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Droit au respect de la dignité en détention : où en est le nouveau recours devant le juge judiciaire ?
La personne détenue dans un établissement pénitentiaire français peut désormais former un recours devant le juge judiciaire lorsqu’elle estime être incarcérée dans des conditions indignes. Le 1er octobre dernier, le décret pris en application de l’article 803-8 du Code de procédure pénale est entré en vigueur.
L’inauguration du centre pénitentiaire de Lutterbach le 20 avril 2021, la création de la maison d’arrêt Caen-Ifs avec une livraison prévue à l’horizon 2023 ou encore le lancement de la démolition du centre pénitentiaire des Baumettes historiques à Marseille le 22 septembre dernier apparaissent comme autant de gages de la réalisation du plan gouvernemental prévoyant 15 000 places de prison, dont la création de 8 000.
Pourtant, il est tout autant incontestable qu’au 1er septembre 2021, la France comptait 68 472 détenus pour 60 374 places opérationnelles, des chiffres clés enregistrés par le ministère de la Justice qui représentent une densité carcérale globale de 113,4%, contre 98,6% au 1er septembre 2020.
C’est en raison de cette surpopulation carcérale et des problèmes structurels bien connus de nos établissements pénitentiaires que la France a été condamnée par la Cour européenne des droits de l’homme dans un arrêt historique rendu le 30 janvier 2020 pour violation de l’article 3 - interdisant la torture et les traitements inhumains ou dégradants – et de l’article 13 – concernant le droit à un recours effectif - de la Convention européenne des droits de l’homme. Au visa de l’article 46 de la Convention, relatif à la force obligatoire et à l’exécution des arrêts, assurément moins célèbre que les dispositions citées précédemment, les juges strasbourgeois ont recommandé à l’État français d’adopter certaines mesures générales afin d’endiguer le surpeuplement carcéral, d’améliorer les conditions de détention et d’établir un recours préventif et effectif (CEDH 30 janv. 2020, J.M.B et autres c. France, no 9671/15 et 31 autres).
La chambre criminelle de la Cour de cassation, prenant acte de cet arrêt européen, est revenue quelques mois plus tard sur sa propre jurisprudence, selon laquelle jusqu’alors, « une éventuelle atteinte à la dignité de la personne en raison des conditions de détention, si elle est susceptible d’engager la responsabilité de la puissance publique en raison du mauvais fonctionnement du service public, ne saurait constituer un obstacle légal au placement et au maintien en détention provisoire » (Crim. 18 sept. 2019, no 19-83.950). Non sans audace, la Haute juridiction judiciaire a créé une voie de recours auprès du juge judiciaire, de nature à permettre aux personnes placées en détention provisoire de faire cesser leurs conditions indignes d’incarcération, sans attendre une modification des textes législatifs ou réglementaires (Crim. 8 juill. 2020, no 20-81.739).
À la suite de sa saisine pour deux questions prioritaires de constitutionnalité transmises par la Cour de cassation et relatives à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit des articles 137-3, 144 et 144-1 du Code de procédure pénale, le Conseil constitutionnel a censuré le second alinéa de l’article 144-1, jugé contraire à la Constitution, qui était rédigé en ces termes : « Le juge d’instruction ou, s’il est saisi, le juge des libertés et de la détention doit ordonner la mise en liberté immédiate de la personne placée en détention provisoire, selon les modalités prévues à l’article 147, dès que les conditions prévues à l’article 144 et au présent article ne sont plus remplies ». Après avoir tout d’abord considéré que la possibilité de saisir le juge administratif en référé était insuffisante pour garantir la fin des conditions d’incarcération indignes, le Conseil constitutionnel a ensuite tiré les mêmes conséquences que la Cour européenne et la Cour de cassation avant lui, en ce que « aucun recours devant le juge judiciaire ne permet au justiciable d’obtenir qu’il soit mis fin aux atteintes à sa dignité résultant des conditions de sa détention provisoire ». En outre, le Conseil constitutionnel a décidé que l’inconstitutionnalité prendrait effet au 1er mars 2021, afin de laisser au législateur le temps nécessaire à la réécriture de l’article 144-1 du Code de procédure pénale (Cons. const. 2 oct. 2020, no 2020-858/859 QPC).
Au regard de ces trois décisions d’importance, appelant à l’évidence le législateur français à réagir, une proposition de loi a été déposée par le Sénat avant que le Gouvernement engage une procédure accélérée le 18 février 2021.
La loi no 2021-403 tendant à garantir le droit au respect de la dignité en détention, promulguée le 8 avril 2021 et publiée au Journal officiel le lendemain, a ainsi crée le très attendu recours offrant aux détenus la possibilité de saisir le juge judiciaire par voie de requête lorsqu’ils estiment que leurs conditions d’incarcération sont contraires au respect de leur dignité et qu’il doit y être mis fin.
Il résulte de ce dispositif, consacré par l’article 803-8 du Code de procédure pénale, créé par cette loi et auquel l’article 144-1 modifié renvoie, que « sans préjudice de sa possibilité de saisir le juge administratif », statuant en référé, « en application des articles L. 521-1, L. 521-2 ou L. 521-3 du code de justice administrative », toute personne détenue dans un établissement pénitentiaire » en application du code de procédure pénale, « qui considère que ses conditions de détention sont contraires à la dignité de la personne humaine peut saisir » selon sa situation « le juge des libertés et de la détention, si elle est en détention provisoire, ou le juge de l’application des peines, si elle est condamnée et incarcérée en exécution d’une peine privative de liberté, afin qu’il soit mis fin à ses conditions indignes ».
Le déroulement de cette procédure doit s’effectuer en plusieurs étapes encadrées par des délais précisés par les dispositions de l’article 803-8 précité.
Dans un premier temps, le juge judiciaire doit examiner si les déclarations de la requête sont « circonstanciées, personnelles et actuelles », constituant un commencement de preuve de la réalité de l’indignité des conditions de détention dénoncées.
Dans un deuxième temps, en cas de recevabilité, le juge ouvre une enquête au cours de laquelle il fait procéder aux vérifications nécessaires et recueille les observations de l’administration pénitentiaire afin de déterminer le bien-fondé de la requête.
Dans un troisième temps, si le juge estime la requête fondée, il fait connaître à l’administration pénitentiaire les conditions de détention qu’il estime contraires à la dignité de la personne humaine et lui demande de remédier sous un mois maximum aux conditions de détention indignes constatées, en transférant le cas échéant le détenu dans un autre établissement pénitentiaire.
Si, à l’issue du délai fixé, le juge judiciaire constate qu’il n’a pas été mis fin aux conditions de détention indignes, il peut ordonner l’une des trois décisions suivantes, qui sera motivée et susceptible d’appel : le transfèrement de la personne détenue dans un autre établissement pénitentiaire, la mise en liberté immédiate de la personne placée en détention provisoire - éventuellement assortie d’un contrôle judiciaire ou d’une assignation à résidence avec bracelet électronique - ou un aménagement de peine pour le détenu définitivement condamné éligible à une telle mesure.
Néanmoins, le juge peut refuser l’une de ces décisions si le détenu a déjà refusé un transfèrement de l’administration pénitentiaire sans motif valable.
Le 1er octobre dernier, est entré en vigueur le décret no 2021-1194 du 15 septembre 2021, pris en application de cet article 803-8 du Code de procédure pénale et créant les articles R. 249-17 et suivants du même code.
Il ressort ainsi de la lecture des dispositions de ce nouvel article R. 249-17 que le juge de la liberté et de la détention « est celui du tribunal judiciaire compétent pour connaître de la procédure concernant cette personne ou du tribunal judiciaire situé au siège de la cour d’appel compétente pour connaître de cette procédure » tandis que le juge de l’application des peines « est celui du tribunal judiciaire dans le ressort duquel est situé l’établissement pénitentiaire où cette personne est incarcérée ou, dans le cas prévu par l’article 706-22-1, du tribunal judiciaire de Paris ».
Au-delà de la détermination de la compétence du tribunal, le décret est venu préciser à l’article R. 249-18, l’obligation pour le chef de l’établissement pénitentiaire de prendre « toutes dispositions pour informer les détenus de la possibilité de former » ce recours, sans que soit précisé toutefois la vérification d’une telle application.
Les articles R. 249-19 et R. 249-20 développent le formalisme à respecter, à peine d’irrecevabilité, pour former une requête (écrit distinct, exposé circonstancié des conditions de détention personnelles et actuelles, signature du requérant ou de son avocat, déclaration de la requête).
Sans livrer une étude exhaustive de l’ensemble du décret, il apparaît néanmoins important d’indiquer qu’outre l’éclairage procédural sur les modalités relatives à la recevabilité de la requête de l’article R. 249-21 et suivants, il est prévu à l’article R. 249-24 que, s’agissant de la vérification des conditions de détention, le juge judiciaire dispose d’un large pouvoir lui permettant de se déplacer sur les lieux de détention, d’ordonner une expertise, de requérir d’un huissier de justice de procéder à toute constatation utile, à des photographies, des prises de vue au sein de l’établissement pénitentiaire et de procéder à l’audition du requérant, même si ce dernier ne l’a pas demandé. Cet éventail de possibilités laisse présager de l’abondant contentieux qui naitra des constats, expertises et appréciations diverses du caractère de dignité des conditions d’incarcération.
La question qui reste pour l’instant en suspens réside évidemment dans la mise en œuvre de ce recours qui, s’il n’est pas un trompe-l’œil de circonstance, permettrait au détenu vivant dans des conditions indignes de faire valoir ce droit, d’être auditionné en cas de recevabilité de sa requête comme le prévoit l’article R. 249-35 du Code de procédure pénale et de faire cesser cette situation. Encore faut-il que l’administration pénitentiaire bénéficie des moyens matériels et humains pour remplir cette nouvelle mission.
Références
■ CEDH 30 janv. 2020, J.M.B et autres c. France, no 9671/15 et 31 autres : DAE 24 avr. 2020, note C. Laurent ; AJDA 2020. 263 ; ibid. 1064, note H. Avvenire ; D. 2020. 753, et les obs., note J.-F. Renucci ; ibid. 1195, obs. J.-P. Céré, J. Falxa et M. Herzog-Evans ; ibid. 1643, obs. J. Pradel ; ibid. 2021. 432, chron. M. Afroukh et J.-P. Marguénaud ; JA 2020, n° 614, p. 11, obs. T. Giraud ; AJ pénal 2020. 122, étude J.-P. Céré
■ Crim. 18 sept. 2019, no 19-83.950 P : DAE 24 sept. 2019, note L. Robiliard ; D. 2019. 1761 ; AJ pénal 2019. 560, obs. J. Frinchaboy ; RSC 2019. 808, obs. Y. Mayaud
■ Crim. 8 juill. 2020, no 20-81.739 P : DAE 16 juill. 2020, note S. Lavric ; Dalloz actualité, 10 oct. 2019, obs. Warren Azoulay ; AJDA 2020. 1383 ; ibid. 1383 ; D. 2020. 1774, note J. Falxa ; ibid. 1643, obs. J. Pradel ; ibid. 2021. 1564, obs. J.-B. Perrier ; AJ fam. 2020. 498, obs. L. Mary ; AJ pénal 2020. 404, note J. Frinchaboy ; RFDA 2021. 87, note J.-B. Perrier ; RSC 2021. 517, obs. D. Zerouki-Cottin ; RTD civ. 2021. 83, obs. P. Deumier
■ Cons. const. 2 oct. 2020, no 2020-858/859 QPC : AJDA 2020. 1881 ; ibid. 2158, note J. Bonnet et P.-Y. Gahdoun ; D. 2021. 57, et les obs., note J. Roux ; ibid. 2020. 2056, entretien J. Falxa ; ibid. 2367, obs. G. Roujou de Boubée, C. Ginestet, M.-H. Gozzi, S. Mirabail et E. Tricoire ; ibid. 2021. 1308, obs. E. Debaets et N. Jacquinot ; AJ fam. 2020. 498, obs. L. Mary ; AJ pénal 2020. 580, note J. Frinchaboy ; RFDA 2021. 87, note J.-B. Perrier ; RSC 2021. 475, obs. A. Botton ; RTD civ. 2021. 88, obs. P. Deumier
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