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[ 27 janvier 2025 ] Imprimer

Droit de la famille

Adoption de l’enfant : contrariété à l’ordre public procédural d’un jugement étranger non motivé

Est contraire à la conception française de l'ordre public international la reconnaissance d'une décision étrangère non motivée lorsque ne sont pas produits des documents de nature à servir d'équivalent à la motivation défaillante. En matière d'adoption, le juge de l'exequatur doit être en mesure, à travers la motivation de la décision ou les documents de nature à servir d'équivalent qui lui sont fournis, de connaître les circonstances de l'adoption et de s'assurer qu'il a été constaté que les parents ou les représentants légaux de l'enfant y ont consenti dans son principe comme dans ses effets.

Civ. 1re, 11 déc. 2024, n° 23-15.672

L’affaire rapportée portait sur une demande d’exequatur, formée par un père d’intention né aux Etats-Unis, d’un jugement rendu le 22 janvier 2018 par une juridiction américaine. Ce jugement avait droit à sa demande d’adoption d’un enfant mineur né dans un Etat américain, dans des conditions douteuses, le 8 juillet 2017 (soit six mois avant le jugement), mis fin de manière permanente aux droits des parents biologiques et dit que l’enfant porterait désormais le nom officiel du requérant et que ce dernier aurait la même relation juridique à son égard que s’il était son fils biologique. Par acte d’huissier du 10 juin 2021, le requérant, agissant tant en son nom personnel qu’en qualité de représentant légal de l’enfant mineur, avait fait assigner le procureur de la République du tribunal judiciaire de Paris aux fins de voir déclarer exécutoire en France le jugement du 22 janvier 2018, avec les effets de l’adoption plénière. Par jugement du 13 avril 2022, le tribunal judiciaire de Paris déclara la décision étrangère exécutoire sur le territoire français, dit que la décision produirait en France les effets de l’adoption plénière et précisa que l’enfant mineur porterait le nom patronymique de son père adoptif. Le procureur de la République du tribunal judiciaire de Paris releva appel de cette décision. Par arrêt du 18 avril 2023, la cour d’appel a, en particulier, infirmé le jugement de première instance et débouté le requérant de sa demande d’exequatur du jugement américain du 22 janvier 2018. Le pourvoi formé par le demandeur posait principalement à la Cour de cassation la question de l’appréciation et du contrôle de l’ordre public international par le juge de l’exequatur dans la reconnaissance d’un jugement étranger prononçant l’adoption d’un enfant. En effet, l’auteur du pourvoi soutenait que ni l’absence de motivation de la décision étrangère ni l’absence de mention expresse relative au consentement à l’adoption du représentant légal ne faisaient obstacle à cette reconnaissance. Thèse à laquelle la première chambre civile de la Cour de cassation refuse d’adhérer aux termes d’une motivation enrichie, riche d’enseignements quant aux contours de l’office du juge de l’exequatur pour contrôler le respect de l’ordre public international en matière d’adoption. 

Pour rejeter le pourvoi, la Cour commence par rappeler qu’aux termes de l'article 509 du Code de procédure civile, les jugements rendus par les tribunaux étrangers et les actes reçus par les officiers étrangers sont exécutoires sur le territoire de la République de la manière et dans les cas prévus par la loi. Ainsi renvoie-t-elle aux règles définies, en matière de filiation, par l'arrêt de principe « Hainard » (Req. 3 mars 1930), selon lequel « les jugements rendus par un tribunal étranger relativement à l'état des personnes produisent leurs effets en France indépendamment de toute déclaration d'exequatur, sauf les cas où les jugements doivent donner lieu à des actes d'exécution matérielle sur les biens ou de coercition sur les personnes » (pt 6). Cependant, poursuit la Cour, la reconnaissance immédiate des effets du jugement suppose la régularité internationale de la décision (« Leur régularité internationale est cependant contrôlée par le juge français lorsque celle-ci est contestée ou qu'il lui est demandé de la constater », pt 7). En conséquence, les décisions étrangères sont soumises à un contrôle qui peut être effectué par voie incidente ou principale et les actions peuvent être engagées par le ministère public ou par toute personne qui y a intérêt. Ce contrôle, d'abord soumis aux cinq conditions de l'exequatur telles que définies à l'origine par l'arrêt « Munzer » (Civ. 7 janv. 1964), s’opère désormais par la vérification des trois conditions ensuite posées par l'arrêt « Cornelissen » (Civ. 1re, 20 févr. 2007, n° 05-14.082) : pour accorder l'exequatur hors de toute convention internationale, le juge français doit s'assurer de la compétence indirecte du juge étranger, fondée sur le rattachement du litige au juge saisi, de l’absence de fraude, et de la conformité à l'ordre public international de fond et de procédure (pt 8). Concernant cette dernière condition, la première chambre civile rappelle l'exigence de motivation de la décision étrangère pour admettre sa compatibilité avec l’ordre public procédural. S'agissant des décisions étrangères rendues en matière d'adoption, une distinction est en outre opérée selon que l’adoption a été prononcée par une autorité judiciaire ou administrative d’un État partie à la Convention de La Haye du 29 mai 1993 sur la protection des enfants et la coopération en matière d’adoption internationale ou non. Lorsque l'adoption a été prononcée dans le cadre de cette convention, dont l'objectif est d'encadrer le processus d'adoption en amont et de faciliter en aval la circulation des décisions, le principe est celui de la reconnaissance de plein droit dans tous les États contractants (art. 23), sous réserve de l'établissement d'un certificat de conformité (art. 16 à 23) attestant que les exigences posées par la convention ont été respectées et de la conformité de l'adoption à l'ordre public de l'État d'accueil, apprécié au regard de l'intérêt supérieur de l'enfant (art. 24). Il est en outre précisé si l'adoption a pour effet de rompre ou non le lien de filiation préexistant. Lorsque l'adoption a été prononcée dans un pays non partie à la convention de La Haye, ce qui était le cas en l'espèce, le juge de l’exequatur doit s’assurer, conformément au droit commun de l’exequatur, de la compétence du juge étranger, de l’absence de fraude et de la conformité de la décision à l’ordre public en matière internationale. S’agissant de la mise en œuvre de ce dernier critère du contrôle, la Cour précise que le juge de l'exequatur doit être en mesure, à travers la motivation de la décision ou les documents de nature à servir d'équivalent qui lui sont fournis, de connaître les circonstances de l'adoption et de s'assurer qu'il a été constaté que ses parents ou ses représentants légaux y ont consenti dans son principe comme dans ses effets (pts 9 et 10). En pratique, le contrôle exercé par les autorités françaises s'effectue ici de manière renforcée au regard du critère de conformité ou non de la décision étrangère à l'ordre public français en matière internationale, notamment sous l'angle du recueil du consentement des parents - exigence essentielle en matière d'adoption, en droit interne comme externe (européen et international). Ce contrôle est complexe puisqu'il ne doit pas conduire à une révision de la décision au fond (Civ. 1re, 22 juin 2016, n° 15-18.742 ; Civ. 1re, 20 mars 2019, n° 18-50.005 ; Civ. 1re, 9 juin 2021, n° 20-14.205). Dans cette optique, la Cour de cassation s'est attachée depuis plusieurs années à délimiter le champ de l'ordre public français en matière d’adoption internationale. Ainsi a-t-elle jugé, tant pour les adoptions prononcées par les autorités d'un pays membre de la convention de La Haye (Civ. 1re, 1er avr. 2015, n° 14-50.044 ; Civ. 1re, 6 nov. 2019, n° 18-17.111) ou tiers à celle-ci (Civ. 1re, 7 déc. 2016, n° 16-23.471 ; Civ. 1re, 13 juin 2019, n° 18-18.855), que la violation de l'article 370-3, alinéa 3, du Code civil exigeant, quelle que soit la loi applicable, le consentement du représentant légal de l’enfant, ne pouvait être opposée à la reconnaissance de la décision étrangère dans la mesure où ce texte ne concerne que les adoptions prononcées en France par les juridictions françaises. Le risque étant que l'absence de consentement des parents d'origine ou des conditions posées à l’adoption dans l’intérêt de l’enfant n’empêche plus la reconnaissance de l'adoption étrangère. D’où l’utilité ici illustrée de recourir au critère de la conformité à l'ordre public de procédure, une telle conformité ne pouvant être admise lorsque les intérêts d'une partie ont été objectivement compromis par une violation des principes fondamentaux de la procédure, comme par exemple dans le cas de l’espèce d'une décision étrangère non motivée en l’absence des documents de nature à servir d'équivalents à la motivation défaillante. En effet, la cour d'appel a relevé que s'il était constant que la compétence du juge américain et l'absence de fraude n'étaient pas contestées, le jugement ne contenait aucune motivation. En particulier, il ne faisait état ni de l'existence du consentement à l'adoption des parents ou des représentants légaux de l'enfant, dont l'identité n'était pas précisée, ni des conditions de recueil de l'enfant (pt 11). Elle a également estimé que les pièces équivalentes fournies, soit des attestations improprement qualifiées de certificat de coutume et établies, par un avocat du cabinet chargé par le requérant des démarches judiciaires américaines pour l'adoption, postérieurement au jugement et directement à l'intention du juge français, étaient inopérantes. Elle a enfin constaté qu'invité à produire d’autres éléments de nature à servir d'équivalent à cette motivation défaillante, notamment la requête visée par le jugement, le requérant avait refusé d’y procéder. Ayant ainsi établi qu'elle n'avait pas été mise en mesure d'exercer son contrôle, la cour d'appel en a exactement déduit que le jugement heurtait l'ordre public international français et ne pouvait en conséquence recevoir l'exequatur. 

À noter qu’ainsi, la Cour met un frein à la jurisprudence récente ayant plusieurs fois accordé l’exequatur de décisions étrangères établissant les liens de filiation entre des requérants candidats à l’adoption et leurs enfants nés d’une GPA à l’étranger, en dépit du principe interne d’interdiction d’une telle pratique procréative (Civ. 1re, 14 nov. 2024, n° 23-50.016 ; Civ. 1re, 2 oct. 2024, n° 23-50.002). Majeur est donc l’enjeu de la présente décision, publiée à la suite de la succession de pourvois dont la Haute Cour fut dernièrement saisie à l’effet, d’une part, de voir reconnaître les décisions étrangères dans l'ordre interne français et de voir dire, d’autre part, que ces décisions auront les effets d'un jugement d'adoption plénière. Or en l’espèce, il est fort probable que l’enfant soit également né dans le cadre d’un contrat de GPA. De plus en plus douteux se révèlent donc les motifs du recours à la procédure d'exequatur dans des situations voisines faisant communément apparaître, compte tenu de la rédaction nouvelle de l'article 47 du Code civil, que la transcription des actes de naissance des enfants n’aurait pas été possible. Il est donc légitime de se demander si, en réalité, des stratégies ne se sont pas mises en place pour contourner les difficultés liées à la transcription des actes. Bienvenu, le recours ici opéré à l’ordre public international, qui tend de façon générale à empêcher que des situations créées à l’étranger ne viennent perturber les fondements de la société du for, permet ici de préserver la double interdiction française de la GPA et du contournement des règles applicables à l’institution de l’adoption (comp. Civ. 1re, 14 nov. 2024, préc., la Cour de cassation censurant les juges du fond uniquement sur l’adoption, que le jugement étranger n’avait pas prononcée, sans que cette censure ne remette en cause la reconnaissance par la France du lien de filiation ; dans le même sens, Civ. 1re, 2 oct. 2024, préc). Si comme le rappelait le requérant, la violation de l’article 370-3 du Code civil ne peut être opposée à l’exequatur d’un jugement d’adoption étranger, encore faut-il que la décision étrangère constate l’existence du consentement des parents ou des représentants légaux de l’enfant, le consentement libre et éclairé des parents à l’adoption, principalement à ses effets, faisant partie des valeurs protégées par l’ordre public international français. Cet ensemble de principes fondateurs de notre système juridique, qui comptent parmi les règles impératives et indisponibles aux accords contractuels intégrées à l’ordre public international français, ne peut être écarté au seul motif d’une volonté souveraine d’adultes en désir d’enfants partis chercher à l’étranger ce que l’ordre interne prohibe.

Références :

■ Req. 3 mars 1930, S.1930 : 1.377, note J.-P. Niboyet

■ Civ. 1re, 7 janv. 1964, n° 62-12.438

■ Civ. 1re, 20 févr. 2007, n° 05-14.082 D. 2007. 1115, obs. I. Gallmeister, note L. d'Avout et S. Bollée ; ibid. 891, chron. P. Chauvin ; ibid. 1751, obs. P. Courbe et F. Jault-Seseke ; AJ fam. 2007. 324 ; Rev. crit. DIP 2007. 420, note B. Ancel et H. Muir Watt

■ Civ. 1re, 22 juin 2016, n° 15-18.742

■ Civ. 1re, 20 mars 2019, n° 18-50.005 : D. 2019. 643

■ Civ. 1re, 9 juin 2021, n° 20-14.205

■ Civ. 1re, 1er avr. 2015, n° 14-50.044 : D. 2016. 1045, obs. H. Gaudemet-Tallon et F. Jault-Seseke ; AJ fam. 2015. 339, obs. A. Boiché

■ Civ. 1re, 6 nov. 2019, n° 18-17.111 : D. 2020. 130, note J. Guillaumé ; Rev. crit. DIP 2020. 487, note P. Lagarde

■ Civ. 1re, 7 déc. 2016, n° 16-23.471 : D. 2016. 2571 ; ibid. 2017. 1011, obs. H. Gaudemet-Tallon et F. Jault-Seseke ; AJ fam. 2017. 197, obs. P. Salvage-Gerest ; Rev. crit. DIP 2017. 560, note P. de Vareilles-Sommières

■ Civ. 1re, 13 juin 2019, n° 18-18.855

■ Civ. 1re, 14 nov. 2024, n° 23-50.016 DAE 17 déc.2024, note Merryl Hervieu ; D. 2024. 1962 ; AJ fam. 2024. 585, obs. A. Dionisi-Peyrusse

■ Civ. 1re, 2 oct. 2024, n° 23-50.002 DAE, 14 nov.2024, note Merryl Hervieu D. 2024. 2042, note L. Brunet et M. Mesnil ; AJ fam. 2024. 485, édito. V. Avena-Robardet

 

Auteur :Merryl Hervieu


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