le 22 septembre se parèrent de ce drapeau. Et alors, saisis par les préfets des différents départements concernés, les tribunaux administratifs rendirent un nombre considérable de jugements qui, tous, annulaient ces décisions de pavoisement contrairement à ce que j’avais suggéré.
Ce n’est pas seulement l’orgueil blessé du billettiste contredit qui s’éveilla en moi, mais j’étais bien curieux de lire comment les jugements motivaient ces décisions alors que dans la plupart des cas ces pavoisements s’inscrivaient strictement dans le cadre de la reconnaissance de l’État de Palestine le 22 septembre. Et donc, je me suis astreint à la lecture de la quasi-totalité de ces jugements (ou ordonnances, j’y reviendrai) et je suis ressorti de cette plongée avec le pénible sentiment que le droit n'avait pas grande place dans ces affaires et qu’en réalité il s’agissait d’une opération de mise au pas des communes à laquelle les juges administratifs avaient prêté la main de manière quasiment unanime même si, on le verra, quelques signes discrets de résistance se sont manifestés de-ci de-là.
Le jugement rendu par le Tribunal administratif de Lyon à propos du pavoisement de la mairie de la Lyon (TA Lyon, 25 sept. 2025, n° 2511941) est celui qui contient la motivation la plus développée, il faut donc s’y arrêter pour comprendre ce qui s’est joué dans ces affaires. Que nous dit-il pour suspendre le pavoisement décidé ?
- 1. Que même si la Ville de Lyon soutient que des pavoisements de drapeaux étrangers sont un usage habituel de la Ville, dans ce cas, non seulement les autorités de l’État n’ont pas (contrairement à ce qui s’était passé pour le conflit ukrainien) invité à l’apposition de drapeaux mais le Ministre de l’intérieur a « au contraire donné l’ordre de faire respecter la neutralité des services publics ».
- 2. Que le communiqué de presse du maire de Lyon, qui évoquait les enjeux pour la Palestine et Israël de la reconnaissance de l’État palestinien, traduisait une prise de position politique sur un conflit en cours.
- 3. Que le conflit israelo palestinien et la reconnaissance de la Palestine constituent une source de clivage important « qui fait l’objet de prises de position aiguës et parfois violentes ».
- 4. Qu’à la suite de du message d’Olivier Faure (que l’on a rappelé plus haut) « s’est développé un vif débat en faveur ou contre de tels pavoisements ».
Et le jugement de conclure ainsi « que le maire Lyon ne peut feindre d’ignorer que sa décision, au-delà du soutien symbolique qu’il invoque, revête une portée politique très importante ».
Les arguments 1, 3 et 4 sont, à mon sens, marqués par un raisonnement purement circulaire que l’on peut résumer ainsi : cette affaire de pavoisement est devenue une affaire politique, donc en pavoisant vous prenez une position politique. Et si l’on pousse ce raisonnement jusqu’à son terme cela signifie que ne pas pavoiser est aussi une prise de position politique dans ce débat et est tout aussi censurable.
Quant à l’argument 2 il ne tient pas non plus puisque le communiqué de presse ne faisait que reprendre des arguments ayant justifié la position de la France à l’Assemblée générale de l’ONU.
On doit cependant reconnaître au juge des référés de Lyon d’avoir assumé cette logique en motivant longuement et précisément sa décision. D’autres décisions se sont montrées beaucoup plus évasives. Ainsi par exemple celle rendue par le Tribunal administratif de Pau (TA Pau, 22 sept. 2025, n° 2502744) dont la citation complète n’allongera pas beaucoup ce billet :
Le principe de neutralité des services publics s'oppose à ce que soient apposés sur les édifices publics des signes symbolisant la revendication d'opinions politiques, religieuses ou philosophiques.
En l'état de l'instruction, le moyen tiré de ce que la décision attaquée porte une atteinte grave au principe de neutralité des services publics est de nature à faire naître un doute sérieux quant à la légalité de la décision attaquée. Par suite, il y a lieu d'en ordonner la suspension de l'exécution.
Et on trouve même quelques décisions singulières comme celle du Tribunal administratif de Montpellier toute empreinte de jacobinisme martial : « 4. Aux termes de l'article 2 de la Constitution du 4 octobre 1958 : " () L'emblème national est le drapeau tricolore, bleu, blanc, rouge. " (…) 5. Il résulte de ces articles, alors qu'aucune disposition du Code général des collectivités territoriales ne confère aux communes une compétence pour intervenir dans les relations extérieures de la France, le maire de la commune de Grabels a pavoisé, le 22 septembre 2025 à 9 h 30, le fronton de la mairie du drapeau de la Palestine, pays, au surplus, non encore reconnu par la République Française, à côté du drapeau français seul pouvant y figurer, sauf décision du Gouvernement à raison d'une situation particulière ».
Mais, cette mise au pas des communes ne s’est pas seulement exprimée dans les motifs des décisions mais également dans les mesures d’exécution dont elles étaient assorties. Les préfets avaient bien compris, après la première vague de décisions de l’été, qu’obtenir une annulation ou une suspension de la décision de pavoiser la commune n’était pas très efficient : la décision était censurée, le drapeau et/ou la banderole demeurai(en)t. Les préfets, tout puissant qu’ils sont, n’ont pas le pouvoir de décrocher, ou d’ordonner que soit décroché, ce symbole. C’est la raison pour laquelle dans la deuxième vague de contentieux ils ont, pour la plupart d’entre eux, ajouté à leurs conclusions principales d’annulation ou de suspension, des conclusions à fin d’injonction et même d’astreinte.
Cette fois les tribunaux se sont divisés. Certains ont fait droit à la demande du préfet dans son intégralité. Par exemple, le Tribunal administratif de Melun a prononcé, une injonction et une astreinte de 1 500 € par jour de retard dans l’exécution de la décision, à l’encontre de la commune de Vitry-sur-Seine ! D’autres ont minoré le montant de l’astreinte demandée par le préfet : par exemple, dans la décision concernant Lyon, le préfet demandait 500 € par jour de retard, il a obtenu 100 €. D’autres encore ont rejeté la demande d’astreinte comme le Tribunal administratif de Cergy Pontoise (TA Cergy-Pontoise, 22 sept. 2025, n° 2517053).
C’est dans ces petits détails que l’on peut discerner des signes de réticence, sinon de résistance, à cette mise au pas des communes. On en trouve même trace dans les demandes des préfets : si celui du Val-de-Marne demande systématiquement des astreintes, même parfois très lourdes (5 000 € par jour de retard pour la commune de Malakoff !) la préfète de l’Essonne n’a pas assorti ses conclusions principales de demandes d’astreinte.
Mais ils sont bien ténus alors que c’est le principe même sur lequel s’appuient ces solutions qui est éminemment discutable. Car dans quelque temps, qui dit que la question ne se reposera pas à propos d’autres symboles, le drapeau LGBT+ par exemple, ou encore les affichages sur la lutte contre les discriminations ou le changement climatique ?
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