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[ 12 juillet 2021 ] Imprimer

Droit des obligations

Application dans le temps de la sanction de l’exécution forcée aux promesses unilatérales de ventes

Opérant un revirement de jurisprudence, la troisième chambre civile fait une application anticipée de la sanction de l’exécution forcée consacrée par l’ordonnance du 10 février 2016 à une promesse unilatérale de vente consentie antérieurement à la date de son entrée en vigueur.

Civ. 3e, 23 juin 2021, n° 20-17.554

La promesse unilatérale est le contrat par lequel une partie, le promettant, accorde à l'autre, le bénéficiaire, le droit d'opter pour la conclusion d'un contrat dont les éléments essentiels sont déterminés, et pour la formation duquel ne manque que le consentement du bénéficiaire (C. civ. art. 1124, al. 1er). La révocation de la promesse par le promettant pendant le temps laissé au bénéficiaire pour opter n'empêche pas la formation du contrat promis (al. 2).

En l’espèce, le 1er avril 1999, un couple de propriétaires avait consenti une promesse unilatérale de vente de deux biens immobiliers à un couple de bénéficiaires. Il était prévu que l’option ne pourrait être levée par les bénéficiaires de la promesse qu’au décès de la propriétaire originaire des biens promis, laquelle s’était réservée un droit d’usage et d’habitation. Devenue l’unique propriétaire des biens à la suite de son divorce, l’épouse, ne souhaitant plus vendre, avait révoqué sa promesse le 17 février 2010. Après le décès de la propriétaire originaire et en dépit de la rétractation de la promettante, les bénéficiaires de la promesse avaient levé l’option le 8 janvier 2011. Face à son refus de vendre, ils l’avaient assignée en exécution forcée de la promesse de vente. 

La cour d’appel déclara la vente parfaite au motif que l’option ayant été régulièrement levée par les bénéficiaires dans les délais prévus au contrat de promesse, cette levée d’option, quoique postérieure à la rétractation du promettant, avait bien eu pour effet de parfaire la vente promise. 

Devant la Cour de cassation, la propriétaire signataire de la promesse fit valoir, en vertu du droit antérieur à la réforme opérée par l’ordonnance du 10 février 2016 que la date de conclusion du contrat de promesse justifiait d’appliquer au litige le principe selon lequel la levée de l’option par le bénéficiaire de la promesse postérieurement à la rétractation du promettant exclut par principe toute rencontre des volontés réciproques de vendre et d’acquérir, en sorte que la réalisation forcée de la vente ne pouvait être, en l’espèce, valablement ordonnée. 

Se posait donc aux hauts magistrats la question de savoir si la rétractation du promettant postérieure à la levée d’option par les bénéficiaires dans les délais convenus peut être sanctionnée par la réalisation forcée de la vente promise en vertu d’un contrat de promesse unilatérale conclu antérieurement à la réforme du 10 février 2016. 

À cette question, la troisième chambre civile répond par l’affirmative. Opérant un revirement de jurisprudence, elle juge applicable au litige le droit nouveau et rejette en conséquence le pourvoi formé, qu’elle juge non fondé. 

Elle commence par rappeler qu’en application des articles 1101 et 1134 du Code civil, dans leur rédaction antérieure à celle issue de l’ordonnance du 10 février 2016, et 1583 du même code, la Cour de cassation jugeait jusqu’à présent, que tant que les bénéficiaires n’avaient pas déclaré acquérir, l’obligation du promettant ne constituait qu’une obligation de faire (pt 7). Elle précise qu’il résultait de cette jurisprudence antérieure à la réforme que la levée de l’option, postérieure à la rétractation du promettant, excluait toute rencontre des volontés réciproques de vendre et d’acquérir, de sorte que la réalisation forcée de la vente ne pouvait être ordonnée (Civ. 3e, 15 déc. 1993, n° 91-10.199), la violation, par le promettant, de son obligation de faire, ne pouvant ouvrir droit qu’à des dommages-intérêts (Civ. 3e, 28 oct. 2003, n° 02-14.459) –(pt 8).

Renouvelant son analyse, elle affirme qu’à la différence de la simple offre de vente, la promesse unilatérale de vente est un avant-contrat qui contient, outre le consentement du vendeur, les éléments essentiels du contrat définitif qui serviront à l’exercice de la faculté d’option du bénéficiaire et à la date duquel s’apprécient les conditions de validité de la vente, notamment s’agissant de la capacité du promettant à contracter et du pouvoir de disposer de son bien (pt 9).

Elle ajoute, par ailleurs, qu’en application de l’article 1142 du Code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l’ordonnance du 10 février 2016, la jurisprudence retient la faculté pour toute partie contractante, quelle que soit la nature de son obligation, de poursuivre l’exécution forcée de la convention lorsque celle-ci est possible (Civ. 1re, 16 janv. 2007, n° 06-13.983) – (pt 10).

Elle déduit de ce qui précède « qu’il convient dès lors d’apprécier différemment la portée juridique de l’engagement du promettant signataire d’une promesse unilatérale de vente et de retenir qu’il s’oblige définitivement à vendre dès la conclusion de l’avant-contrat, sans possibilité de rétractation, sauf stipulation contraire » (pt 11).

Appliquant sa position nouvelle à la rétractation de la promesse litigieuse, elle approuve la cour d’appel, qui avait relevé que dans l’acte du 1er avril 1999, l’auteure de la promesse avait donné son consentement à la vente sans restriction et que la levée de l’option par les bénéficiaires était intervenue dans les délais convenus, d’avoir retenu à bon droit que la rétractation du promettant ne constituait pas une circonstance propre à empêcher la formation de la vente, et d’en avoir exactement déduit que les consentements des parties s’étant rencontrés lors de la levée de l’option par les bénéficiaires, la vente était parfaite (pt 12 et 13).

La promesse unilatérale de contrat n’était pas visée dans le Code civil de 1804. Si sur la qualification d’une telle promesse, l’ordonnance du 10 février 2016 réformant le droit des contrats n’a fait que confirmer les solutions précédentes, elle a en revanche condamné la jurisprudence antérieure de la Cour de cassation, que celle-ci ici rappelle, qui excluait la sanction de l’exécution forcée en cas de rétractation par le promettant, durant le délai d’option, de la vente unilatéralement prise au motif que l’obligation du promettant ne constituait qu’une obligation de faire, de sorte que la levée de l’option après la rétractation de la promesse excluait toute rencontre des volontés réciproques de vendre et d’acquérir. Elle refusait, en conséquence, d’ordonner la réalisation forcée du contrat lorsqu’elle était demandée par le bénéficiaire (qui pouvait également préférer une réparation par équivalent, c’est-à-dire l’octroi de dommages et intérêts).

Depuis l’entrée en vigueur de la réforme des contrats, la révocation de la promesse unilatérale de vente consentie par un propriétaire, avant l’expiration du délai d’option, n’interdit donc plus la formation du contrat : le bénéficiaire de la promesse peut dans cette situation demander l’exécution forcée du contrat de promesse. En l’espèce, la discussion portait précisément sur l’application dans le temps de cette réforme. Elle devait être facilitée par la clarté des textes édictés à ce sujet : en effet, l’article 9 de l’ordonnance et l’article 16, III de la loi de ratification qui s’en est suivie (L. n° 2018-287 du 20 avr. 2018) disposent expressément que « les dispositions de la présente ordonnance entreront en vigueur le 1er octobre 2016 [et que] les contrats conclus avant cette date demeurent soumis à la loi ancienne ». 

Le contrat de promesse en l’espèce conclu avant la réforme aurait donc dû échapper à l’application de cette règle nouvelle, sanctionnant par l’exécution forcée la rétractation du promettant dès lors qu’elle a lieu en cours du délai d’option. 

Le premier arrêt d’appel rendu sur renvoi après cassation (Civ. 3e, 6 déc. 2018, n° 17-21.170) avait d’ailleurs ainsi motivé son refus d’appliquer le nouveau texte de l’article 1124, alinéa 2 à la promesse de vente litigieuse, que les juges du fond avaient en conséquence soumise à l’ancienne règle prétorienne, si bien que la réalisation forcée de la vente avait été refusée, conformément à l’analyse de la Haute cour (Civ. 3e, 6 déc. 2018, préc.). Dans le même sens, pour échapper à la sanction de l’exécution forcée, l’auteure du pourvoi s’était appuyée sur les mêmes dispositions, ne reprenant d’ailleurs que la classique dérogation au principe de l’application immédiate de la loi nouvelle, celle du principe de survie de loi ancienne aux contrats conclus avant l’entrée en vigueur de la loi nouvelle. 

D’une parfaite orthodoxie, l’analyse juridique partagée par les premiers juges et par la demanderesse au pourvoi est écartée au profit d’une application anticipée du droit nouveau au contrat de promesse litigieux. Opérant ainsi un revirement de jurisprudence, la troisième chambre civile aligne sa position sur celle déjà dégagée par la chambre sociale, ayant appliqué le nouvel article 1124, alinéa 2 à une promesse d’embauche antérieure à la réforme, et jugé en conséquence que la révocation de la promesse pendant le temps laissé au bénéficiaire pour opter n'empêchait pas la formation du contrat de travail promis (Soc. 21 sept. 2017 n° 16-20.103). Contra legem, le revirement ici opéré trouve probablement sa cause dans l’arrêt rendu le 24 février 2017 par la chambre mixte, laquelle s’était affranchie des règles précitées pour appliquer immédiatement le nouveau dispositif au motif que le droit ancien peut parfois être interprété à l’aune de « l’évolution du droit des obligations résultant de l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 » (v. Ch. mixte, 24 févr. 2017, n° 15-20.411). 

Ainsi, en l’espèce, la nécessité de cette évolution devait conduire à « apprécier différemment la portée juridique de l’engagement du promettant signataire d’une promesse unilatérale et de retenir qu’il s’oblige définitivement à vendre dès la conclusion de l’avant-contrat (…) ». Au mépris de la sécurité juridique des contractants mais en faveur du progrès du droit, qui justifie de favoriser l’application de la loi nouvelle, censée être plus opportune que la loi ancienne, se trouve ici écartée la règle prévue par l’ordonnance comme par la loi de ratification de 2018, limitant le champ temporel d’application du nouveau texte aux contrats de promesse conclus à compter de l’entrée en vigueur de l’ordonnance. La portée ainsi conférée à la sanction de l’exécution forcée de la rétractation du promettant s’en trouve naturellement augmentée. 

Concrètement, il en résulte également que si les parties à un contrat de promesse unilatérale de vente souhaitent par avance écarter une telle sanction, ils devront prévoir une clause y dérogeant, le nouveau texte de l’article 1124 alinéa 2 étant supplétif de volonté, et prévoir que la rétractation du promettant sera sanctionnée par de simples dommages et intérêts. 

Références

■ Civ. 3e, 15 déc. 1993, n° 91-10.199 P : D. 1994. 507, note F. Bénac-Schmidt ; ibid. 230, obs. O. Tournafond ; ibid. 1995. 87, obs. L. Aynès ; AJDI 1994. 384 ; ibid. 351, étude M. Azencot ; ibid. 1996. 568, étude D. Stapylton-Smith ; RTD civ. 1994. 584, obs. J. Mestre

■ Civ. 3e, 28 oct. 2003, n° 02-14.459

■ Civ. 1re, 16 janv. 2007, n° 06-13.983 P : D. 2007. 1119, note O. Gout ; ibid. 2966, obs. S. Amrani-Mekki et B. Fauvarque-Cosson ; RTD civ. 2007. 342, obs. J. Mestre et B. Fages

■ Civ. 3e, 6 déc. 2018, n° 17-21.170 P : D. 2019. 300 ; ibid. 279, obs. M. Mekki ; ibid. 298, avis P. Brun ; ibid. 301, note M. Mekki ; AJDI 2019. 154 ; AJ contrat 2019. 94, obs. D. Houtcieff ; RTD civ. 2019. 317, obs. H. Barbier ; RTD com. 2019. 398, obs. A. Lecourt

■ Soc. 21 sept. 2017 n° 16-20.103 P : DAE 11 oct. 2017 ; D. 2017. 2289, obs. N. explicative de la Cour de cassation, note B. Bauduin et J. Dubarry ; ibid. 2007, note D. Mazeaud ; ibid. 2018. 371, obs. M. Mekki ; ibid. 435, obs. Centre de droit et d'économie du sport (OMIJ-CDES) ; JA 2017, n° 570, p. 41, étude J. Marfisi ; ibid. 2018, n° 572, p. 39, étude J.-F. Paulin et M. Julien ; AJ contrat 2017. 480, obs. C.-E. Bucher ; Dr. soc. 2018. 170, étude R. Vatinet ; ibid. 175, étude Y. Pagnerre ; RDT 2017. 715, obs. L. Bento de Carvalho ; JS 2017, n° 180, p. 8, obs. X. Aumeran ; RTD civ. 2017. 837, obs. H. Barbier

■ Ch. mixte, 24 févr. 2017, n° 15-20.411 P : DAE 17 mars 2017 ; D. 2017. 793, obs. N. explicative de la Cour de cassation, note B. Fauvarque-Cosson ; ibid. 1149, obs. N. Damas ; ibid. 2018. 371, obs. M. Mekki ; AJDI 2017. 612, obs. M. Thioye ; ibid. 2018. 11, étude H. Jégou et J. Quiroga-Galdo ; AJ contrat 2017. 175, obs. D. Houtcieff ; RTD civ. 2017. 377, obs. H. Barbier

 

Auteur :Merryl Hervieu

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