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Droit de la responsabilité civile
Responsabilité du fait des produits défectueux : la faute inexcusable mais non exclusive de la victime n’exclut pas son indemnisation
L’exonération de responsabilité prévue par l’article 1245-12 du Code civil ne peut bénéficier au producteur d’un produit défectueux que lorsque le dommage est causé conjointement par un défaut du produit et par la faute de la victime. Pour être totale, la faute de la victime, même inexcusable, doit être la cause unique du dommage, ce qui ne sera pas le cas lorsque le rôle causal du défaut du produit dans la réalisation du dommage est avéré.
Civ. 1re, 15 oct. 2025, n° 24-10.782
Un salarié est grièvement blessé à la suite de l’explosion d’un instrument de travail. Cet accident du travail est jugé imputable à une faute inexcusable de son employeur. Parallèlement, ce dernier assigne le producteur de l’instrument dommageable sur le fondement de la responsabilité du fait des produits défectueux aux fins d’obtenir le remboursement des condamnations prononcées à son encontre ainsi que la réparation de son préjudice commercial. La cour d’appel rejette sa demande d’indemnisation, le fabricant se trouvant totalement exonéré par la faute inexcusable commise par l’employeur. Devant la Cour de cassation, le demandeur à l’indemnisation conteste que le caractère inexcusable de sa faute suffise à caractériser le rôle causal de celle-ci dans la survenance du dommage. La première chambre civile lui donne raison. Rappelant la réparabilité, sous l’égide du régime de responsabilité du fait des produits défectueux, des préjudices patrimoniaux et extrapatrimoniaux résultant d'une atteinte à la réputation, causée par une atteinte à la personne ou à un bien autre que le produit défectueux lui-même, y compris par ricochet (C. civ., art. 1245-1 ; Civ. 1re, 25 mai 2023, n° 21-23.174, admettant la réparation de l’atteinte à la réputation subi par ricochet du dommage corporel principal ; v.§11), elle souligne, concernant les causes exonératoires du producteur, que « la responsabilité du producteur peut être réduite ou supprimée, compte tenu de toutes les circonstances, lorsque le dommage est causé conjointement par un défaut du produit et par la faute de la victime » (C. civ., art. 1245-12). À noter qu’il s’agit moins d’une exigence de simultanéité entre la faute de la victime et le défaut du produit que la nécessité de leur conjonction, propre à établir que ces deux éléments ont respectivement concouru à la réalisation du dommage. Or en l’espèce, pour rejeter la demande de l'employeur en indemnisation de son préjudice, par ricochet, d’atteinte à la réputation, l'arrêt retient qu'il a été condamné, par un arrêt devenu irrévocable, à raison de sa faute inexcusable envers son salarié, victime principale du dommage corporel. En statuant ainsi, alors qu'il résultait de ses constatations que le fait dommageable était imputable à un défaut de fabrication, en sorte que la faute de l'employeur ne constituait pas la cause unique de son préjudice commercial, la cour d'appel a violé les textes susvisés.
En droit de la responsabilité du fait des produits défectueux, l’exonération du responsable déroge pour l’essentiel au droit commun. Outre les causes spéciales d’exonération légalement prévues, les causes classiques d’exonération ont été revisitées en sorte de faciliter l’indemnisation de la victime. Ainsi la notion de force majeure est-elle appréhendée par le prisme du « risque de de développement », et le fait du tiers, mode traditionnel d’exonération du responsable, n’a pas été retenu par le législateur : par exception au droit commun de la responsabilité extracontractuelle, la responsabilité du producteur reste inchangée malgré l’intervention d’un tiers, même avérée (C. civ., art. 1245-13 ; Civ. 1re, 28 nov. 2018, n° 17-14.356). En revanche, la faute de la victime continue de produire son effet exonératoire, dans les conditions du droit commun (v. cpdt, Civ. 1re, 2 juin 2021, n° 19-19.349) : ainsi, dans l’arrêt rapporté, la Cour de cassation rappelle que la responsabilité du producteur peut être réduite ou supprimée, compte tenu de toutes les circonstances, lorsque le dommage est causé conjointement par un défaut du produit et par la faute de la victime (C. civ., art. 1245-12). Conformément au droit de la responsabilité civile, la faute de la victime peut donc exonérer, en tout ou en partie, le fabricant de sa responsabilité. Il est acquis, en effet, que lorsque le dommage est dû à l’effet conjoint d’un fait imputable au responsable et d’une faute de la victime, cette pluralité de causes produit une incidence sur la responsabilité du défendeur. Quelle que soit la nature et le fait générateur de la responsabilité extracontractuelle considérée (fait personnel, fait d’autrui, fait de la chose, etc.), la faute de la victime est une source traditionnelle d’exonération, totale ou partielle, du défendeur. L’article 1245-12 ne dit pas autre chose en faisant dépendre l’exonération de cette responsabilité spéciale du rôle causal, partagé par le producteur du produit défectueux et par la victime fautive, dans la réalisation du dommage. Dans cette configuration, deux causes ont concouru au dommage (faute de la victime et fait du responsable), dans une proportion variable si bien que leur part respective dans la survenance du dommage déterminera l’étendue de la condamnation du principal responsable. Le partage de responsabilité est en effet mesuré par le juge au regard de l’importance respective de la faute de la victime et du fait dommageable imputable au responsable. Ceci permet d’expliquer que le producteur du produit ne peut échapper totalement à sa responsabilité de plein droit que si la faute de la victime est la cause exclusive, et non pas seulement contributive, ni même prépondérante, du dommage. Dans cette hypothèse, le fait de la victime, cause unique du dommage, absorbe l’intégralité de la causalité, en ce qu’elle écarte l’existence d’un fait générateur de responsabilité imputable au défendeur. Or en l’espèce, indépendamment de sa gravité, la faute de l'employeur « ne constituait pas la cause unique de son préjudice commercial », comme la cour d’appel l’avait elle-même relevé en caractérisant le défaut du produit et donc la participation du producteur au préjudice dont il était demandé réparation. La cause exonératoire totale envisagée par l’article 1245-12 du Code civil ne pouvait donc être retenue au motif, jugé inopérant, de la gravité de la faute commise par la victime. La Cour délaisse de cette façon le critère de la gravité de la faute au profit de sa causalité. Se trouve ainsi renforcée la portée de la règle récemment dégagée à propos de la responsabilité du fait des choses selon laquelle le fait de la victime emporte l’exonération totale du responsable non seulement lorsqu’elle revêt les caractères de la force majeure, ce que nul n'ignore, mais également lorsqu’elle se trouve être à l’origine exclusive du dommage (Civ. 2e, 7 avr. 2022, n° 20-19.746). Comme le confirme la décision rapportée à propos de la responsabilité spéciale du fait des produits défectueux, dès lors que le produit a également concouru à la réalisation du dommage, la faute de la victime ne peut avoir été la cause exclusive de celui-ci. L'exclusion de la responsabilité du producteur ne peut donc être retenue. Et non pas seulement en l’espèce, mais de façon plus générale, puisque par définition, l’engagement de la responsabilité du producteur implique qu’un produit défectueux soit intervenu dans la réalisation du dommage. Cela signifie que la faute de la victime, qui ne peut être la cause unique du dommage, ne peut en aucun cas conduire à l’exonération totale du producteur, à moins qu’à l’avenir, la Cour de cassation consente à tenir compte de la gravité de la faute, comme l’ont fait les juges du fond dans cette affaire, au lieu de se placer sur le seul terrain de la causalité. Ce n’est toutefois pas, pour l’heure, la voie qu’elle a décidé d’emprunter. Déjà observée, la rigueur d’appréciation de l’effet exonératoire attaché à la faute de la victime est ici renforcée par le fait de rester inchangée nonobstant le caractère jugé « inexcusable » de la faute de la victime : malgré son haut degré de gravité, la faute inexcusable de l’employeur ne prive pas ce dernier de son droit à indemnisation. À noter, enfin, que cette réticence à faire produire à la faute de la victime un effet exonératoire est d’autant plus manifeste qu’elle s’exprime, en l’espèce, non pas à propos du dommage corporel subi par la victime principale, mais du seul préjudice d’atteinte à la réputation subi par ricochet par la victime indirecte.
Références :
■ Civ. 1re, 25 mai 2023, n° 21-23.174 : D. 2023. 1008 ; ibid. 2024. 34, obs. P. Brun, O. Gout et C. Quézel-Ambrunaz ; RTD civ. 2023. 638, obs. H. Barbier ; ibid. 658, obs. P. Jourdain ; ibid. 660, obs. P. Jourdain
■ Civ. 1re, 28 nov. 2018, n° 17-14.356 : D. 2018. 2360
■ Civ. 1re, 2 juin 2021, n° 19-19.349 : DAE, 22 juin 2021, note Merryl Hervieu ; D. 2021. 1079 ; ibid. 2022. 35, obs. P. Brun, O. Gout et C. Quézel-Ambrunaz ; RTD civ. 2021. 658, obs. P. Jourdain
■ Civ. 2e, 7 avr. 2022, n° 20-19.746 : DAE, 12 mai 2022, note Merryl Hervieu ; D. 2022. 1454, note S. François ; ibid. 2023. 34, obs. P. Brun, O. Gout et C. Quézel-Ambrunaz ; Rev. prat. rec. 2022. 25, chron. D. Gantschnig
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