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Le cas du mois
Droit de la responsabilité civile
Quand un scooter déclare sa flamme…
Désiré et Adhémar n’aiment plus les voyages. Depuis leur dernière et énième mésaventure, ils restent dans leur quartier de résidence, qu’ils aiment traverser en scooter, même si Désiré, qui en est le propriétaire, sait qu’il lui faudra bientôt en changer, son engin, maintenant ancien, tombant trop fréquemment en panne à son goût.
« Tu devrais plutôt le faire réparer, ça te coûtera moins cher ! », lui conseilla Adhémar. Une fois n’est pas coutume, Désiré, optant pour cette solution effectivement plus économique, fit appel à un garagiste du quartier. Rendez-vous fut pris l’après-midi même, à 16h, devant son immeuble. Après un examen sommaire, le professionnel identifia sans mal l’origine de ces pannes successives, causées par le boitier GPS installé par Désiré sur le tableau de bord du véhicule et qui, selon le professionnel, consomme une énergie trop importante et affaiblit celle nécessaire à l’alimentation du moteur et donc au bon fonctionnement du scooter. Alors que le réparateur procédait aux premières réparations de l’engin, placé à cette fin dans le hall d’entrée de l’immeuble de Désiré, le scooter prit feu, soudainement, au point de provoquer un incendie qui s’était rapidement propagé dans tout l’immeuble. Une locataire en ressortit, malheureusement, grièvement blessée. Indifférente aux plates excuses que lui adressa Désiré, elle entend bien l’assigner en justice, sur le fondement de la loi Badinter relative aux accidents de la circulation, qu’elle sait très favorable aux victimes. Cet élément n’a pas non plus échappé à Désiré, d’ailleurs conforté sur ce point par son cousin. Malgré la solidité toute relative de leurs connaissances juridiques, ils sont assez sûrs que leur voisine obtiendra gain de cause. Très inquiets de voir la responsabilité de Désiré engagée, ils vous demandent si, par un heureux hasard, les circonstances particulières de l’accident, l’écartant il est vrai d’un classique accident de la route, pourraient lui permettre d’échapper aux fourches caudines de la loi Badinter qu’ils qualifient entre eux, sur un ton moqueur, de « loi victimaire ».
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Sélection des faits : Une voisine de Désiré a été grièvement blessée par un incendie survenu dans le hall d’entrée de son immeuble à l'endroit où était garé son scooter, sur lequel un garagiste effectuait des réparations du boîtier GPS installé sur le tableau de bord du véhicule, duquel un feu prit naissance avant de se propager dans tout l’immeuble. Elle entend assigner Désiré en responsabilité et indemnisation.
Qualification des faits : La locataire d’un immeuble à usage d’habitation a été grièvement blessée par un incendie survenu dans le hall d’entrée de son immeuble à l'endroit où était garé un scooter, sur lequel un garagiste effectuait des réparations du boîtier GPS installé sur le tableau de bord du véhicule, lieu de départ d’un feu qui s’est ensuite propagé à l’intégralité de l’immeuble. Elle entend agir en justice contre le propriétaire du véhicule pour voir sa responsabilité engagée sur le fondement de la responsabilité du 5 juillet 1985, dite « loi Badinter », relative aux accidents de la circulation.
Problème de droit : Un incendie trouvant son origine dans les réparations effectuées sur le boîtier d’un GPS d’un véhicule terrestre à moteur stationné dans le hall d’entrée d’un immeuble entre-t-il dans le champ d’application de la loi Badinter ?
Éléments de réponse : La loi Badinter (L. n° 85-677 du 5 juill. 1985) met en place un régime d’indemnisation spécifique au profit des victimes d’accidents de circulation. Pour en bénéficier, la victime doit avoir subi un préjudice à l’occasion d’un accident de la circulation dans lequel un véhicule terrestre à moteur (VTM) est impliqué. Cumulatives, ces conditions appellent, par leur confrontation aux faits de l’espèce, des observations quant à la notion d’accident de la circulation ainsi qu’à celle relative à l’implication du VTM dans l’accident.
■ Majeure
● Notion d’accident de la circulation. Cette notion connaît deux déclinaisons : elle désigne, d’une part, tout événement soudain et fortuit et qui, d’autre part, présente un lien avec la circulation.
En premier lieu, pour être accidentel, l'incendie provoqué par un véhicule terrestre à moteur doit donc être involontaire, ce qui revient à écarter l’application de la loi lorsque le dommage trouve son origine dans un agissement délibéré (Civ. 2e, 12 déc. 2002, n° 00-17.433 : « le dommage subi (…) éta(n)t la conséquence directe de l’action volontaire du conducteur, (…) il ne résultait pas d’un accident de la circulation »), ie un acte pyromane. En revanche, sauf si son caractère volontaire est certain, l'incendie provoqué par un véhicule terrestre à moteur est susceptible de constituer un accident régi par les dispositions de la loi du 5 juillet 1985, dont l’exclusivité d’application exclut celles, par exemple, de l'article 1384, devenu 1242, alinéa 2, du Code civil, relative à la responsabilité du fait des choses.
Quant au lien avec la circulation, cette condition désigne le lieu de l’accident, entendu comme un lieu de circulation, c-à-d un lieu où la circulation est à la fois possible, autorisée, prévue et aménagée à cet effet. Peu importe, en revanche, que ce lieu de circulation soit public (une autoroute) ou privé (parking).
● Notion d’implication. Cette notion a été volontairement choisie par le législateur pour rompre avec la condition traditionnelle mais plus drastique du principe de causalité, pour dispenser la victime de rapporter la preuve que son préjudice trouve sa cause directe et immédiate dans l’accident de circulation survenu. Le concept spécifique d’implication permet ainsi d’indemniser la victime dont le préjudice a été causé par un véhicule terrestre à moteur ayant contribué, à quelque titre que ce soit, à la survenance de l'accident, même lorsque l’action de son conducteur ou le mouvement du véhicule n’en est pas la cause (v. not. Civ. 2e, 29 mars 2018, n° 17-10.976). En outre, cette solution s’applique autant au véhicule en mouvement qu’à celui en stationnement, donc à l’arrêt, au moment de l’accident (v. not. Civ. 2e, 12 juin 1996, n° 94-14.600). Encore faut-il cependant, pour retenir l’implication du véhicule, que l’accident ait été causé par une fonction propre à la fonction de déplacement du véhicule, en sorte que s’il trouve son origine dans un élément d’équipement simplement utilitaire, et donc étranger à sa fonction première de déplacement, l’accident ne pourra dans ce cas être qualifié d’accident de la circulation au regard de la loi précitée, qui se verra exclue (v. pour un rappel récent de cette solution, Civ. 2e, 24 sept. 2020, n° 19-19.362 : Dalloz Actu Étudiant, 3 nov. 2020, obs. M. Hervieu).
Autrement formulé, si un incendie involontaire est provoqué par un élément nécessaire au déplacement d’un véhicule terrestre à moteur, même en stationnement dans un lieu privé, la loi du 5 juillet 1985 peut trouver à s'appliquer.
■ Mineure
En l’espèce, le feu à l’origine de l’incendie s’étant déclaré de manière involontaire, cette première condition d’application de la loi est remplie.
En outre, il ne sera pas nécessaire à sa voisine d'établir que le scooter a provoqué l'incendie, puisqu’il suffit qu’un véhicule, même à l’arrêt, soit intervenu à quelque titre que ce soit dans la survenance de l'accident pour engager la responsabilité de son conducteur. Cependant, il ressort des faits que le feu s’est déclaré au niveau du boîtier GPS du scooter, qui constitue un élément d’équipement utilitaire étranger à sa fonction de déplacement, ce qui doit conduire à exclure l’implication du véhicule dans l’accident.
Enfin, outre la condition liée à l’implication du VTM dans l’accident, celle liée au lieu de circulation ne semble pas davantage remplie. Certes, la présence du véhicule dans un lieu à caractère privé n’étant pas en soi un obstacle à l’application de la loi, le seul fait que le scooter de Désiré se trouvait dans un lieu privé et fermé ne suffira pas à exclure sa responsabilité. Mais la précision apportée quant au lieu exact de survenance de l’accident, le hall d'entrée d'un immeuble, permet en revanche de l’écarter. En effet, ce lieu ne devrait pas recevoir la qualification de lieu de circulation. De fait, par définition et sauf exception conventionnelle (via un règlement de copropriété, qui autoriserait par exemple les propriétaires de véhicules cyclomoteurs, tels des motos ou des scooters, à les garer à cet endroit), le hall d’entrée d’un immeuble désigne un lieu d'habitation, partant interdit à la circulation et au stationnement de véhicules terrestres à moteur. C’est ce qu’à jugé la deuxième chambre civile dans des circonstances quasiment identiques à celles de l’espèce pour exclure l’application de la loi Badinter à l’incendie né à l’occasion de la réparation d’un scooter en stationnement dans le hall d’entrée d’un immeuble, au motif que le véhicule s’était trouvé immobilisé dans un lieu d'habitation impropre à toute destination de stationnement et partant incompatible avec la notion de circulation (Civ. 2e, 26 nov. 2020, n° 18-26.846 ; v. déjà, Civ. 2e , 17 nov. 2016, n° 15-27.832).
■ Conclusion : Désiré peut être rassuré. Tout indique que sa responsabilité ne pourra être engagée sur le fondement légal envisagé par sa voisine. Il devra en revanche s’acheter un nouveau scooter, comme il l’avait initialement projeté, et quoi qu’il (lui) en coûte…
Sur la méthodologie du cas pratique : V. vidéo Dalloz
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