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[ 30 avril 2025 ] Imprimer

Droit de la famille

Du point de départ du délai décennal de l’action en constatation de la possession d’état

Le point de départ du délai de prescription de l'action en constatation de la possession d'état est la cessation de la possession d'état si elle intervient du vivant du parent prétendu ou, dans le cas contraire, le décès de ce dernier.

Civ. 1re, 26 mars 2025, n° 22-23.644

Pour établir la filiation en justice, il faut généralement démontrer que le défendeur est l’un des procréateurs. Il existe toutefois une action pour laquelle une telle preuve n’est pas requise et dont le sort dépend d’une « réalité affective, matérielle et sociale » (Civ. 1re, Avis 23 nov. 2022, n° 22-70.013) : il résulte en effet de l’article 330 du Code civil que pour officialiser la paternité ou la maternité, il est possible d’inviter un tribunal à constater la possession d’état. Pour que l’action prévue par ce texte soit accueillie, le demandeur doit démontrer « une réunion suffisante de faits qui révèlent le lien de filiation et de parenté entre une personne et la famille à laquelle elle est dite appartenir » (C. civ., art. 311-1). Il n’est donc pas indispensable, dans le cadre de cette action, de percer les mystères de la fécondation : la demande est fondée sur une réalité sociologique, pas sur une certitude génétique. Il n’est ni nécessaire ni suffisant d’établir que l’individu à l’égard duquel la filiation est susceptible d’être établie est le parent biologique : ce qui doit être prouvé, c’est qu’il s’est comporté de telle manière que l’on peut raisonnablement supposer qu’il est bien le père ou la mère du demandeur. Il est d’ailleurs parfaitement possible que cette apparence corresponde à la vérité biologique mais le demandeur n’est pas tenu de le démontrer. Il serait certes excessif d’affirmer que la question de la vérité biologique est complètement étrangère au litige : la possession d’état consiste en définitive en une « apparence (de) réalité biologique » (Civ. 1re, 23 nov. 2022, préc.). L’originalité de l’action prévue par l’article 330 est toutefois évidente : lorsqu’il est saisi de celle-ci, le tribunal ne doit pas rechercher si le parent prétendu est réellement le père ou la mère de l’enfant mais si les relations qu’il a effectivement entretenues avec lui permettent de le penser. 

En raison de ce particularisme, l’action n’est pas attitrée. Cette souplesse est exceptionnelle. Habituellement, les actions destinées à établir la filiation sont réservées à un cercle limité de personnes : lorsque les principaux intéressés s’appliquent à dissimuler la vérité, personne d’autre n’est alors autorisé à la déterrer. Généralement, seuls l’un et l’autre des parents ainsi que l’enfant se trouvent donc être les titulaires de l’action. Mais l’action en constatation de la possession d’état a ceci de particulier qu’elle ne suppose pas la révélation d’amours clandestines ; elle ne tend qu’à l’officialisation d’un lien déjà connu de tous. La possession d’état, qui n’est caractérisée que lorsqu’un individu traite un enfant comme le sien, n’est en effet prise en considération que si elle revêt un caractère public. Elle peut donc être constatée sans qu’un inavouable secret ne soit éventé. C’est la raison pour laquelle l’action prévue par l’article 330 peut être engagée « à la demande de toute personne qui y a intérêt ». Quant au délai imparti pour saisir le tribunal, il est de dix ans, étant précisé que ce délai décennal, d’une durée excédant celle prévue pour la délivrance d’un acte de notoriété (C. civ., art. 317, al. 3), est en outre suspendu à l’égard de l’enfant pendant sa minorité (C. civ., art. 321 et 2235). Il apparaît ainsi que les règles encadrant l’exercice de l’action en constatation de la possession d’état, notamment celles relatives au délai légal de prescription, ne sont pas très strictes. Cette latitude n’est toutefois pas sans limite, comme en témoigne la décision rendue le 26 mars dernier par la Cour de cassation, à propos du point de départ du délai en constatation de la possession d’état. 

Au cas d’espèce, la requérante, ayant saisi le 30 juin 2021 un tribunal judiciaire afin de voir établir, par possession d'état, sa filiation paternelle à l'égard d’un homme décédé le 12 février 1996, s’était vue opposer la prescription de son action. En effet, la loi prévoit que le délai décennal de prescription court à compter soit de la cessation de la possession d’état si elle intervient du vivant du parent prétendu, soit du décès de ce dernier (C. civ., art. 330). L’action en l’espèce engagée vingt-cinq ans après le décès du père supposé de la requérante était donc depuis longtemps prescrite. Devant la Cour de cassation, la requérante soutenait cependant que seule la cessation de la possession d’état constitue l’événement déclencheur du délai de prescription ; elle défendait en conséquence l’idée que le décès du parent prétendu ne peut être constitutif du point de départ de l'action qu'à la condition que cet événement fasse effectivement cesser la possession d’état, ce qui n’était pas son cas, ayant continué de bénéficier, après le décès, d’une possession d’état d’enfant naturel continue et univoque antérieurement établie. L’argument paraissait pouvoir prospérer devant la Cour tant il est vrai que la possession d’état est susceptible de persister après la mort du parent comme après celle de l’enfant, nombreux étant les faits, énumérés par l’article 311-1, à même de subsister après le décès de l’un ou de l’autre (notamment le nomen et la fama). Mais la Cour de cassation ne souscrit pas à cette thèse, privilégiant une approche littérale et restrictive de l’article 330 du Code civil. Elle rappelle qu’en toute hypothèse, le point de départ du délai de prescription doit être fixé au jour où la possession d’état prend fin : une cessation à établir lorsqu’elle intervient du vivant du parent prétendu, ou qui s’infère objectivement de son décès, souligne la Cour. Le moyen postulant que le décès du parent prétendu ne serait pas une cause automatique de cessation de la possession d’état et qu’il ne pourrait valablement servir de point de départ du délai de prescription dans le cas, qu’il prétendait être le sien, où le décès n’aurait pas fait cesser effectivement la possession d’état, est jugé non fondé. Dont acte : indépendamment de la continuité de la possession d’état avant ou après la date de sa survenance, le décès du parent prétendu constitue un point de départ objectif du délai de prescription de l’action en constatation de la possession d’état, qui obligeait en l’espèce à considérer qu’à la date d’engagement de l’action en 2021, soit 25 ans après la mort du père prétendu, celle-ci était déjà prescrite depuis 15 ans.

Référence :

■ Civ. 1re, Avis 23 nov. 2022, n° 22-70.013 DAE 18 janv. 2023, note Merryl HervieuD. 2022. 2161 ; ibid. 2023. 523, obs. M. Douchy-Oudot ; ibid. 662, obs. P. Hilt ; AJ fam. 2023. 233, obs. M. Saulier ; RTD civ. 2023. 81, obs. A.-M. Leroyer

 

Auteur :Merryl Hervieu


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