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Le cas du mois
Droit de la responsabilité civile
Une voisine « coqasse »
Après avoir finalement réussi à convaincre Adhémar de renoncer à son projet de mariage insensé, Désiré proposa à son cousin de l’emmener en week-end à l’île d’Oléron, où ses parents résident la moitié de l’année, appréciant le calme que leur offre la charmante petite bourgade, d’à peine 500 habitants, où ils ont élu domicile, il y a près de quinze ans, à l’intérieur d’une maison de pêcheur typique de l’île et suffisamment éloignée du centre-ville pour échapper, les mois d’été, à l’afflux touristique.
Éprouvé par ses récents déboires amoureux, Adhémar accepta sans hésiter l’invitation. Mais dès leur arrivée, les deux comparses furent surpris par l’attitude de leurs hôtes : d’ordinaire joyeux et détendus dès qu’ils se trouvent dans leur petit éden de la côte atlantique, ils se montrèrent étonnamment irritables. « C’est la voisine », leur confièrent-ils immédiatement. « Enfin, son coq », précisèrent-ils, tout naturellement. « Un coq ?! », s’étonnèrent d’une même voix nos deux complices. « Oui », confirma le père de Désiré, « tu as bien entendu, un coq. Elle pourrait avoir un chien ou un chat, comme tout le monde, mais cette folle a préféré choisir un coq comme animal de compagnie ». « En même temps, c’est plus original », lui répondit son fils, « et puis en milieu rural, ça n’a rien d’anormal non plus », ajouta-t-il. « On voit que ce n’est pas toi qui es réveillé tous les matins à l’aube par son chant horripilant ! ». « A l’aube, tu exagères, on ne l’entend généralement qu’entre 6h30 et 7h00 », tempéra la mère de Désiré. « Mais il chante en continu ? », demanda Adhémar, prenant enfin part à cette conversation assez éloignée de ses préoccupations du moment. « Non, par intermittence », lui répondit sa tante, « mais ton oncle n’a pas tout à fait tort, son chant quotidien est tout de même incommodant. Et puis en plus, c’est pas la Callas… ». « Quelque part tant mieux ! En termes de volume sonore, encore heureux qu’il n’ait pas le talent d’un chanteur d’opéra ! », plaisanta Adhémar dans l’espoir de les réconforter. « C’est vrai qu’il ne chante pas excessivement fort, mais c’est tout de même insupportable ! », reprit de plus belle le père de Désiré, « on n’a pas signé pour ça, nous ! On veut pouvoir continuer à vivre tranquillement ici. De toute façon, avec ta tante, notre décision est prise. On va l’assigner en justice pour trouble du voisinage. Ce n’est pas faute de notre part d’avoir essayé de régler le problème avec elle à l’amiable, mais ça n’a rien changé ». « D’accord, mais ça n’est pas de sa faute, et puis qu’est-ce que tu voulais qu’elle fasse ? », lui opposa son neveu. « Un coq au vin, par exemple. Par goût, j’aurais préféré », lui répondit-il avec malice. « De toute façon, vous avez peu de chances d’obtenir gain de cause », affirma Adhémar sur un ton plus sérieux ; « c’est un peu ridicule, voire abusif, d’engager une procédure pour une histoire pareille. Et puis vous croyez vraiment que la justice n’a que ça à faire ? ». « Pas si sûr », lui opposa son cousin, « c’est un trouble du voisinage comme un autre, finalement. Bien plaidé, ça peut marcher ».
Cause perdue ou plainte légitime ? A vous de trancher….
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Sélection des faits : Résidant dans une zone rurale habituellement tranquille, les parents de Désiré souhaitent assigner leur voisine en responsabilité pour les nuisances que leur cause le coq dont elle est propriétaire, le chant de son animal les réveillant tous les matins.
Qualification des faits : Un coq entrave la tranquillité des voisins de sa propriétaire, résidant hors du centre-ville de leur village, par son chant matinal quotidien. Quoiqu’épisodique et d’un niveau sonore tolérable, le ramage de l’animal les incite à assigner sa propriétaire en justice, arguant d’un trouble anormal du voisinage.
Problème de droit : Le chant quotidien d’un coq, même intermittent et seulement audible dans une zone rurale éloignée du centre-ville, est-il susceptible de constituer un trouble anormal du voisinage ?
Majeure :
La Cour de cassation reconnaît l’existence d’un principe général de droit selon lequel « nul ne peut causer à autrui un trouble anormal de voisinage » (V. not., Civ. 2e, 28 juin 1995, n° 93-12.681; pour une illustration récente, V. Civ. 3e, 8 nov. 2018, n° 17-24.333). Plus précisément, elle affirme que le droit pour un propriétaire de jouir de sa chose de la manière la plus absolue est limité par l’obligation qu’il a de ne pas causer à autrui un dommage dépassant les inconvénients normaux du voisinage (Civ. 3e, 4 févr. 1971, n° 69-12.528 et 69-14.964). Conçue par les juges comme une limite au droit de propriété, la théorie des troubles anormaux du voisinage a pour objet d’interdire au propriétaire d’infliger à ses voisins un trouble qui dépasse la mesure des inconvénients normaux résultant de la vie en communauté.
Le principe connaît également un fondement légal, l’article 651 du Code civil affirmant plus généralement que « la loi assujettit les propriétaires à différentes obligations l’un à l’égard de l’autre, indépendamment de toute convention ».
Il s’agit d’une cause de responsabilité objective : la réparation du dommage ne dépend donc pas de la preuve d’une faute commise par le propriétaire, encore moins de celle de son intention de nuire (Civ. 3e, 4 févr.1 971, op. cit. ; Civ. 3e, 18 juin 2013, n° 12-10.249); elle suppose uniquement la preuve d’un trouble anormal (Civ. 3e, 14 janv. 2014, n° 12-29.545), c’est-à-dire d’une nuisance qui, même en l’absence d’infraction à des dispositions légales ou réglementaires, excède les inconvénients normaux, habituels, ordinaires, inhérents au voisinage (Civ. 3e, 10 janv. 1978, n° 76-11.111 ; Civ. 3e, 24 oct. 1990, n° 88-19.383).
En cette matière, l’appréciation des juges du fond est souveraine. Elle repose sur une pluralité d’éléments : s’ils tiennent compte à la fois des circonstances de temps et de lieu, ils considèrent tout autant la nature, la fréquence, la répétition et l’intensité des nuisances dénoncées.
Le bruit fait partie des nuisances dont l’anormalité, par sa puissance sonore et/ou sa répétition, peut être facilement caractérisée (aspirateur, radio, télévision, vide-ordures, instrument de musique, etc.), a fortiori lorsqu’il est émis la nuit (Pour une dernière application, V. Civ. 3e, 12 sept. 2019, n° 18-18.521 : Dalloz Actu Étudiant, 21 oct. 2019, note Merryl Hervieu).
En particulier, certains bruits animaliers ont déjà été considérés en jurisprudence comme constitutifs de troubles anormaux du voisinage (V. notam., à propos de batraciens, Civ. 2e, 14 déc. 2017, n° 16-22.509), notamment le chant de coqs (Dijon, 2 avr.1987). Réelles, ce type de nuisances suppose néanmoins, pour apprécier leur éventuelle anormalité, de tenir tout spécialement compte de l’environnement qui entoure ceux qui s’en plaignent ; ainsi la jurisprudence se montre-t-elle généralement réticente à reconnaître l’anormalité du trouble en raison de la ruralité de l’environnement où s’est noué le conflit de voisinage (V. notam., CA Orléans, 4 févr. 2019, n° 17/00584 ; CA Bordeaux, 1er juin 2006, n° 05/00492).
Une autre règle, plus récente, pourrait également trouver à s’appliquer : l’article R. 1336-5 du Code de la santé publique dispose, en effet, qu’« aucun bruit particulier ne doit, par sa durée, sa répétition ou son intensité, porter atteinte à la tranquillité du voisinage ou à la santé de l’homme, dans un lieu public ou privé, qu’une personne en soit elle-même à l’origine ou que ce soit par l’intermédiaire d’une personne, d’une chose dont elle a la garde ou d’un animal placé sous sa responsabilité ». Introduit par un décret du 31 août 2006, ce texte suppose la preuve d’une faute de l’auteur du trouble, constitutive d’une atteinte à la santé ou à la tranquillité des habitants voisins, laquelle sera alors sanctionnée par une amende pénale.
Mineure : En l’espèce, il n’est pas contesté que le coq chante ce qui, en soi, n’a déjà rien d’anormal. Cependant, il constitue bien un bruit, potentiellement nuisible. Les faits relatent que l’animal ne chante que sur une courte durée (6h30 à 7h00), par intermittence, et que son chant semble être d’une intensité raisonnable.
Par ailleurs, le lieu où le bruit est émis se situe à l’intérieur d’un petit bourg (5 000 habitants), dans une zone pouvant être qualifiée de rurale, éloignée du centre-ville.
L’ensemble de ces considérations tendent à affirmer que le trouble, s’il est établi, ne saurait être qualifié d’excessif. C’est ce que, dans une affaire quasiment identique, un tribunal vient d’ailleurs de juger. (TI Rochefort-sur-mer, 5 sept. 2019).
Pour les mêmes raisons, il est également peu probable que l’article R. 1336-5 du Code de la santé publique puisse être invoqué avec succès, l’atteinte à la tranquillité publique causée par un bruit supposant que celui-ci ait une force de nuisance que le caractère épisodique et la faible intensité du chant ne suffiraient pas à constituer ; en outre, ce texte est fondé sur la faute de l’intéressé qui ne pourrait davantage, en l’espèce, être caractérisée (V. TI Rochefort-sur-mer, jugement préc.).
Conclusion : Quel que soit le fondement envisagé, l’action que les parents de Désiré entendent engager a peu de chances de prospérer.
Sur la méthodologie du cas pratique : V. vidéo Dalloz
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