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Y aura-t-il des crèches à Noël ? Commentaire d’un arrêt à venir…
Le Conseil d’État, les médias s’en sont fait l’écho, peine à rendre la décision fort attendue sur le point de savoir si des communes peuvent légalement installer des crèches dans les locaux des mairies à la période de Noël ou si au contraire elles méconnaîtraient ainsi les termes de l’article 28 de la loi du 9 décembre 1905 ainsi rédigé : « Il est interdit, à l’avenir, d’élever ou d’apposer aucun signe ou emblème religieux sur les monuments publics ou en quelque emplacement public que ce soit, à l’exception des édifices servant au culte, des terrains de sépulture dans les cimetières, des monuments funéraires, ainsi que des musées ou expositions ».
On peut s’étonner, de prime abord, de la difficulté de rendre une décision sur une question aussi simple : il ne fait pas de doute que la représentation de la Nativité du Christ constitue un « signe religieux », de sorte que la violation des dispositions législatives précitées est acquise avec la force de l’évidence.
Où peut donc alors se situer la ou les difficultés ?
La première vient sans doute du caractère radical des dispositions de la loi de 1905 : on sait qu’en matière de laïcité il existe, au sein même de la loi de 1905 deux volets très différents : la « laïcité neutralité » et la « laïcité neutralisation ».
La « neutralité » se retrouve dans les dispositions de l’article 2 de la loi aux termes duquel : « La République ne reconnaît, ne salarie ni ne subventionne aucun culte », établissant ainsi une égalité de condition entre tous les cultes et leur séparation de la sphère publique.
La « neutralisation » se retrouve, outre dans notre article 28, dans le régime des sonneries de cloches ou des processions, lesquelles, lorsqu’elles ont un caractère religieux font l’objet de restrictions plus ou moins poussées, mais qui ne vont pas jusqu’à l’interdiction générale et absolue posée en matière de signes ou d’emblèmes.
Il faut à cet égard noter que cette « neutralisation » n’est en réalité qu’un corollaire de la neutralité puisque c’est en neutralisant les signes religieux dans les bâtiments ou « emplacements » publics que la République montre sa neutralité. C’est encore sur la base de cette logique qu’ont pu être interdites les manifestations religieuses des agents des services publics (CE, avis, 3 mai 2000, Demoiselle J. X., n° 217017).
Le caractère radical de certaines de ces dispositions a fréquemment été assoupli par la jurisprudence du Conseil d’État : on sait ainsi qu’il a admis, tant que la loi ne l’a pas prohibé, le port de signes religieux par des usagers du service public, on sait aussi que sa jurisprudence en matière de sonneries de cloches ou de processions religieuses s’est montrée relativement bienveillante. Du coup, les dispositions de l’article 28 qui ne donnent pas prise à des interprétations adoucies posent problème et invitent le juge à réfléchir à une atténuation de leur portée.
C’est ici que vient une deuxième difficulté. Cette atténuation, on a souvent cherché à l’identifier dans le caractère « mixte » d’une signe ou emblème : il serait religieux mais aurait en même temps un caractère historique, traditionnel, local qui effacerait ou recouvrirait le caractère religieux. Philippe Cossalter a récemment montré dans un article très informé que c’est ainsi que l’on avait pu admettre que le « logotype » du département de la Vendée, qui ressemblait pourtant beaucoup à des représentations du Sacré Cœur de Jésus voyait son caractère religieux « recouvert » par une signification historique, l’héritage des Chouans de Vendée (http://www.revuegeneraledudroit.eu/blog/2016/11/01/pour-rester-un-symbole-chretien-la-creche-de-la-nativite-doit-etre-exclue-de-lespace-public/).
C’est encore en s’inscrivant dans cette logique que la Cour administrative d’appel de Nantes (13 oct. 2015, Fédération de la libre pensée de Vendée, n° 14NT03400, dont l’arrêt est soumis au contrôle du Conseil d’État dans la présente affaire a pu admettre s’agissant d’une crèche « que compte tenu de sa faible taille, de sa situation non ostentatoire et de l'absence de tout autre élément religieux, elle s'inscrit dans le cadre d'une tradition relative à la préparation de la fête familiale de Noël et ne revêt pas la nature d'un " signe ou emblème religieux " ». Ici, c’est donc la tradition qui efface en le recouvrant le symbole religieux.
Jusqu’à présent, pour l’application de l’article 28 de la loi de 1905, le Conseil d’État n’a jamais eu à prendre parti sur cette problématique et c’est donc tout l’enjeu de la question qui lui est posée.
Surviennent alors simultanément les troisième et quatrième difficultés. D’abord la détermination des critères qui permettraient de justifier qu’un symbole religieux voit cette qualité recouverte par une « surcouche » historique ou traditionnelle qui lui ferait perdre son caractère initial. On voit bien ici, à la suite de la Cour administrative d’appel de Nantes, les arguments qui peuvent être présentés : une pratique locale reconnue, une taille restreinte de la crèche, l’absence de références religieuses autres, etc … Ce sont tous des critères fort casuistiques qui entraineront les juridictions du fond dans des complications d’application redoutables.
Mais ensuite, et surtout, c’est bien le rôle du juge qui est ici questionné : quelle est sa légitimité pour atténuer les termes d’un texte qui est parfaitement clair, d’une loi qui n’a pas, dans la matière des signes religieux, posé la possibilité d’une atténuation de l’interdiction alors qu’elle l’a fait pour les sonneries de cloches ou les processions. La décision que doit prendre le Conseil d’État est donc nécessairement une décision politique puisqu’elle reviendra au fond à déterminer la conception même de la « laïcité neutralisation » qui a cours depuis 1905.
Finalement, c’est la simplicité même des termes du débat qui est la cinquième et dernière difficulté : dans l’exercice de son pouvoir, le juge ne peut se réfugier derrière aucun faux semblant, aucune argumentation sophistiquée. Il doit simplement dire si l’article 28 de la loi de 1905 doit être appliqué littéralement ou s’il doit faire l’objet d’une interprétation constructive pour en atténuer la portée.
Dans le contexte actuel cela place donc le Conseil d’État dans une position très inconfortable, plus encore que s’agissant des arrêtés « anti-burkini » où précisément il n’existait pas cette base textuelle et où des sources multiples, essentiellement issues de principes non écrits très malléables pouvaient être mobilisées.
Pourtant, il nous semble que la réponse est simple, on l’a dit dès les premières lignes : il y a un texte clair, il y a une pratique qui méconnaît ce texte, la solution est donc évidente. Pour le reste, s’il doit y avoir des changements à apporter à la rigueur de cette interdiction, c’est au Législateur d’en décider.
Références
■ CE, avis, 3 mai 2000, Demoiselle J. X., n° 217017, Lebon ; AJDA 2000. 673 ; ibid. 602, chron. M. Guyomar et P. Collin ; D. 2000. 747, note G. Koubi ; AJFP 2000. 39 ; RFDA 2001. 146, concl. R. Schwartz.
■ CAA Nantes, 13 oct. 2015, Fédération de la libre pensée de Vendée, n° 14NT03400, Dalloz Actu Étudiant, 19 oct. 2015, AJDA 2015. 2390, note A. de Dieuleveult ; AJCT 2015. 651, obs. M. Yazi-Roman.
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