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[ 5 mars 2013 ] Imprimer

Droit pénal général

Caractère déclaratif de la loi du 21 mai 2001 et délit d'apologie de crime contre l'humanité

Mots-clefs : Loi 29 juill. 1881, Liberté de la presse, Crime contre l'humanité, Apologie, Loi 21 mai 2001, Loi mémorielle, Portée normative (non)

Dans un arrêt du 5 février 2013, la chambre criminelle de la Cour de cassation décide que la loi du 21 mai 2001 tendant à la reconnaissance de la traite de l'esclavage en tant que crime contre l'humanité ayant pour seul objet de reconnaître une infraction de cette nature, ne saurait être revêtue de la portée normative attachée à la loi et caractériser l'un des éléments constitutifs du délit d'apologie.

L'article 24, alinéa 5, de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse incrimine l'apologie de certains crimes d'une particulière gravité.

En ce qui concerne la forme de l'apologie, cette dernière doit avoir été commise par l'un des moyens visés à l'article 23 tels les discours, cris ou menaces proférés dans des lieux ou réunions publics, ou encore tout moyen de communication au public par voie électronique. L'éloge incriminé doit donc faire l'objet d'une certaine publicité.

Quant à son objet, l'apologie, pour être un délit, doit porter sur l'une des infractions visées par l'article 24. Celui-ci vise notamment le crime contre l'humanité. La qualification de l'infraction dont il est fait l'éloge est donc primordiale, elle intègre les éléments constitutifs du délit d'apologie et doit être rigoureusement opérée.

La loi du 21 mai 2001 dite « Loi Taubira » qui reconnaît expressément la traite de l'esclavage en tant que crime contre l'humanité peut-elle alors fonder des poursuites pénales contre un individu ayant tenu des propos faisant l'apologie de l'esclavage ? La chambre criminelle ne l'entend pas de cette manière comme en témoigne l'arrêt du 5 février 2013.

En l'espèce, un individu avait été renvoyé devant le tribunal correctionnel des chefs d'apologie de crime contre l'humanité et de provocation à la discrimination, à la haine ou à la violence raciale, sur le fondement des dispositions des articles 1er de la loi du 21 mai 2001 et 24, alinéas 5 et 8, de la loi du 29 juillet 1881, à raison de propos évoquant les bons côtés de l'esclavage, et dénigrant les familles métissées, tenus le 6 février 2009 au cours d'une émission diffusée sur Canal + Antilles et sur un site Internet. Cet individu fut condamné par le tribunal du seul chef d'apologie de crime contre l'humanité, jugement confirmé par la cour d'appel de Fort-de-France.

La Cour de cassation censure les juges d'appel en affirmant que « si la loi du 21 mai 2001 tend à la reconnaissance de la traite et de l'esclavage en tant que crime contre l'humanité, une telle disposition législative, ayant pour seul objet de reconnaître une infraction de cette nature, ne saurait être revêtue de la portée normative attachée à la loi et caractériser l'un des éléments constitutifs du délit d'apologie ».

Cette solution peut surprendre. De prime abord, il est curieux que la Cour de cassation refuse de tirer la conséquence de la reconnaissance de l’esclavage en tant que crime contre l’humanité pour caractériser les éléments constitutifs du délit d’apologie. En effet, cette qualification étant opérée par la loi, le principe de légalité des incriminations ne serait pas compromis. En outre, l’article 24 ne visant aucun crime contre l’humanité en particulier, il semblerait logique que l’apologie incriminée concerne tous les crimes qualifiés comme tels par la loi.

Pourtant, la multiplication des lois mémorielles ainsi que leur remise en cause par la communauté scientifique viennent poser la question de la légalité criminelle dans des termes nouveaux. C’est un principe de légalité renforcé qui s’applique ici. Il ne suffit plus de vérifier si les poursuites pénales trouvent leur fondement dans une loi, mais d'identifier la portée normative de cette loi. Beaucoup de lois mémorielles n'ont qu'une portée déclarative, elles n'ont pour seul objet que de « reconnaître » un crime contre l'humanité. Le juge ne peut donc pas leur conférer une portée normative et encore moins répressive dont le législateur n'aurait pas voulu. C'est sur cette absence de portée normative des lois mémorielles que le Conseil constitutionnel avait censuré la loi visant à réprimer la contestation de l'existence des génocides reconnus par la loi (Décis. du 28 février 2012).

À ce jour, seule la loi du 13 juillet 1990 dite « Loi Gayssot » s'arme d'un volet répressif par l'article 24 bis de la loi du 29 juillet 1881 réprimant la contestation des crimes contre l'humanité tels que définis à l'article 6 du statut du Tribunal international militaire de Nuremberg. Cependant, la Cour de cassation a toujours refusé d'étendre le champ de cette incrimination à d'autres crimes que celui perpétré par les nazis dans les camps de la mort. En outre, dans les affaires d'apologie de crime contre l'humanité, les juges déclarent irrecevables les constitutions de partie civile des associations autres que celles expressément visées par l'article 48-2 de la loi sur la liberté de la presse (dont l'objet statutaire est de défendre les intérêts moraux et l'honneur de la Résistance ou des déportés). Cet article étant issu de la loi Gayssot, il tend à répondre à la montée en puissance des thèses négationnistes et doit être interprété à la lumière de ce contexte précis (Fort-de-France 18 mai 2010).

Il est pourtant nécessaire que le juge, comme il le fait dans cet arrêt du 5 février 2013, tempère la fièvre mémorielle du législateur en opérant une distinction entre les lois véritablement normatives et celles simplement déclaratives excluant cette dernière catégorie du processus de qualification pénale. La loi de 2001 n'a pas de portée normative et ne peut donc pas fonder de poursuites pénales. Cette solution doit être louée car loin d'instaurer une inégalité de droits entre les victimes des divers crimes contre l'humanité, elle invite seulement le législateur à davantage de prudence et de précision.

Crim. 5 févr. 2013, n° 11-85.909,  FS-P+B+R 

Références

 Fort-de-France, 18 mai 2010D. 2010. Jur. 2139, note P. Egéa.

■ Cons. const. 28 févr. 2012, n° 2012-647 DC, Dalloz Actu Étudiant 9 mars 2012.

■ « La loi doit-elle écrire l’histoire ? », Dalloz Actu Étudiant 9 févr. 2012.

■  La loi du 29 juin 1881 sur la liberté de la presse

Article 23 

« Seront punis comme complices d'une action qualifiée crime ou délit ceux qui, soit par des discours, cris ou menaces proférés dans des lieux ou réunions publics, soit par des écrits, imprimés, dessins, gravures, peintures, emblèmes, images ou tout autre support de l'écrit, de la parole ou de l'image vendus ou distribués, mis en vente ou exposés dans des lieux ou réunions publics, soit par des placards ou des affiches exposés au regard du public, soit par tout moyen de communication au public par voie électronique, auront directement provoqué l'auteur ou les auteurs à commettre ladite action, si la provocation a été suivie d'effet. 

Cette disposition sera également applicable lorsque la provocation n'aura été suivie que d'une tentative de crime prévue par l'article 2 du code pénal. » 

Article 24

« Seront punis de cinq ans d'emprisonnement et de 45 000 euros d'amende ceux qui, par l'un des moyens énoncés à l'article précédent, auront directement provoqué, dans le cas où cette provocation n'aurait pas été suivie d'effet, à commettre l'une des infractions suivantes :

1° Les atteintes volontaires à la vie, les atteintes volontaires à l'intégrité de la personne et les agressions sexuelles, définies par le livre II du code pénal ;

2° Les vols, les extorsions et les destructions, dégradations et détériorations volontaires dangereuses pour les personnes, définis par le livre III du code pénal.

Ceux qui, par les mêmes moyens, auront directement provoqué à l'un des crimes et délits portant atteinte aux intérêts fondamentaux de la nation prévus par le titre Ier du livre IV du code pénal, seront punis des mêmes peines.

Seront punis de la même peine ceux qui, par l'un des moyens énoncés en l'article 23, auront fait l'apologie des crimes visés au premier alinéa, des crimes de guerre, des crimes contre l'humanité ou des crimes et délits de collaboration avec l'ennemi.

Seront punis des peines prévues par l'alinéa 1er ceux qui, par les mêmes moyens, auront provoqué directement aux actes de terrorisme prévus par le titre II du livre IV du code pénal, ou qui en auront fait l'apologie.

Tous cris ou chants séditieux proférés dans les lieux ou réunions publics seront punis de l'amende prévue pour les contraventions de la 5° classe.

Ceux qui, par l'un des moyens énoncés à l'article 23, auront provoqué à la discrimination, à la haine ou à la violence à l'égard d'une personne ou d'un groupe de personnes à raison de leur origine ou de leur appartenance ou de leur non-appartenance à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée, seront punis d'un an d'emprisonnement et de 45 000 euros d'amende ou de l'une de ces deux peines seulement.

Seront punis des peines prévues à l'alinéa précédent ceux qui, par ces mêmes moyens, auront provoqué à la haine ou à la violence à l'égard d'une personne ou d'un groupe de personnes à raison de leur sexe, de leur orientation sexuelle ou de leur handicap ou auront provoqué, à l'égard des mêmes personnes, aux discriminations prévues par les articles 225-2 et 432-7 du code pénal.

En cas de condamnation pour l'un des faits prévus par les deux alinéas précédents, le tribunal pourra en outre ordonner :

1° Sauf lorsque la responsabilité de l'auteur de l'infraction est retenue sur le fondement de l'article 42 et du premier alinéa de l'article 43 de la présente loi ou des trois premiers alinéas de l'article 93-3 de la loi n° 82-652 du 29 juillet 1982 sur la communication audiovisuelle, la privation des droits énumérés aux 2° et 3° de l'article 131-26 du code pénal pour une durée de cinq ans au plus ;

2° L'affichage ou la diffusion de la décision prononcée dans les conditions prévues par l'article 131-35 du code pénal.

Article 24 bis

« Seront punis des peines prévues par le sixième alinéa de l'article 24 ceux qui auront contesté, par un des moyens énoncés à l'article 23, l'existence d'un ou plusieurs crimes contre l'humanité tels qu'ils sont définis par l'article 6 du statut du tribunal militaire international annexé à l'accord de Londres du 8 août 1945 et qui ont été commis soit par les membres d'une organisation déclarée criminelle en application de l'article 9 dudit statut, soit par une personne reconnue coupable de tels crimes par une juridiction française ou internationale. 

Le tribunal pourra en outre ordonner : 

1° L'affichage ou la diffusion de la décision prononcée dans les conditions prévues par l'article 131-35 du code pénal. »

Article 48-2  

« Toute association régulièrement déclarée depuis au moins cinq ans à la date des faits, qui se propose, par ses statuts, de défendre les intérêts moraux et l'honneur de la Résistance ou des déportés peut exercer les droits reconnus à la partie civile en ce qui concerne l'apologie des crimes de guerre, des crimes contre l'humanité ou des crimes ou délits de collaboration avec l'ennemi et en ce qui concerne l'infraction prévue par l'article 24 bis. »

■ Article 1er de la loi n° 2001-434 du 21 mai 2001 tendant à la reconnaissance de la traite et de l'esclavage en tant que crime contre l'humanité 

La République française reconnaît que la traite négrière transatlantique ainsi que la traite dans l'océan Indien d'une part, et l'esclavage d'autre part, perpétrés à partir du xve siècle, aux Amériques et aux Caraïbes, dans l'océan Indien et en Europe contre les populations africaines, amérindiennes, malgaches et indiennes constituent un crime contre l'humanité. »

■ Article 6 de du statut du Tribunal international militaire. Londres, 8 août 1945

« Le Tribunal établi par l'Accord mentionné à l'article 1er ci-dessus pour le jugement et le châtiment des grands criminels de guerre des pays européens de l'Axe sera compétent pour juger et punir toutes personnes qui, agissant pour le compte des pays européens de l'Axe, auront commis, individuellement ou à titre de membres d'organisations, l'un quelconque des crimes suivants.

Les actes suivants, ou l'un quelconque d'entre eux, sont des crimes soumis à la juridiction du Tribunal et entraînent une responsabilité individuelle :

(a) ' Les Crimes contre la Paix ': c'est-à-dire la direction, la préparation, le déclenchement ou la poursuite d'une guerre d'agression, ou d'une guerre en violation des traités, assurances ou accords internationaux, ou la participation à un plan concerté ou à un complot pour l'accomplissement de l'un quelconque des actes qui précèdent ;

(b) ' Les Crimes de Guerre ': c'est-à-dire les violations des lois et coutumes de la guerre. Ces violations comprennent, sans y être limitées, l'assassinat, les mauvais traitements et la déportation pour des travaux forcés ou pour tout autre but, des populations civiles dans les territoires occupés, l'assassinat ou les mauvais traitements des prisonniers de guerre ou des personnes en mer, l'exécution des otages, le pillage des biens publics ou privés, la destruction sans motif des villes et des villages ou la dévastation que ne justifient pas les exigences militaires ;

(c) ' Les Crimes contre l'Humanité ': c'est-à-dire l'assassinat, l'extermination, la réduction en esclavage, la déportation, et tout autre acte inhumain commis contre toutes populations civiles, avant ou pendant la guerre, ou bien les persécutions pour des motifs politiques, raciaux ou religieux, lorsque ces actes ou persécutions, qu'ils aient constitué ou non une violation du droit interne du pays où ils ont été perpétrés, ont été commis à la suite de tout crime rentrant dans la compétence du Tribunal, ou en liaison avec ce crime.

Les dirigeants, organisateurs, provocateurs ou complices qui ont pris part à l'élaboration ou à l'exécution d'un plan concerté ou d'un complot pour commettre l'un quelconque des crimes ci-dessus définis sont responsables de tous les actes accomplis par toutes personnes en exécution de ce plan. »

 

Auteur :C. d. B.

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