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Droit des obligations
Contrat de mandat : rappel de la règle de la révocation ad nutum
À rebours du droit commun des contrats et de nombreux droits spéciaux, exigeant que la révocation du contrat soit précédée d’un préavis raisonnable, la Cour de cassation rappelle dans un arrêt rendu le 4 octobre dernier que le droit commun du mandat admet, sur le fondement de l’article 2004 du Code civil, que le contrat puisse être unilatéralement révoqué par le mandant, à tout moment et sans motifs.
Com. 4 oct. 2023, F-B, n° 22-15.781
Relativement rare en jurisprudence, le contrat de mandat se trouve au cœur de l’arrêt rapporté, publié par la chambre commerciale le 4 octobre dernier à l’effet de rappeler le sens comme la portée d’une règle significative de la spécificité de son régime et, à ce titre, dérogatoire au droit commun de la résiliation unilatérale des contrats à durée indéterminée : le principe de révocation ad nutum. Le mandant peut ainsi révoquer le mandataire « quand bon lui semble », ad nutum (d’un signe de la tête) c’est-à-dire sans préavis, sans motivation, sans justification et sans indemnisation.
Cette liberté de révocation se fonde sur plusieurs caractéristiques traditionnellement attachées à ce contrat spécial. En effet, les règles du mandat datent de la codification de 1804 et n’ont pas été modifiées depuis. À l’époque, le contrat de travail en tant que tel n’existait pas et le mandat était conçu fondamentalement comme un service d’ami. Il était par principe gratuit, souvent ponctuel, fondé sur la confiance et centré sur l’intérêt du mandant. Bien qu’il se soit professionnalisé et ainsi converti, dans la pratique contractuelle, en contrat onéreux, la dérogation apportée au droit commun de la résiliation des contrats est encore justifiée par la nécessité de protéger les intérêts du mandant dans le cas, en pratique fréquent, où il perdrait foi en son mandataire. L’article 2004 du Code civil lui reconnaît alors le droit de « révoquer sa procuration quand bon lui semble et contraindre, s’il y a lieu, le mandataire à lui remettre soit l’écrit sous seing privé qui la contient, soit l’original de la procuration, si elle a été délivrée en brevet, soit l’expédition, s’il en a été gardé minute ». Cette totale liberté de révocation se trouve parfois sacrifiée par les juges du fond, qui peinent à tirer toutes les conséquences d’une disposition radicalement dérogatoire au droit commun.
C’est précisément cette méprise quant à la portée de ce texte propre au mandat qui justifie en l’espèce la cassation de la décision des juges du fond. Leur avait été soumis un contrat conclu en 1979 par le syndicat d’une association ayant confié à une société d’événementiel la communication et la publicité d’un événement biennal auquel cette association participait. Alors que depuis sa conclusion, le contrat avait été périodiquement renouvelé, le 21 novembre 2013, l’association signifia la rupture du mandat à sa cocontractante. La société l’assigna avec succès en réparation de son préjudice, la cour d’appel jugeant, en l’absence de respect d’un délai de préavis raisonnable, la rupture du contrat brutale, d’autant plus que le courrier qui lui avait été adressé pour rompre le contrat ne comportait aucun motif à sa révocation. Devant la Cour de cassation, la mandante invoque à juste titre une violation de l’article 2004 du code civil, qui justifie la cassation de la décision des juges du fond. En effet, ces derniers avaient à tort appliqué à la révocation litigieuse les règles de droit commun relatives à la résiliation du contrat à durée indéterminée, alors que celles-ci n’ont pas vocation, en vertu de l’adage specialia generalibus derogant, à s’appliquer au mandat eu égard à la rédaction de l’article 2004. Révocable ad nutum, ce contrat spécial est en effet affranchi des règles générales prévoyant le respect d’un délai raisonnable de préavis en cas de résiliation unilatérale d’un contrat à durée indéterminée. Et la solution reste la même lorsqu’elle est rendue, ainsi qu’en l’espèce, sur le fondement du droit antérieur à la réforme (le contrat initial datant de 1979). En rendant un arrêt de cassation, la chambre commerciale, dans la droite ligne de la jurisprudence récente rendue sur le fondement du droit nouveau, restitue ainsi sa juste place au droit spécial du contrat, dont le primat d’application conduit à écarter l’application de la théorie générale (comp. sur l’art. 1165 c. civ., Com. 20 sept. 2023, n° 21-25.386 ; sur l’art. 1171 c. civ., Com. 26 janv. 2022, n° 20-16.782).
Puisque l’article 2004 du code civil prévoit une règle spéciale à la cessation du mandat, seule cette règle trouve à s’appliquer. La solution est toutefois remarquable eu égard à deux considérations propres à l’espèce. D’une part, la longévité de la relation contractuelle, nouée à la fin des années quatre-vingt, aurait pu fragiliser au cas présent la force de la règle de la liberté de révocation. Au contraire, la Cour juge le courrier envoyé en 2013, sans préavis indiqué ni de motifs exposés, parfaitement régulier. D’autre part, une clause du mandat stipulait expressément la liberté de révocation du mandataire par le mandant, auquel était toutefois demandé, dans un tel cas, de justifier d’un motif précis (la violation du protocole). Autrement dit, cette clause laissait le mandant libre, en cas de révocation unilatérale, de respecter un délai de préavis, mais le contraignait à justifier d’un motif légitime spécifié dans le contrat. Autant dire que les raisons d’infléchir le principe de libre révocation ne manquaient pas à la Cour, et que son choix de le maintenir fermement mérite donc d’être souligné.
Il peut aussi être regretté, du moins concernant le silence gardé par les hauts magistrats sur l’obligation de motivation. Faisant fi de la clause du contrat l’exigeant, la chambre commerciale fait encore une fois céder la théorie générale du contrat au profit du droit spécial du mandat, laissant le mandant libre de rompre sans motifs. Mais ce faisant, elle laisse aussi sans réponse la question ici soulevée du pouvoir de la liberté contractuelle de greffer au contrat une obligation de motivation. Pourtant, un éclairage sur ce point eût été fort utile à la pratique contractuelle. À ce titre, précisons que l’avant-projet de réforme du droit des contrats spéciaux modifie le régime de la cessation du mandat. Par faveur pour le mandataire, il fait dépendre la règle de la libre révocation du mandat d’une obligation nouvelle de motivation : en effet, à la condition d’avoir été conclu à titre onéreux, la résiliation du mandat devient soumise au respect d’un délai de préavis raisonnable, « à moins que la révocation soit justifiée par un motif légitime, comme la gravité du comportement du mandataire dans l’accomplissement de sa mission » (art. 2006).
Au-delà du droit prospectif, la portée de la solution ici rendue, qui confirme le principe de la révocation ad nutum, doit dès à présent être relativisée. En effet, l’hyperspécialisation du droit des contrats a déjà conduit à restreindre la place de l’article 2004 du code civil bien qu’elle soit ici, eu égard à la qualité des parties, préservée. S’agissant des mandataires professionnels, l’ensemble des droits spéciaux prévoient déjà des préavis : VRP, agent commercial, salarié, gérants de succursale, gérants non salariés des succursales de commerce de détail alimentaire, etc. Et lorsque les droits spéciaux ne prévoient pas de préavis, outre l’exigence d’un préavis en droit commun pour les contrats à durée indéterminée, s’agissant des contrats commerciaux conclus entre professionnels, le droit de la rupture brutale des relations commerciale établies s’applique et impose un préavis. Cela a été expressément jugé par la Cour de cassation pour le gérant-mandataire en 2019 (Com. 2 oct. 2019, n° 18-15.676). Noyée dans le flot des législations particulières et des statuts spéciaux du mandat, interdisant aux parties de stipuler une révocation ad nutum, la règle spéciale de l’article 2004 cède en pratique sa place à des règles encore plus spéciales ayant toutes renoncé à la libre révocation du mandat, ce qui renforce l’intérêt de cet arrêt qui restitue toute sa force à ce principe originel désormais affaibli par la convergence sur ce point de la théorie générale du contrat et des droits des contrats spéciaux.
Références :
■ Com. 20 sept. 2023, n° 21-25.386 : DAE, 16 oct. 2023, note Merryl Hervieu, D. 2023. 1783, note T. Gérard
■ Com. 26 janv. 2022, n° 20-16.782 : DAE, 22 févr.2022, note Merryl Hervieu, D. 2022. 539, note S. Tisseyre ; ibid. 725, obs. N. Ferrier ; ibid. 1419, chron. S. Barbot, C. Bellino, C. de Cabarrus et S. Kass-Danno ; ibid. 2255, obs. Centre de droit économique et du développement Yves Serra (EA n° 4216) ; ibid. 2023. 254, obs. R. Boffa et M. Mekki ; RTD civ. 2022. 124, obs. H. Barbier
■ Com. 2 oct. 2019, n° 18-15.676 : D. 2019. 1934 ; ibid. 2257, point de vue F. Buy ; ibid. 2020. 789, obs. N. Ferrier ; ibid. 2421, obs. C. de droit de la concurrence Yves Serra (CDED Y. S.EA n° 4216) ; AJ contrat 2019. 483, obs. N. Dissaux
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