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Le billet
Votre nouvelle série juridique 2022-2023 « lost in energy transition »
Si les billets de Dalloz Actu Étudiant étaient une série, nous en serions à la 14e saison, et votre serviteur est le seul acteur que les scénaristes des éditions Dalloz n’ont pas promu ou muté ou chargé d’un traité en douze volumes pour le faire disparaître du script.
Mais, pour me relancer dans cette « Plus belle la vie juridique » et éviter cette funeste promotion ou cette rédaction d’un « traité général de l’abrogation du retrait des actes administratifs », il faut que tweets et retweets de mes billets se multiplient, qu’un étudiant inspiré en face une chorégraphie sur tik tok, que des collègues atrabilaires multiplient les commentaires sur facebook.
Alors oui, je le reconnais, « Série » + anglais dans le titre, cela a un petit parfum de piège à clics. Mais c’est qu’en même temps, essayer de vous vendre dans ce billet de rentrée une réflexion sur l'urbanisme et la transition énergétique est ambitieux, pour rester poli. Imaginez si j’avais titré « les ombrières sur les parkings, nouvelle stratégie de la transition énergétique » : auriez-vous dépassé la 2e ligne ? J’en doute fort.
Et pourtant. Pourtant nous sommes en train de vivre le premier épisode d’une histoire qui va se dérouler sur plusieurs mois et qui, pour les juristes sera tout à fait intéressante à suivre parce que, petite histoire dans la grande histoire elle permettra d’illustrer comment droit, politique, groupes de pression et intérêts divers interagissent sur un sujet donné. Alors, je vous le reconnais, ce ne sera peut-être pas aussi palpitant qu’une suite de Seigneur des Anneaux (encore que…) mais ce sera une bonne lecture des interactions entre droit et société.
Plantons donc le décor.
Vous le savez, la France est très en retard dans l’installation de capacités de productions d’énergies renouvelables, y compris parmi tous ses voisins européens pourtant soumis globalement aux mêmes contraintes. Aucune des prévisions réalisées dans les années passées (ce que l’on appelle les « trajectoires bas carbone ») n’a été respectée et cela malgré les multiples lois qui ont été votées pour favoriser ce développement. Un exemple : alors qu’en 2007 la France annonçait 6 GW provenant d’éoliennes en mer pour 2020, en 2013 il n’en annonçait plus que 3 GW et aujourd’hui, la puissance installée et produite est de 0.5 GW…
Et ce qui est vrai pour l’éolien en mer l’est aussi pour l’éolien terrestre et le solaire, un peu moins pour la biomasse, Sur chacun de ces points nous sommes en retrait de nos prévisions et en retrait des pays européens comparables.
Nous avons sans doute voté beaucoup de textes mais en réalité, ce n’est pas le vent produit par les feuilles de papier où on a écrit « loi » qui produit de l’électricité… Et ce ne sont pas non plus les fameux « procès du siècle » (dont on a déjà parlé ici, au cours de la saison 12 de ces billets (La justice (administrative) environnementale face à la séparation des pouvoirs, DAE 14 juin 2021, Frédéric Rolin) initiés par des militants et des ONG qui y ont changé grand-chose parce qu’une injonction du Conseil d’État, non plus, ça n’allume pas une ampoule.
Il y aurait matière à disserter de manière infinie sur ces retards et ces prévisions sans cesse revues à la baisse, du caractère incroyablement bureaucratique de notre administration dont les délais de délivrance d’autorisations ou de passation de contrats sont d’une lenteur extrême, en passant par la virulence du mouvement anti-éolien qui rassemble aussi bien les défenseurs du nucléaire à tout crin (et en particulier feu le Président de la République Valéry Giscard d'Estaing) que les ligues de protection des oiseaux, et enfin un environnement économique atone qui rêve davantage de mettre des précaires sur des vélos pour distribuer des repas tièdes qui sentent le carton que de développer des filières industrielles nouvelles.
Mais aujourd’hui les choses changent : les effets concrets de la crise climatique qui commencent à se faire sentir en France joints à ceux de la crise énergétique qui frappe directement au portefeuille de chacun, obligent à sérieusement accélérer le mouvement.
Et alors en France, quand on veut accélérer le mouvement, que fait-on ? Une loi… Vous sentez bien qu’arrivé à ce stade on pourrait ironiser facilement : « vous vouliez du bas carbone, vous aurez du papier », etc. Mais quand on lit le projet de loi « relatif à l’accélération des énergies renouvelables » que le gouvernement a soumis cet été à la concertation et qui sera dans peu de temps déposé sur le bureau d’une des assemblées, on doit reconnaître que prises dans leur ensemble, les mesures envisagées, si elles sont votées, auront sans doute un effet significatif.
Mais, voilà le décor planté et le premier épisode de notre série juridique peut commencer. Celui-ci ne va s’intéresser à toutes les mesures, ce serait bien trop long et fastidieux, mais à l’une d’entre elles, parce qu’elle est à la fois symbolique, intéressante sur le plan juridique, et qu’elle va mettre en présence des rapports de force et d’intérêts qu’il sera tout à fait intéressant de suivre. Cette mesure, c’est celle qui figure à l’article 12 du projet dans sa version actuelle qui consiste à imposer des ombrières dotées de panneaux solaires sur les « parcs de stationnement extérieurs d’une superficie supérieure à 2500 m2 ».
Pourquoi est-ce intéressant ?
D’abord parce que sur le plan énergétique, un calcul théorique montre que l’enjeu est loin d’être anodin, même si il n’est sans doute pas aussi mirobolant que ce qu’une lecture rapide des chiffres contenus dans l’étude d’impact du projet de loi peut laisser croire. D’abord cette étude d’impact chiffre de 90 à 150 millions de m2 les surfaces répondant à cette définition (ramené en hectares ou en km2, c’est tout de même moins impressionnant : 15.000 ha ou 150 km2, mais cela reste tout de même une superficie de la taille de la ville de Paris). Compte tenu de la productivité actuelle des panneaux photovoltaïques, l’étude d’impact du projet de loi évalue la « puissance installée » de 6.75 à 11.25 GW, c’est-à-dire entre 4 et 7 EPR comme celui qui peine à sortir de terre à Flamanville. Mais les chiffres de l’étude d’impact sont trompeurs car la « puissance installée » n’est pas l’énergie produite : un panneau voltaïque produit en moyenne 15% de sa puissance théorique (il faudrait raccourcir les nuits et enlever les nuages pour faire mieux…), tandis que le nucléaire français produit entre 55 et 70 % de sa puissance théorique (55% c’est pour l’année 2022, très mauvaise à cause des opérations de maintenance). Autrement dit, nos « 4 à 7 EPR » deviennent en condition de production autour de 1.5 EPR. Cela reste important mais pas décisif dans notre futur mix énergétique.
Surtout, parce qu’ici le juridique succédant à l’énergétique, cette capacité ne sera atteinte que si tous les parkings de 2500 m2 ou plus sont couverts d’ombrières : pas seulement les parkings à construire, mais aussi tous ceux existants. C’est donc en réalité une obligation de « mise aux normes » énergétiques nouvelles qui est imposée à tous ces parcs de stationnement. Or, le Conseil constitutionnel, dans une décision 2015-718 DC du 13 août 2015, à propos d’une précédente loi sur la transition énergétique a justement censuré l’obligation de rénovation énergétique des bâtiments résidentiels à l’occasion de leur mise en vente en jugeant que « en s'attachant à réduire la consommation énergétique des bâtiments résidentiels, le législateur a poursuivi un objectif d'intérêt général ; que, toutefois, en ne définissant ni la portée de l'obligation qu'il a posée, ni les conditions financières de sa mise en œuvre, ni celles de son application dans le temps, le législateur n'a pas suffisamment défini les conditions et les modalités de cette atteinte au droit de disposer de son bien ».
C’est effectivement le droit de propriété qui est ici en jeu et l’obligation de réaliser ces travaux est financièrement lourde pour les propriétaires de parkings. Ici se pose donc la question suivante : le texte du gouvernement contient il suffisamment de garanties pour répondre aux exigences du Conseil constitutionnel ?
L’étude d’impact nous jure que oui : il y a des délais (3 ou 5 ans selon les cas), des dérogations (sur décision du préfet si « des contraintes importantes (font) obstacle à un rendement économique suffisant »), des aides, notamment par la possibilité du rachat de l’électricité produite. Il reste que l’on est sans doute sur le fil du rasoir car quoi qu’on en dise, le droit de propriété reste tout de même fort sacré en France et la possibilité pour l’administration d’imposer des travaux sur des constructions existantes n’est admise qu’avec parcimonie.
Vous voyez, dans notre série juridique il y a un suspens insoutenable, et à la fin de la saison le Conseil constitutionnel viendra nous dire si le coupable est innocent ; pardon si la loi est constitutionnelle.
Mais avant que le droit ne boucle la saison, il reste l’économique, et les intérêts qui le supportent qui va nous tenir en haleine durant les prochains épisodes : 150.000.000 m2 d’ombrières ? Ça va chercher dans les combiens ? L’étude d’impact nous dit 13.5 Milliards d’euros, en s’appuyant sur une étude de 2019 de la Commission de Régulation de l’Energie. D’autres sources donnent des prix un peu plus élevés qui nous conduisent autour de 20 milliards d'euros. Dès l’annonce du projet de loi, les fédérations professionnelles notamment des centres commerciaux, se sont déjà manifestées en se récriant devant ce volume d’investissement avec la situation économique, l’inflation, et tout et tout.
Le voici donc notre prochain épisode : comment la bataille entre l’économique, le juridique et l’énergétique va-t-elle évoluer durant la phase de concertation sur le projet de loi et la discussion parlementaire ? De nouvelles dérogations ? Une remontée du « curseur » des 2500 m2 ? Des délais plus longs ? Des aides financières renforcées ? Ou au contraire une victoire des forces décarbonées auxquelles s’allieront, pour l’occasion, celles de l’industrie du bâtiment ?
Bref, vous le voyez entre les anneaux et les panneaux du pouvoir on ne sait pas quelle sera la série la plus captivante.
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