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Droit international privé
Établissement de la filiation de l’enfant né hors mariage : la "loi du plus for" n’a pas sa place…
La loi étrangère qui ne permet pas l’établissement d’une filiation hors mariage doit être écartée comme contraire à l’ordre public international lorsqu’elle a pour effet de priver un enfant mineur du droit d’établir sa filiation.
Civ. 1re, 16 déc. 2020, n° 19-20.948
Un homme est assigné en recherche de paternité par une femme de nationalité marocaine. Les juges du fond déclarent recevable son action engagée au nom de sa fille mineure, dont la filiation paternelle n’est pas établie. Ils ordonnent, dans cette perspective, une expertise biologique. Le prétendu père se pourvoit en cassation, reprochant aux juges du fond d’avoir évincé la loi marocaine normalement applicable comme contraire à l'ordre public international et de s’être fondés sur l'application de la loi française. Selon le demandeur les juges n’auraient donc pas dû écarter la loi étrangère, seule applicable au litige en vertu de l’article 311-14 du Code civil qui soumet l’'action en recherche de paternité à la loi nationale de la mère au jour de la naissance pour déclarer la demande recevable, en application de la loi française, alors que la filiation est régie par la loi personnelle, en l’occurrence marocaine, de la mère au jour de la naissance et que cette loi ne reconnaît la filiation que dans le cadre du mariage.
Répondant à la question de savoir si une loi étrangère qui prohibe l'établissement de la filiation est contraire à l'ordre public international français, la Cour de cassation répond, sans ambiguïté, par l’affirmative.
Elle affirme qu’« (i)l résulte des articles 3 et 311-14 du Code civil que, si la filiation est en principe régie par la loi personnelle de la mère au jour de la naissance de l’enfant, la loi étrangère qui ne permet pas l’établissement d’une filiation hors mariage doit être écartée comme contraire à l’ordre public international lorsqu’elle a pour effet de priver un enfant mineur du droit d’établir sa filiation ». Ainsi, en relevant que la loi marocaine, loi nationale de la mère, ne reconnaissait que la filiation paternelle légitime, la cour d’appel a exactement déduit que cette loi devait être écartée comme contraire à la conception française de l’ordre public international et qu’il convenait d’appliquer la loi française.
Il faut d’emblée comprendre la généralité de la solution : toute législation étrangère qui rend l'action en recherche de paternité irrecevable doit être écartée, en ce qu’elle méconnaît le droit reconnu à tout enfant à connaître et à voir établir sa filiation paternelle.
Pour en comprendre la portée, il convient également de rappeler la jurisprudence qui l’a précédée, la décision venant confirmer une évolution prétorienne majeure du droit international de la filiation : la reconnaissance, au rang des principes de l'ordre public international français, du droit pour l’enfant d’établir sa filiation justifie l’effacement progressif d’un ordre public dit « de proximité », supposant un rattachement de l’enfant au pays de la loi du for dont l’application est demandée au profit d’un ordre public « plein », en faveur de l’enfant.
Ainsi la jurisprudence a-t-elle progressivement, par divers raisonnements, fait en sorte d’écarter les lois étrangères entravant l’établissement de la filiation de l’enfant.
La première étape de cette évolution concernait les lois prohibitives concernant les subsides. Ainsi, dans un premier arrêt en date du 3 novembre 1988 (Civ. 1re, 3 nov. 1988, n° 87-11.568), la Cour de cassation, au nom d’un ordre public que l’on pourrait qualifier d’ « alimentaire », a jugé que la loi étrangère désignée par la règle de conflit, quoique prohibant l’établissement de la filiation naturelle, n'était pas contraire à la conception française de l’ordre public international à moins qu’elle conduise à priver l’enfant des subsides qui lui sont nécessaires. Autrement dit, si à cette époque, la Cour refusait à l’enfant la possibilité d’établir sa filiation lorsque le droit international applicable s’y opposait, elle exigeait cependant que la loi étrangère assurât des subsides à l'enfant, donc que le père prétendu, dont la preuve de relations intimes avec la mère pendant la période légale de conception était rapportée, versât les subsides nécessaires à son éducation. Malgré cette concession, la solution demeurait sévère pour l’enfant. Elle l’était d’autant plus que, quelques jours auparavant, la même première chambre avait affirmé l’applicabilité d’office de l’article 311-14 du Code civil (Civ. 1re, 11 oct. 1988, n° 87-11.198), notamment pour régler les règles de conflit en matière de droit international de la filiation (Civ. 1re, 18 nov. 1992, Makhlouf, n° 90-15.275, à propos d’une action en recherche de paternité engagée sur le fondement de la loi personnelle de la mère, de nationalité algérienne). Drastique pour l’enfant, d’autant plus s’il était né et/ou résidait en France, la position de la Cour conduisait dans tous les cas à lier la filiation de l’enfant à la seule nationalité de la mère au jour de la naissance de celle-ci.
C’est ainsi que dans un second temps, la Cour de cassation a quelque peu assoupli sa position à propos des lois prohibitives concernant l’établissement de la filiation de l’enfant.
Au nom d’un ordre public dit de « proximité », supposant un rattachement de l’enfant au pays de la loi du for dont l’application est demandée, la Cour tempéra sa position en jugeant que « (s)i les lois étrangères qui prohibent l’établissement de la filiation naturelle ne sont pas, en principe, contraires à la conception française de l’ordre public international, il en est autrement lorsque ces lois ont pour effet de priver un enfant né ou résidant habituellement en France, du droit d’établir sa filiation » (Civ. 1re, 10 févr. 1993, n° 89-21.997). Aussi bien, si demeurait le principe selon lequel les lois étrangères qui prohibent l'établissement de la filiation naturelle ne sont pas contraires à la conception française de l'ordre public international, la Cour l’assortissait toutefois d’une réserve de taille, celle du critère de rattachement de l’enfant à la France, la loi étrangère prohibitive devenant contraire aux conceptions fondamentales du for lorsqu'elle a « pour effet de priver un enfant français ou résidant habituellement en France, du droit d'établir sa filiation ». Ainsi, le droit d'établir sa filiation était reconnu aux enfants présentant un lien de rattachement avec la France quand bien même la loi nationale de leur mère le leur aurait interdit. La protection du droit de l’enfant à voir établir sa filiation était en pratique satisfaisante, la majorité des demandes formées l’étant au profit d’enfants nés ou du moins résidant en France (v. cpdt, contra, Civ. 1re, 10 mai 2006, n° 05-10.299 : cas d’une mère algérienne vivant avec son enfant en Algérie ayant engagé une action en recherche de paternité naturelle à l’encontre d’un français. L'enfant n'ayant ni lien personnel ni lien territorial avec l'ordre juridique français, la loi étrangère fut déclarée conforme à l'ordre public international).
Puis dans un troisième temps dans lequel cette décision s’inscrit, la Cour de cassation ne fit plus référence à la nationalité française de l'enfant ou à sa résidence en France.
Par deux décisions (Civ. 1re, 26 oct. 2011, n° 09-71.369 ; Civ. 1re, 27 sept. 2017, 16-19.654), la Cour de cassation franchit un nouveau cap, remarquable en ce qu’elle abandonna purement et simplement le critère jadis requis du rattachement à la France pour s’opposer, au nom de l'exception tirée de l'ordre public international français, à la mise en œuvre de la loi étrangère contraire. Autrement dit, la seule constatation que la loi étrangère n'autorise pas l'action en recherche de paternité suffit à déclencher l'exception d'ordre public, caractérisant ainsi le recours à un ordre public « plein ».
S’affranchissant alors nettement de la lettre du texte de l’article 311-14 du Code civil, la Cour de cassation passait ainsi sous silence toute référence à un quelconque rattachement de l’enfant à la société française pour qu’aucun ne soit privé, même en l’absence de lien personnel ou territorial avec l'ordre juridique français, du droit d’établir leur filiation lorsque la loi du pays de leur mère, normalement applicable, le leur interdirait.
Ces décisions laissaient toutefois en suspens la question de savoir si la Cour de cassation entendait ainsi opérer un réel revirement de sa position : leur motivation, fondée sur les circonstances propres à l’espèce (les enfants résidant en France dans les deux décisions) et non sur l’énoncé d’un attendu général, rendait leur portée incertaine et invitait dès lors leurs commentateurs à la prudence.
C’est tout l’intérêt de la décision rapportée d’énoncer un principe général d’éviction de l’ordre public de proximité en matière de filiation. Il doit désormais être tenu pour règle que la seule constatation que la loi étrangère n'autorisant pas l'action en recherche de paternité suffit à déclencher l'exception d'ordre public, caractérisant ainsi le recours à un ordre public « plein » indifférent aux liens de l'enfant avec le for. La condition de rattachement n’est désormais plus exigée pour écarter la loi étrangère qui empêche l'enfant d'établir sa filiation paternelle.
Partant, le droit de l’enfant de faire reconnaître sa filiation paternelle accède au rang des valeurs essentielles de l'ordre public international français, que la Cour de cassation avait déjà rattaché au droit fondamental au respect de sa vie privée et familiale garanti par l’article 8 de la convention de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales (Civ. 1re, 5 oct. 2016, n° 15-25.507).
Références :
■ Civ. 1re, 3 nov. 1988, n° 87-11.568 P
■ Civ. 1re, 11 oct. 1988, n° 87-11.198 P
■ Civ. 1re, 18 nov. 1992, Makhlouf, n° 90-15.275 P: D. 1993. 213, note P. Courbe ; Rev. crit. DIP 1993. 276, note B. Ancel
■ Civ. 1re, 10 févr. 1993, n° 89-21.997 P: D. 1994. 66, note J. Massip ; ibid. 32, obs. E. Kerckhove ; Rev. crit. DIP 1993. 620, note J. Foyer
■ Civ. 1re, 10 mai 2006, n° 05-10.299 P: D. 2006. 2890, obs. I. Gallmeister, note G. Kessler et G. Salamé ; ibid. 2007. 1751, obs. P. Courbe et F. Jault-Seseke ; AJ fam. 2006. 290, obs. A. Boiché
■ Civ. 1re, 26 oct. 2011, n° 09-71.369 P: D. 2011. 2728 ; ibid. 2012. 1228, obs. H. Gaudemet-Tallon et F. Jault-Seseke ; AJ fam. 2012. 50, obs. E. Viganotti
■ Civ. 1re, 27 sept. 2017, n° 16-19.654 P: DAE 24 oct. 2017; D. 2017. 2518, note J. Guillaumé ; ibid. 2018. 765, obs. J.-C. Galloux et H. Gaumont-Prat ; ibid. 966, obs. S. Clavel et F. Jault-Seseke ; AJ fam. 2018. 41, obs. A. Dionisi-Peyrusse ; Rev. crit. DIP 2018. 882, note D. Boden
■ Civ. 1re, 5 oct. 2016, n° 15-25.507 P: DAE 7 nov. 2016; D. 2016. 2496, obs. I. Gallmeister, note H. Fulchiron ; ibid. 2017. 470, obs. M. Douchy-Oudot ; ibid. 729, obs. F. Granet-Lambrechts ; ibid. 781, obs. J.-C. Galloux et H. Gaumont-Prat ; AJ fam. 2016. 543, obs. J. Houssier ; RTD civ. 2016. 831, obs. J. Hauser
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