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Droit des obligations
Cautionnement : mesure de la disproportion et du recours entre cofidéjusseurs
Lorsqu'une caution invoque un manquement de la banque à son devoir de mise en garde, les parts sociales dont elle est titulaire au sein de la société cautionnée doivent être prises en considération pour apprécier ses capacités financières au jour de son engagement.
Civ. 1re, 28 sept. 2022, n° 21-14.673
Par acte du 6 juin 2014, une banque avait consenti à une SCI un prêt immobilier, garanti par le cautionnement solidaire d’une caution professionnelle et d’une personne physique, dans la limite de la somme de 385 833,50 euros. Le 7 octobre 2015, à la suite de la défaillance de la SCI dans le remboursement du prêt, la banque avait prononcé la déchéance du terme. Après avoir payé le solde du prêt à la banque, la caution professionnelle avait assigné la SCI et la caution en paiement, lesquelles ont appelé la banque en intervention forcée et garantie, invoquant une disproportion de l'engagement de caution et un manquement de l’établissement bancaire à son devoir de mise en garde. En appel, la caution fut condamnée à payer solidairement avec la SCI un certain montant à la caution professionnelle et la banque fut, quant à elle, condamnée à payer la même somme à la caution pour manquement à son obligation de mise en garde. La banque s’est alors pourvue en cassation tandis que la caution a formé un pourvoi incident.
■ Pourvoi incident de la caution : recours du cofidéjusseur en présence d’un cautionnement disproportionné
La Cour de cassation se prononce en premier lieu sur le pourvoi de la caution, reprochant à la cour d’appel d’avoir retenu qu’en sa qualité de caution, celle-ci n'était pas « fondée à opposer à son cofidéjusseur les exceptions qu'elle aurait pu opposer à la banque, notamment au titre du caractère disproportionné de son engagement de caution ». Au visa de l’article L. 341-4, devenu L. 332-1 du code de la consommation, qui fonde l’impossibilité pour le créancier de se prévaloir d’un cautionnement disproportionné, et de l'article 2310 du code civil, dans sa version antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2021-1192 du 15 septembre 2021, selon lequel lorsque plusieurs personnes ont cautionné un même débiteur pour une même dette, la caution ayant acquitté la dette a un recours contre les autres cautions, chacune pour sa part et portion, la première chambre civile énonce que la sanction prévue au premier de ces textes prive le cautionnement d'effet à l'égard tant du créancier que des cofidéjusseurs lorsque, ayant acquitté la dette, ils exercent leur action récursoire, que ce soit sur le fondement de leur recours subrogatoire ou personnel (C. civ., art. 2312). Or, pour condamner la caution à payer à la caution professionnelle les sommes qu'elle a acquittées, l'arrêt d’appel a retenu que celle-ci ne pouvait se voir opposer les exceptions opposables au créancier principal, comme la disproportion de l'engagement de la caution. Par conséquent, en statuant ainsi la cour d’appel a violé les textes précités.
Cette solution n’est pas nouvelle, la Cour de cassation ayant déjà jugé à plusieurs reprises que dans la mesure où la sanction prévue en présence d’un engagement disproportionné s’applique aussi bien au créancier qu’aux cofidéjusseurs lorsque, ayant acquitté la même dette, ces derniers exercent leur action récursoire, il s’en déduit que le cofidéjusseur recherché par le créancier ne peut ultérieurement agir, sur le fondement de l’article 2310 (anc.), contre la caution qui a été déchargée en raison de la disproportion de son engagement et qui peut opposer cette disproportion au cofidéjusseur pour obtenir sa décharge à l’égard de celui-ci (Ch. mixte, 27 févr. 2015, n° 13-13.709 ; Civ. 1re, 26 sept. 2018, n° 17-17.903 ; Civ. 1re, 8 sept. 2021, n° 19-24.129).
Pour les cautionnements souscrits après le 1er janvier 2022 et donc soumis au droit issu de l’ordonnance de réforme du droit des sûretés du 15 septembre 2021, on rappellera que la sanction applicable au cautionnement disproportionné n’est plus de priver d’effet le cautionnement, mais de réduire ce dernier au montant à hauteur duquel la caution pouvait s’engager (C. civ., art. 2300, nouv.).
■ Pourvoi principal de la banque : lien entre devoir de mise en garde et proportionnalité du cautionnement
Concernant le pourvoi principal de la banque, reprochant à la cour d’appel d’avoir fait abstraction des parts sociales détenues par la caution pour considérer que, profane, celle-ci était créancière d’une obligation de mise en garde en l’espèce inexécutée, la Cour de cassation commence par rappeler qu’il résulte de l’article 1147 du code civil, dans sa version antérieure à l’ordonnance du 10 février 2016, que la banque est tenue à un devoir de mise en garde à l'égard d'une caution non avertie lorsque, au jour de son engagement, celui-ci n'est pas adapté aux capacités financières de la caution ou s'il existe un risque de l'endettement né de l'octroi du prêt garanti, lequel résulte de l'inadaptation du prêt aux capacités financières de l'emprunteur.
Elle précise ensuite que les parts sociales dont est titulaire la caution au sein de la société cautionnée font partie du patrimoine devant être pris en considération pour l'appréciation de ses capacités financières au jour de son engagement.
Ainsi censure-t-elle l’analyse de la cour d’appel ayant condamné la banque au titre de son devoir de mise en garde à l’égard d’une caution considérée comme non avertie sans rechercher, comme il le lui était demandé, si la caution n'était pas également titulaire de 99 % des parts de la SCI cautionnée.
D’origine prétorienne, le devoir de mise en garde de la caution personne physique par le créancier professionnel de la caution (Com. 13 mars 2012, n° 10-28.635 ; Com. 15 nov. 2017, n° 16-16.790) a, depuis l’ordonnance de réforme du 15 septembre 2021, un fondement légal, l’article 2299 du code civil énonçant le principe de responsabilité du banquier ayant manqué à ce devoir en faisant souscrire à la caution un engagement inadapté à ses capacités financières. Concernant l’appréciation de cette inadéquation, la décision rapportée procède également d’un rappel d’une solution jurisprudentielle acquise selon laquelle les parts sociales dont est titulaire la caution au sein de la société cautionnée font partie du patrimoine devant être pris en considération pour l'appréciation de ses biens et revenus à la date de souscription de son engagement (Com. 26 janv. 2016, n° 13-28.378 ; Com. 19 janv. 2022, n° 20-18.670). En outre, la réforme du droit des sûretés opérée par l’ordonnance du 15 septembre 2021 a laissé cette solution inchangée. En revanche, il est essentiel de relever que pour remédier aux incertitudes observées dans la jurisprudence antérieure à l’ordonnance quant aux contours exacts de la notion de caution « avertie », jadis exclue du bénéfice du devoir de mise en garde, le texte nouveau ne se limite pas aux cautions profanes. Toute caution, même avertie, est créancière de ce devoir de mise en garde. Sur ce dernier point, la solution ici retenue par la Cour de cassation nous semble donc parfaitement transposable au droit nouveau en vigueur.
Références :
■ Ch. mixte, 27 févr. 2015, n° 13-13.709 : DAE, 10 mars 2015, note Merryl Hervieu, D. 2015. 840, obs. V. Avena-Robardet, note M.-O. Barbaud ; ibid. 1810, obs. P. Crocq ; ibid. 2016. 617, obs. H. Aubry, E. Poillot et N. Sauphanor-Brouillaud ; AJCA 2015. 175, obs. Y. Picod ; RTD civ. 2015. 433, obs. P. Crocq
■ Civ. 1re, 26 sept. 2018, n° 17-17.903 : D. 2018. 1908 ; ibid. 2019. 840, chron. S. Vitse, I. Kloda, C. Barel, V. Le Gall, J. Mouty-Tardieu, R. Le Cotty et C. Azar ; AJDI 2019. 378, obs. J. Moreau ; AJ contrat 2018. 494, obs. G. Piette
■ Civ. 1re, 8 sept. 2021, n° 19-24.129
■ Com. 13 mars 2012, n° 10-28.635 : DAE, 12 avr. 2012, note P.P, D. 2012. 1043, note A. Dadoun ; ibid. 1218, chron. J. Lecaroz, H. Guillou et F. Arbellot ; ibid. 1573, obs. P. Crocq ; ibid. 2013. 1706, obs. P. Crocq ; RTD com. 2012. 389, obs. D. Legeais
■ Com. 15 nov. 2017, n° 16-16.790 : D. 2017. 2573, note C. Albiges ; ibid. 2018. 1884, obs. P. Crocq ; RTD civ. 2018. 185, obs. P. Crocq
■ Com. 26 janv. 2016, n° 13-28.378 : DAE, 25 févr. 2016, note Merryl Hervieu, D. 2016. 308 ; ibid. 1955, obs. P. Crocq ; RDI 2016. 268, obs. H. Heugas-Darraspen ; Rev. sociétés 2016. 598, note J.-J. Ansault
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