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Le cas du mois
Tout ou rien !
L'heure du bilan est venue pour nos deux compères Désiré et Adhémar. Passionnés par le droit, ils saisissent toutes les occasions qui s'offrent à eux pour mettre en pratique les cours qu'ils ont eus à l'Université. Mais ils constatent qu'ils n'ont jamais eu l'occasion d'appliquer leurs cours de droit pénal.
Les deux cousins décident donc de remédier immédiatement à cela. Pour Désiré, il est évident que c'est un stage aux côtés d'un avocat spécialisé en droit pénal qui lui permettra d'acquérir les connaissances pratiques dans cette matière. En revanche, pour Adhémar, le choix de son cousin est bien trop convenu. Lui préférerait découvrir la matière auprès d'un procureur de la République ou un juge d'instruction. Nos deux amis envoient des CV et lettres de motivation aux maîtres de stage potentiels… Quelques entretiens plus tard, Désiré commence un stage chez Me Corbeau tandis qu'Adhémar suivra le travail du juge Renard.
Après plusieurs semaines de stage, Désiré et Adhémar travaillent sur le même dossier. Me Corbeau défend Lucas Nabis, un jeune homme qui a été arrêté à la suite de la découverte de 10 kilos de cocaïne dans ses bagages à l'arrivée d'un vol en provenance de Bogota. Une enquête de flagrance a été ouverte à la suite de laquelle, Lucas Nabis a été mis en examen pour infraction à la législation sur les stupéfiants. Lors de la garde à vue, Me Corbeau a sollicité la consultation de l'intégralité du dossier de son client. Les enquêteurs n'ont pas fait droit à sa demande. Désiré s'insurge de l'atteinte portée aux droits de la défense. Me Corbeau, en accord avec Désiré, décide de faire un recours contre ce refus de communication des pièces du dossier et souhaite également faire annuler l'ouverture de la procédure de flagrance. En effet, son client lui apprit qu'il avait constaté faire l'objet d'une surveillance policière avant son arrestation. Un reportage télévisé confirmait les dires de Lucas.
Le juge d'instruction, informé de ces demandes de nullités, a demandé à Adhémar d'effectuer des recherches afin de s'assurer que la chambre de l'instruction n'y ferait pas droit. Ce dernier est persuadé que la procédure a été parfaitement menée et que les demandes de Lucas Nabis seront rejetées.
Désiré et Adhémar sont tous les deux convaincus d'avoir raison, et vous qu'en pensez-vous?
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Lucas Nabis a placé en garde à vue après la découverte de 10 kilos de cocaïne dans ses bagages. Une enquête de flagrance a été ouverte. Lors de sa garde à vue, Me Corbeau, son avocat, s'est vu refuser la communication du dossier de son client par les enquêteurs. Par ailleurs, Lucas Nabis a découvert qu'il faisait l'objet d'une surveillance policière avant son arrestation.
Il faut donc se demander d'une part, si l'ouverture d'une surveillance policière peut faire obstacle à l'ouverture d'une enquête de flagrance et d'autre part, si le refus des enquêteurs de communiquer l'intégralité du dossier du gardé à vue à son avocat est constitutif d'une violation des droits de la défense.
Rappelons tout d'abord qu'en vertu de l'article 170 du Code de procédure pénale, « en toute matière, la chambre de l'instruction peut, au cours de l'information, être saisie aux fins d'annulation d'un acte ou d'une pièce de la procédure par le juge d'instruction, par le procureur de la République, par les parties ou par le témoin assisté ». Pour que la nullité soit prononcée, l'article 171 du Code de procédure pénale exige que la méconnaissance d'une formalité substantielle prévue par une disposition du présent code ou toute autre disposition de procédure pénale [ait] porté atteinte aux intérêts de la partie qu'elle concerne.
Dans cette hypothèse, la partie lésée pourra saisir la chambre de l'instruction par requête motivée (C. pr. pén., art. 173).
Reste à déterminer si les arguments avancés par Lucas Nabis peuvent fonder sa demande en nullité.
Tout d'abord, il convient de rechercher si l'ouverture de l'enquête de flagrance peut être contestée dans la mesure où Lucas faisait l'objet d'une surveillance policière avant d'être interpelé.
L'article 53 alinéa 1er du Code de procédure pénale prévoit qu'est « qualifié de crime ou délit flagrant, le crime ou le délit qui se commet actuellement, ou qui vient de se commettre. Il y a aussi crime ou délit flagrant lorsque dans un temps très voisin de l'action la personne soupçonnée est poursuivie par la clameur publique, ou est trouvée en possession d'objets, ou présente des traces ou indices, laissant penser qu'elle a participé au crime et au délit. »
Lors d'un contrôle douanier, 10 kilos de cocaïne ont été retrouvés dans la valise de Lucas Nabis. À la suite à cette découverte, une enquête de flagrance a été ouverte et il a été placé en garde à vue. Or, Lucas conteste l'ouverture de cette enquête puisqu'il faisait déjà l'objet d'une surveillance policière dans le cadre d'une enquête préliminaire.
Pour qu'une enquête de flagrance puisse être ouverte, il faut démontrer :
– d'une part que le crime ou le délit vient de se commettre. En l'espèce, Lucas a été trouvé en possession de 10 kilos de cocaïne. La condition temporelle semble donc remplie ;
– d'autre part, il faut que les faits soient de nature à laisser penser que la personne a participé à ce crime ou ce délit. Dans cette affaire, les produits stupéfiants se trouvaient dans une valise appartenant à Lucas. Ces indices permettent de considérer que la condition relative à l'apparence d'un comportement délictueux est bien remplie.
Dès lors, l'ouverture d'une enquête de flagrance semble justifiée. Reste à se demander si l'ouverture antérieure d'une enquête préliminaire (C. pr. prén., art. 75) peut faire obstacle à l'ouverture de l'enquête de flagrance (rappelons, à ce propos, que le choix de l'enquête à un impact sur les actes pouvant être accomplis, la réglementation variant selon que l'on est en flagrance ou en enquête préliminaire).
Sur ce point, la chambre criminelle considère que les indices apparents d'un comportement délictueux pouvant justifier l'ouverture de l'enquête de flagrance peuvent être relevés lors d'une opération de police judiciaire diligentée dans le cadre d'une enquête préliminaire. Par conséquent, l'ouverture antérieure d'une telle enquête n'est pas de nature à entraîner la nullité de l'ouverture de l'enquête de flagrance (Crim. 5 janv. 2005).
L'article 63-4-1 du Code de procédure pénale dispose que l'avocat peut consulter le procès-verbal constatant la notification du placement en garde à vue, le certificat médical ainsi que les procès-verbaux d'audition de la personne qu'il assiste.
Fervent défenseur des droits de l'homme, Me Corbeau considère que la limitation de l'accès au dossier est contraire à l'article 6 de la Conv. EDH. Il avait donc demandé la consultation de l'intégralité du dossier de Lucas Nabis lors de sa garde à vue. Un refus lui avait été opposé par les enquêteurs.
Un accès limité au dossier du gardé à vue est prévu par l'article 63-4-1 Code de procédure pénale, il n'est donc pas possible d'obtenir la communication de l'intégralité du dossier du gardé à vue. La position de la chambre criminelle étant claire sur ce point (Crim. 19 sept. 2012). En outre, il n'est pas possible de considérer que les enquêteurs pouvaient fournir uniquement les pièces autorisées par l'article 63-4-1 Code de procédure pénale, alors que la demande portait sur l'intégralité du dossier comme l'a récemment rappelé la chambre criminelle (Crim. 18 déc. 2012). La demande doit être précise. En effet, Me Corbeau aurait dû anticiper ce refus en faisant une demande subsidiaire ne portant que sur les pièces visées à l'article 63-4-1 Code de procédure pénale. En l'espèce, la demande de nullité formulée auprès de la chambre criminelle ne pourra aboutir.
Références
■ Crim. 5 janv. 2005, n°04-81.714, Bull. crim. n°6, RSC 2005. 373.
■ Crim. 19 sept. 2012, n°11-88.111, Dalloz Actu Étudiant 28 sept. 2012.
■ Crim. 18 déc. 2012, n°12-85.735.
■ Code de procédure pénale
« Est qualifié crime ou délit flagrant le crime ou le délit qui se commet actuellement, ou qui vient de se commettre. Il y a aussi crime ou délit flagrant lorsque, dans un temps très voisin de l'action, la personne soupçonnée est poursuivie par la clameur publique, ou est trouvée en possession d'objets, ou présente des traces ou indices, laissant penser qu'elle a participé au crime ou au délit.
À la suite de la constatation d'un crime ou d'un délit flagrant, l'enquête menée sous le contrôle du procureur de la République dans les conditions prévues par le présent chapitre peut se poursuivre sans discontinuer pendant une durée de huit jours.
Lorsque des investigations nécessaires à la manifestation de la vérité pour un crime ou un délit puni d'une peine supérieure ou égale à cinq ans d'emprisonnement ne peuvent être différées, le procureur de la République peut décider la prolongation, dans les mêmes conditions, de l'enquête pour une durée maximale de huit jours. »
« À sa demande, l'avocat peut consulter le procès-verbal établi en application du dernier alinéa de l'article 63-1 constatant la notification du placement en garde à vue et des droits y étant attachés, le certificat médical établi en application de l'article 63-3, ainsi que les procès-verbaux d'audition de la personne qu'il assiste. Il ne peut en demander ou en réaliser une copie. Il peut toutefois prendre des notes. »
« Les officiers de police judiciaire et, sous le contrôle de ceux-ci, les agents de police judiciaire désignés à l'article 20 procèdent à des enquêtes préliminaires soit sur les instructions du procureur de la République, soit d'office.
Ces opérations relèvent de la surveillance du procureur général.
Les officiers et les agents de police judiciaire informent par tout moyen les victimes de leur droit :
1° D'obtenir réparation du préjudice subi ;
2° De se constituer partie civile si l'action publique est mise en mouvement par le parquet ou en citant directement l'auteur des faits devant la juridiction compétente ou en portant plainte devant le juge d'instruction ;
3° D'être, si elles souhaitent se constituer partie civile, assistées d'un avocat qu'elles pourront choisir ou qui, à leur demande, sera désigné par le bâtonnier de l'ordre des avocats près la juridiction compétente, les frais étant à la charge des victimes sauf si elles remplissent les conditions d'accès à l'aide juridictionnelle ou si elles bénéficient d'une assurance de protection juridique ;
4° D'être aidées par un service relevant d'une ou de plusieurs collectivités publiques ou par une association conventionnée d'aide aux victimes ;
5° De saisir, le cas échéant, la commission d'indemnisation des victimes d'infraction, lorsqu'il s'agit d'une infraction mentionnée aux articles 706-3 et 706-14 ;
6° De demander une ordonnance de protection, dans les conditions définies par les articles 515-9 à 515-13 du code civil. Les victimes sont également informées des peines encourues par le ou les auteurs des violences et des conditions d'exécution des éventuelles condamnations qui pourraient être prononcées à leur encontre. »
« En toute matière, la chambre de l'instruction peut, au cours de l'information, être saisie aux fins d'annulation d'un acte ou d'une pièce de la procédure par le juge d'instruction, par le procureur de la République, par les parties ou par le témoin assisté. »
« Il y a nullité lorsque la méconnaissance d'une formalité substantielle prévue par une disposition du présent code ou toute autre disposition de procédure pénale a porté atteinte aux intérêts de la partie qu'elle concerne. »
« La partie envers laquelle une formalité substantielle a été méconnue peut renoncer à s'en prévaloir et régulariser ainsi la procédure. Cette renonciation doit être expresse. Elle ne peut être donnée qu'en présence de l'avocat ou ce dernier dûment appelé. »
« S'il apparaît au juge d'instruction qu'un acte ou une pièce de la procédure est frappé de nullité, il saisit la chambre de l'instruction aux fins d'annulation, après avoir pris l'avis du procureur de la République et avoir informé les parties.
Si le procureur de la République estime qu'une nullité a été commise, il requiert du juge d'instruction communication de la procédure en vue de sa transmission à la chambre de l'instruction, présente requête aux fins d'annulation à cette chambre et en informe les parties.
Si l'une des parties ou le témoin assisté estime qu'une nullité a été commise, elle saisit la chambre de l'instruction par requête motivée, dont elle adresse copie au juge d'instruction qui transmet le dossier de la procédure au président de la chambre de l'instruction. La requête doit, à peine d'irrecevabilité, faire l'objet d'une déclaration au greffe de la chambre de l'instruction. Elle est constatée et datée par le greffier qui la signe ainsi que le demandeur ou son avocat. Si le demandeur ne peut signer, il en est fait mention par le greffier. Lorsque le demandeur ou son avocat ne réside pas dans le ressort de la juridiction compétente, la déclaration au greffe peut être faite au moyen d'une lettre recommandée avec demande d'avis de réception. Lorsque la personne mise en examen est détenue, la requête peut également être faite au moyen d'une déclaration auprès du chef de l'établissement pénitentiaire. Cette déclaration est constatée et datée par le chef de l'établissement pénitentiaire qui la signe, ainsi que le demandeur. Si celui-ci ne peut signer, il en est fait mention par le chef de l'établissement. Ce document est adressé sans délai, en original ou en copie et par tout moyen, au greffe de la chambre de l'instruction.
Les dispositions des trois premiers alinéas ne sont pas applicables aux actes de procédure qui peuvent faire l'objet d'un appel de la part des parties, et notamment des décisions rendues en matière de détention provisoire ou de contrôle judiciaire.
Dans les huit jours de la réception du dossier par le greffe de la chambre de l'instruction, le président peut, par ordonnance non susceptible de recours, constater que la requête est irrecevable en application du présent article, troisième ou quatrième alinéa, de l'article 173-1, des articles 174, premier alinéa, ou 175, quatrième alinéa ; il peut également constater l'irrecevabilité de la requête si celle-ci n'est pas motivée. S'il constate l'irrecevabilité de la requête, le président de la chambre de l'instruction ordonne que le dossier de l'information soit renvoyé au juge d'instruction ; dans les autres cas, il le transmet au procureur général qui procède ainsi qu'il est dit aux articles 194 et suivants. »
■ Article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme - Droit à un procès équitable
« 1. Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable, par un tribunal indépendant et impartial, établi par la loi, qui décidera, soit des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil, soit du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle. Le jugement doit être rendu publiquement, mais l’accès de la salle d’audience peut être interdit à la presse et au public pendant la totalité ou une partie du procès dans l’intérêt de la moralité, de l’ordre public ou de la sécurité nationale dans une société démocratique, lorsque les intérêts des mineurs ou la protection de la vie privée des parties au procès l’exigent, ou dans la mesure jugée strictement nécessaire par le tribunal, lorsque dans des circonstances spéciales la publicité serait de nature à porter atteinte aux intérêts de la justice.
2. Toute personne accusée d’une infraction est présumée innocente jusqu’à ce que sa culpabilité ait été légalement établie.
3. Tout accusé a droit notamment à :
a) être informé, dans le plus court délai, dans une langue qu’il comprend et d’une manière détaillée, de la nature et de la cause de l’accusation portée contre lui ;
b) disposer du temps et des facilités nécessaires à la préparation de sa défense ;
c) se défendre lui-même ou avoir l’assistance d’un défenseur de son choix et, s’il n’a pas les moyens de rémunérer un défenseur, pouvoir être assisté gratuitement par un avocat d’office, lorsque les intérêts de la justice l’exigent ;
d) interroger ou faire interroger les témoins à charge et obtenir la convocation et l’interrogation des témoins à décharge dans les mêmes conditions que les témoins à charge ;
e) se faire assister gratuitement d’un interprète, s’il ne comprend pas ou ne parle pas la langue employée à l’audience. »
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