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Droit de la famille
Des effets de la reconnaissance paternelle d’un enfant né sous X : l’amorce d’un renforcement
Pour la première fois, la Cour de cassation casse un arrêt d’appel en vertu du principe de proportionnalité, reprochant aux juges du fond de pas avoir recherché si, en l’espèce, l’application des textes qui privait le père biologique d’un enfant « né sous X » de faire valoir ses droits sur l’enfant n’avait pas porté une atteinte disproportionnée à son droit au respect de la vie privée et familiale.
Civ. 1re, 27 janvier 2021, nos 19-15.921, 19-24.608 et 20-14.012
Rendu dans une affaire ayant d’abord donné lieu à la transmission d’une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) (Civ. 1re, 20 nov. 2019, n° 19-15.921), puis à une décision du Conseil constitutionnel (Cons. const. 7 févr. 2020, n° 2019-826 QPC), le présent arrêt prolonge la discussion, depuis longtemps débattue et ranimée par ce litige portant sur le droit du père biologique d’un enfant né « sous X » d’établir son lien de filiation paternelle.
En l’espèce, une enfant « née sous X » le 23 octobre 2016 avait été immatriculée comme pupille de l’État le 24 décembre suivant. Après que le Conseil de famille des pupilles de l’État eut consenti, le 10 janvier 2017, à son adoption et, dans cette perspective, décide de son placement le 28 janvier, l’enfant avait été remise entre les mains d’un couple candidat à l’adoption, le 15 février suivant. Or quelques jours avant ce placement, le père biologique de l’enfant avait entrepris des démarches auprès du procureur de la République à l’effet de retrouver sa fille. Après l’avoir retrouvée, puis identifiée, il avait procédé, le 12 juin 2017, à sa reconnaissance. Le couple chez lequel l’enfant avait été placé avait ensuite déposé une requête aux fins de voir prononcée l’adoption plénière de l’enfant et son père biologique était intervenu volontairement à l’instance. La cour d’appel (Riom, 5 mars 2019, n° 18/01171) ayant prononcé l’adoption de l’enfant et annulé l’acte de reconnaissance de son père biologique, ce dernier forma un pourvoi en cassation, à l’occasion duquel il posa une QPC visant les articles 351, alinéa 2, et 352, alinéa 1er du Code civil relatifs au placement d’un enfant en vue de son adoption plénière à l’effet de contester les effets, irréversibles et drastiques, que ce placement emporte quant aux droits de vis-la famille d’origine de l’enfant en privant d’efficacité, notamment, les effets d’une reconnaissance paternelle postérieure à cette décision. En effet, les textes discutés disposent que le placement, consistant en la remise effective aux futurs adoptants d’un enfant déjà susceptible d’être adopté, fait obstacle à la restitution de l’enfant à sa famille d’origine comme il interdit aux parents biologiques d’établir leur paternité ou leur maternité. Cependant, le législateur ayant pris la précaution d’encadrer, par diverses dispositions, le déroulé de cette procédure à l’effet principal d’éviter que le sort de l’enfant ne soit trop hâtivement scellé, le Conseil constitutionnel en avait conclu que le dispositif prévu conciliait de manière juste, raisonnable et équitable, le droit des parents biologiques de mener une vie familiale normale et l’objectif de favoriser l’adoption de l’enfant privé de filiation (Cons. const. 7 févr. 2020, préc.). Selon les Sages, les dispositions contestées ne portaient donc atteinte ni au droit du père biologique de mener une vie familiale normale ni à l’intérêt supérieur de l’enfant résidant dans son adoption plénière, tels que ces droits et intérêts garantis par la Constitution. Dans l’arrêt sous examen, la Cour de cassation était, quant à elle, amenée à se prononcer sur le fond du litige. Or, après avoir approuvé l’analyse des juges du fond ayant déduit des règles applicables à la procédure d’adoption des pupilles de l’État, qu’il nous faudra au préalable présenter, l’inefficacité de la reconnaissance du père biologique de l’enfant et son absence consécutive d’intérêt à agir dans la procédure d’adoption le concernant, la Haute cour en appelle, d’une manière à notre connaissance inédite, au contrôle de proportionnalité qu’elle reproche in fine à la cour d’appel de ne pas avoir exercé, justifiant la cassation avec renvoi de sa décision.
■ La procédure d’adoption d’un pupille de l’État
Au sein de chaque département, le service de l’aide sociale à l’enfance (ASE) accueille et prend en charge des mineurs sans filiation ou dont les parents ne parviennent pas à s’occuper. Or parmi les enfants qui leur sont confiés, certains seront admis en qualité de pupille de l’État et deviendront, ainsi, susceptibles d’être adoptés.
Si les pupilles de l’État regroupent des enfants dont les situations apparaissent relativement diverses, l’immense majorité d’entre eux sont des enfants nés sous X. Immédiatement recueillis par l’ASE, leur admission définitive en qualité de pupille de l’Etat ne peut, quant à elle, être aussi rapide. A l’effet de laisser aux parents ou aux géniteurs le temps de se manifester, ce caractère définitif que traduit l’immatriculation de l’enfant comme pupille de l’État ne peut intervenir qu’à l’issue d’un délai de deux mois à compter de leur recueil à l’ASE (CASF, art. L. 224-8, I, et L. 224-4, 1°, 2° et 4°). Or, à l’expiration de ce bref délai, les pupilles de l’État « doivent (en principe) faire l’objet d’un projet d’adoption dans les meilleurs délais » (CASF, art. L. 225-1), ce à quoi s’attelle le Conseil de famille des pupilles de l’État (C. civ., art. 349 ; CASF, art. R. 224-18, 2°), dont le consentement généralement donné à l’adoption conduira l’enfant à être placé, le plus souvent rapidement, en vue de cette adoption. Son intérêt le commande : comme l’a souligné la Cour européenne des droits de l’homme, des « travaux menées par les professionnels de l’enfance (font apparaître) que l’intérêt de l’enfant est de bénéficier le plus rapidement possible de relations affectives stables dans (une) nouvelle famille » (CEDH 10 janv. 2008, Kearns c/ France, n° 35991/04 § 76 s.). Or, ce placement emporte des effets radicaux et définitifs : « réalisé par la remise effective aux futurs adoptants d’un enfant pour lequel il a été valablement et définitivement consenti à l’adoption d’un pupille de l’État (…) », il interdit l’établissement de toute parenté biologique : le placement en vue de l’adoption « fait échec à toute déclaration de filiation et à toute reconnaissance » (C. civ., art. 352, al. 1er). Ainsi le législateur a-t-il souhaité éviter de déstabiliser les enfants déjà accueillis par les futurs adoptants. Le placement en vue de l’adoption constitue donc une étape absolument décisive : il érige un obstacle nécessaire au maintien de l’enfant placé dans un nouveau cadre familial, stable ; pour qu’une nouvelle histoire commence, il est donc nécessaire que les géniteurs s’effacent.
Il importe cependant de souligner que le placement, s’il produit des effets considérables, ne suffit pas à anéantir les filiations susceptibles d’avoir été établies avant sa survenance. Seule l’adoption plénière définitive peut, en effet, provoquer la disparition de tels liens. C’est la raison pour laquelle la loi comme la jurisprudence s’accordent, prenant appui sur un critère purement chronologique, pour faire dépendre l’efficacité de l’acte de reconnaissance effectué par le père biologique de son antériorité au placement de l’enfant, à la condition supplémentaire que l’enfant soit aussi, à cette date, identifié (Civ. 1re, 7 avr. 2006, Benjamin, n° 05-11.285). Faite comme en l’espèce après le placement, elle est en revanche privée de tout effet (C. civ., art. 352). Cette inefficacité qui sanctionne la reconnaissance tardive, alors insusceptible d’influencer le consentement à l’adoption dont dépend pourtant la validité de la procédure, prive de surcroît l’auteur de la reconnaissance de tout intérêt à agir dans cette procédure. C’est pour ce motif procédural que les juges du fond avaient jugé irrecevable l’intervention du père dans la procédure d’adoption en cours, ce qu’approuve la Cour de cassation, à l’appui des articles 352 du Code civil et 329 du Code de procédure civile (selon lequel l’intervention principale n’est recevable que si son auteur a le droit d’agir relativement à cette prétention), dont elle induit de la combinaison que « l’intervention volontaire dans une procédure d’adoption plénière du père de naissance d’un enfant immatriculé définitivement comme pupille de l’État et placé en vue de son adoption est irrecevable, faute de qualité à agir, dès lors qu’aucun lien de filiation ne peut plus être établi entre eux ».
■ Le contrôle de proportionnalité
Malgré ce qui précède et de manière tout à fait surprenante, la Cour de cassation donne à l’enjeu litigieux un relief nouveau en reprochant aux juges du fond, en vertu du principe de proportionnalité, de ne pas avoir recherché si l’irrecevabilité de l’action du père biologique ne portait pas, eu égard aux circonstances propres à l’espèce et aux différents intérêts en présence, une atteinte disproportionnée au droit au respect de sa vie privée et familiale en ce qu’elle interdisait l’examen de ses demandes.
Dans cette affaire particulière, le manque de célérité du père, sans doute mal avisé, s’expliquait par le seul fait qu’il avait attendu que sa fille fût clairement identifiée avant de procéder à sa reconnaissance. Ce retard ne pouvait pas, d’un certain point de vue, lui être reproché, alors que l’effet produit, l’impossibilité de faire valoir ses droits au stade de la phase administrative de la procédure, se révèle drastique. En conséquence, la Cour de cassation casse et renvoie l’affaire devant une autre cour d’appel, qui sera donc chargée de procéder au réexamen de l’affaire par un recours, inédit en cette matière, à la méthode de pondération des intérêts, en lien avec un contrôle de proportionnalité en partie procédurale comme il vient d’ailleurs récemment d’être exercé, en droit des incapacités (Civ. 1re, 27 janv. 2021, n° 19-22.508).
Il est toutefois peu probable que cette perspective, dont la nouveauté aurait de quoi nourrir l’espoir du père, trouve une issue qui lui soit favorable. En effet, le contrôle de proportionnalité n’a jusqu’à présent jamais abouti à remettre en cause les règles applicables en matière de filiation (v., en dernier lieu, Civ. 1re, 2 déc. 2020, n° 19-20.279). Au surplus, la méthode de pondération des intérêts mis en cause par des actions introduites en matière de filiation, notamment celles concernant l’accouchement sous X, révèle dans son application le primat accordé à l’intérêt de l’enfant (v. not. Civ. 1re, 8 juill. 2009, n° 08-20.153), dont la supériorité de valeur concentre l’enjeu litigieux sur la nécessité de sa protection. Or les juges européens comme internes (CEDH 10 janv. 2008, Kearns c/ France, préc.; Cons. const. 7 févr. 2020, n° 2019-826 QPC § 9) considèrent de concert que son intérêt réside dans son adoption dans les meilleurs délais et dans le respect de la stabilité familiale par cette voie obtenue. Quoique le contrôle de proportionnalité et la technique subséquente de pondération des intérêts soient éminemment conjoncturelles et impliquent une appréciation au cas par cas, sans règles préétablies ni solutions prévisibles, des droits et intérêts en conflit en fonction du contexte propre à chaque litige, force est de constater qu’en l’espèce, la cour d’appel a, compte tenu des circonstances globalement favorables à la cause du père, néanmoins vu l’intérêt de l’enfant dans son adoption et son maintien au sein du foyer du couple qui l’élevait depuis quatre ans (comp. dans le même sens du critère tiré de la stabilité du cadre familial de l’enfant pour apprécier son intérêt, CEDH 26 juin 2014, Labassée et Mennesson c/ France,nos 65941/11 et 65192/11 § 60 ; Civ. 1re, 12 sept. 2019, n° 18-20.472).
La cour de renvoi pourrait-elle raisonnablement prendre le contre-pied de cette décision difficile à contester ? On peut difficilement l’envisager (contra L. de Saint-Pern, note ss. Cons. const. 7 févr. 2020, Dr. fam. 2020, n° 69), mais peut-être espérer que par la recherche d’un consensus, la solution qu’elle rendra ouvrira la voie à de nouveaux re-pères pour redéfinir l’attribution de la place à accorder à chacun des protagonistes si l’intérêt de l’enfant l’implique et l’exige.
Références
■ Civ. 1re, 20 nov. 2019, n° 19-15.921 P : D. 2019. 2300 ; ibid. 2020. 506, obs. M. Douchy-Oudot ; ibid. 677, obs. P. Hilt ; ibid. 843, obs. RÉGINE ; AJ fam. 2020. 73, obs. J. Houssier ; ibid. 2019. 615, obs. A. Dionisi-Peyrusse ; RTD civ. 2020. 80, obs. A.-M. Leroyer
■ Cons. const. 7 févr. 2020, n° 2019-826 QPC : DAE 2 mars 2020, note M. Hervieu ; D. 2020. 695, note H. Fulchiron ; ibid. 506, obs. M. Douchy-Oudot ; ibid. 843, obs. RÉGINE ; AJ fam. 2020. 178, obs. P. Salvage-Gerest ; ibid. 146, obs. A. Dionisi-Peyrusse ; RTD civ. 2020. 357, obs. A.-M. Leroyer
■ Riom, 5 mars 2019, n° 18/01171 : D. 2020. 677, obs. P. Hilt ; AJ fam. 2019. 221, obs. P. Salvage-Gerest
■ CEDH 10 janv. 2008, Kearns c/France, n° 35991/04 : D. 2008. 415, obs. P. Guiomard ; AJ fam. 2008. 78, obs. F. Chénedé ; RDSS 2008. 353, note C. Neirinck ; RTD civ. 2008. 252, obs. J.-P. Marguénaud ; ibid. 285, obs. J. Hause
■ Civ. 1re, 7 avr. 2006, Benjamin, n° 05-11.285 P : D. 2006. 2293, obs. I. Gallmeister, note E. Poisson-Drocourt ; ibid. 1177, tribune B. Mallet-Bricout ; ibid. 1707, chron. J. Revel ; ibid. 2007. 879, chron. P. Salvage-Gerest ; ibid. 1460, obs. F. Granet-Lambrechts ; ibid. 2192, obs. A. Gouttenoire et L. Brunet ; Just. & cass. 2007. 328, rapp. A. Pascal ; AJ fam. 2006. 249, obs. F. Chénedé ; RDSS 2006. 575, obs. C. Neirinck ; RTD civ. 2006. 273, obs. P. Remy-Corlay ; ibid. 292, obs. J. Hauser
■ Civ. 1re, 27 janv. 2021, n° 19-22.508 P : D. 2021. 180
■ Civ. 1re, 2 déc. 2020, n° 19-20.279 P : DAE 1er févr. 2021, note M. Hervieu ; D. 2020. 2453 ; AJ fam. 2021. 55, obs. J. Houssier
■ Civ. 1re, 8 juill. 2009, n° 08-20.153 P : D. 2009. 1973, obs. C. Le Douaron ; ibid. 2010. 989, obs. M. Douchy-Oudot ; ibid. 1442, obs. F. Granet-Lambrechts ; AJ fam. 2009. 350, obs. F. Chénedé ; RDSS 2009. 972, obs. T. Tauran ; ibid. 2010. 735, étude C. Neirinck ; RTD civ. 2009. 708, obs. J. Hauser
■ CEDH 26 juin 2014, Mennesson c/ France, n° 65192/11 : AJDA 2014. 1763, chron. L. Burgorgue-Larsen ; D. 2014. 1797, et les obs., note F. Chénedé ; ibid. 1773, chron. H. Fulchiron et C. Bidaud-Garon ; ibid. 1787, obs. P. Bonfils et A. Gouttenoire ; ibid. 1806, note L. d'Avout ; ibid. 2015. 702, obs. F. Granet-Lambrechts ; ibid. 755, obs. J.-C. Galloux et H. Gaumont-Prat ; ibid. 1007, obs. REGINE ; ibid. 1056, obs. H. Gaudemet-Tallon et F. Jault-Seseke ; AJ fam. 2014. 499, obs. B. Haftel ; ibid. 396, obs. A. Dionisi-Peyrusse ; RDSS 2014. 887, note C. Bergoignan-Esper ; Rev. crit. DIP 2015. 1, note H. Fulchiron et C. Bidaud-Garon ; ibid. 144, note S. Bollée ; RTD civ. 2014. 616, obs. J. Hauser ; ibid. 835, obs. J.-P. Marguénaud
■ CEDH 26 juin 2014, Labassée c/ France, n° 65941/11 : AJDA 2014. 1763, chron. L. Burgorgue-Larsen ; D. 2014. 1797, et les obs., note F. Chénedé ; ibid. 1787, obs. P. Bonfils et A. Gouttenoire ; ibid. 1806, note L. d'Avout ; ibid. 2015. 702, obs. F. Granet-Lambrechts ; ibid. 755, obs. J.-C. Galloux et H. Gaumont-Prat ; ibid. 1007, obs. REGINE ; ibid. 1056, obs. H. Gaudemet-Tallon et F. Jault-Seseke ; AJ fam. 2014. 499 ; ibid. 396, obs. A. Dionisi-Peyrusse ; Rev. crit. DIP 2015. 1, note H. Fulchiron et C. Bidaud-Garon ; RTD civ. 2014. 616, obs. J. Hauser ; ibid. 835, obs. J.-P. Marguénaud
■ Civ. 1re, 12 sept. 2019, n° 18-20.472 P : D. 2019. 2112, note A. Etienney-de Sainte Marie ; ibid. 2020. 506, obs. M. Douchy-Oudot ; ibid. 677, obs. P. Hilt ; ibid. 843, obs. RÉGINE ; AJ fam. 2019. 531, obs. F. Chénedé, obs. P. Salvage-Gerest ; ibid. 487, obs. A. Dionisi-Peyrusse ; RTD civ. 2019. 838, obs. A.-M. Leroyer
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