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[ 7 octobre 2020 ] Imprimer

Libertés fondamentales - droits de l'homme

Conditions indignes de détention provisoire : le Conseil constitutionnel censure l’absence de recours préventif

Statuant sur la QPC transmise par la chambre criminelle à l’occasion de son arrêt du 8 juillet 2020 (V. Dalloz Actu Étudiant, 16 juill. 2020), le Conseil constitutionnel estime que le second alinéa de l’article 144-1 du Code de procédure pénale, en ce qu’il ne permet pas au justiciable d’obtenir du juge judiciaire qu’il soit mis fin aux atteintes à sa dignité résultant des conditions de sa détention provisoire, est contraire à la Constitution.  

Cons. const. 2 oct. 2020, n° 2020/858-859 QPC

Après la Cour européenne et son arrêt JMB du 30 janvier 2020 (Dalloz Actu Étudiant, 24 avr. 2020) et la chambre criminelle et son arrêt du 8 juillet précité, le Conseil constitutionnel, avec cette décision, apporte à sa pierre à l’édifice d’un meilleur respect de la dignité humaine dans le cadre de la détention provisoire. 

Les auteurs de la QPC interrogeaient les Sages sur la conformité à la Constitution des articles 137-3 (rédaction issue de la loi du 23 mars 2019), 144 (rédaction issue de la loi du 24 nov. 2009) et 144-1 (rédaction issue de la loi du 15 juin 2000) du Code de procédure pénale qui encadrent le recours à la détention provisoire. Le premier de ces textes concerne la décision de placement ou de renouvellement prise par le juge des libertés et de la détention (JLD), le deuxième précise les conditions de fond de recours à la détention provisoire et le troisième fixe la durée théorique de la mesure (qui ne peut excéder « une durée raisonnable au regard de la gravité des faits reprochés à la personne mise en examen et de la complexité des investigations nécessaires à la manifestation de la vérité ») et prévoit sa fin de plein droit, ordonnée par le juge d’instruction ou le JLD, « dès que les conditions prévues à l'article 144 et au présent article ne sont plus remplies »

Les auteurs reprochaient au législateur de ne pas avoir, dans ces dispositions, imposé au juge judiciaire de faire cesser des conditions de détention provisoire contraires à la dignité de la personne humaine. Il s’agissait donc d’interroger en particulier l’article 144-1 au regard des droits et libertés constitutionnellement garantis (notamment la sauvegarde de la dignité, la liberté individuelle, le droit à un recours effectif et le respect de la vie privée). 

Dans sa réponse, le Conseil constitutionnel commence par préciser qu’il lui appartient de statuer sur les dispositions contestées indépendamment de l’interprétation opérée par la Cour de cassation dans ses arrêts du 8 juillet 2020 pour les rendre conformes aux exigences découlant de la Convention européenne des droits de l’homme (on rappellera que la chambre criminelle avait consacré une extension de l’office du juge judiciaire en la matière en estimant qu’il appartenait à ce dernier de veiller à ce que la détention provisoire soit, en toutes circonstances, mise en œuvre dans des conditions respectant la dignité et donc, le cas échéant, en cas d’atteinte avérée, d’ordonner la mise en liberté de la personne). 

Sur la conformité des dispositions aux droits et libertés constitutionnellement consacrés, le Conseil constitutionnel se prononce au regard du Préambule de la Constitution de 1946 (dont découle le principe de sauvegarde de la dignité de la personne humaine contre toute forme d’asservissement et de dégradation), les articles 9 (présomption d’innocence) et 16 de la Déclaration de 1789 (dont il découle « qu'il ne doit pas être porté d'atteinte substantielle au droit des personnes intéressées d'exercer un recours effectif devant une juridiction »). Il tire de ces dispositions trois séries de conséquences qui concernent le juge et le législateur (§ 14). Ainsi : 

-        il appartient aux autorités judiciaires et administratives de veiller à ce que la privation de liberté des personnes placées en détention provisoire soit, en toutes circonstances, mise en œuvre dans le respect de la dignité de la personne ;

-        il revient à ces mêmes autorités de prévenir et de réprimer les agissements attentatoires à la dignité et d’ordonner la réparation des préjudices subis ;

-        il incombe au législateur de garantir aux personnes placées en détention provisoire la possibilité de saisir le juge de conditions de détention contraires à la dignité de la personne humaine, afin qu'il y soit mis fin. 

Par la suite, le Conseil constitutionnel relève que les recours en référés actuellement ouverts devant le juge administratif (référé liberté et référé mesures utiles ; CJA, art. L. 521-2 et L. 521-3« ne garantissent pas, en toutes circonstances, qu’il soit mis fin à la détention indigne ». Autrement dit, ces recours ne sont pas effectifs car ils ne permettent pas toujours de remédier à la situation dénoncée. 

En outre, il note que si la personne peut former à tout moment une demande de mise en liberté, le juge (judiciaire cette fois) « n'est tenu d'y donner suite que dans les cas prévus au second alinéa de l'article 144-1 » du Code de procédure pénale, c’est-à-dire quand la durée de la détention provisoire est excessive ou quand la mesure n’est plus justifiée au regard de l’article 144, seule l’incompatibilité de l’état de santé avec le maintien en détention pouvant par ailleurs être invoquée (C. pr. pén., art. 147-1). Ainsi, indépendamment des actions en responsabilité susceptibles d'être engagées, dès lors qu’« aucun recours devant le juge judiciaire ne permet au justiciable d'obtenir qu'il soit mis fin aux atteintes à sa dignité résultant des conditions de sa détention provisoire », les dispositions contestées de l’article 144-1 méconnaissent les exigences constitutionnelles précitées. 

Mais comme une abrogation immédiate entrainerait des conséquences manifestement excessives, empêchant la mise en liberté dans les cas actuellement visés, ses effets sont reportés au 1er mars 2021. Il incombe donc désormais au législateur, dans ce délai, de proposer une nouvelle rédaction de l’article 144-1, alinéa 2, intégrant l’atteinte à la dignité résultant des conditions de détention aux situations obligeant le juge à ordonner la mise en liberté. 

Références

■ CEDH 30 janv. 2020, J.M.B. et a. c/ France, nos 9671/15 et 31 autres : Dalloz Actu Étudiant, 24 avr. 2020, obs. C. Laurent ; D. actu. 6 févr. 2020, obs. E. Senna ; AJ pénal 2020. 122, obs. J.-P. Céré ; D. 2020. 753, obs. J.-F. Renucci

■ Crim. 8 juill. 2020, n° 20-81.739 Dalloz Actu Étudiant, 16 juill. 2020, obs. S. Lavric ; AJ pénal 2020. 377, obs. E. Noël ; ibid. 404, J. Frinchaboy 

 

Auteur :Sabrina Lavric

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