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Droit des obligations
Force majeure : l’annonce d’un revirement ?
À rebours de sa jurisprudence, la Cour de cassation reconnaît dans un arrêt inédit rendu le 6 juillet dernier l’existence de la force majeure monétaire et admet que celle-ci puisse résulter de l’impossibilité pour le créancier de profiter de la prestation promise.
Civ. 1re, 6 juill. 2022, n° 21-11.310
Erreur de jugement ou revirement de jurisprudence ? Opposée à la définition de la force majeure retenue par la Haute cour, la décision rapportée, quoique non publiée, questionne. En 2019, un couple avait réservé une salle de réception pour y célébrer leur mariage en juin 2020 et versé à ce titre un acompte de 1650 euros. Le contrat de réservation stipulait qu’en cas d’annulation du mariage, l’intégralité du montant de la location resterait due au bailleur, sauf en cas de force majeure. Après avoir d’abord sollicité le report de la location en raison de la crise sanitaire liée à la pandémie de la Covid-19, le couple avait ensuite demandé la résolution du contrat en invoquant l’existence d’un cas de force majeure, constitué par « la progression de la crise sanitaire et l’absence de fin de celle-ci ». En juin 2020, le juge des référés condamna le bailleur à restituer l’acompte versé puis le tribunal judiciaire de Tours, statuant en premier et dernier ressort, jugea l’annulation du contrat justifiée par un événement constitutif de la force majeure. Devant la Cour de cassation, le bailleur dénonça logiquement la double erreur commise par les juges du fond. D’une part, la situation sanitaire n’empêchait aucunement les preneurs d’exécuter l’obligation de paiement (du solde de la réservation), d’ailleurs partiellement accomplie (versement de l’acompte) dont ils étaient débiteurs, ces derniers ayant simplement été privés de la possibilité de profiter de la prestation dont ils étaient créanciers ; or si la force majeure permet bien au débiteur d’une obligation contractuelle d’obtenir la résolution du contrat, c’est à la condition qu’elle l’empêche d’exécuter son obligation, qui doit être rendue impossible, et non qu’elle le prive en sa qualité de créancier de la possibilité de profiter de la prestation promise. D’autre part, la force majeure n’existe pas en matière monétaire, l’obligation de payer étant toujours possible ; débiteur d’une seule obligation de paiement au titre du solde du prix de la prestation, le couple de locataires ne pouvait donc s’exonérer de cette obligation en invoquant un cas de force majeure. A priori incontestable, le pourvoi est, contre toute attente, rejeté par la première chambre civile : « C'est dans l'exercice de son pouvoir souverain d'appréciation et sans être tenue de répondre à des conclusions que ses constatations rendaient inopérantes que la cour d'appel a estimé, (…), qu'était caractérisé un cas de force majeure rendant impossible l'exécution des obligations contractuelles ». Et la Cour d’ajouter que le moyen afférent à l’absence de force majeure monétaire serait « nouveau et mélangé de fait » alors que, se prévalant de l’impossibilité de s’exonérer d’une obligation contractuelle monétaire inexécutée sur le fondement de la force majeure, il semblait pourtant bien de droit pur.
Deux lectures de cet arrêt sont alors possibles. La première est radicale : la Cour de cassation aurait ainsi procédé à un double revirement de jurisprudence, admettant désormais non seulement que l’impossibilité pour le créancier de profiter de la prestation qui lui est due puisse constituer un cas de force majeure (comp. Civ. 1re, 25 nov. 2020, n° 19-21.060), mais également que la force majeure inclut l’inexécution d’une obligation monétaire (comp. Com. 16 sept. 2014, n° 13-20.306). La seconde est plus modeste : cette décision rendue par une formation restreinte, et dans litige au faible enjeu pécuniaire, n’aurait qu’une faible portée et devrait rester isolée.
La première lecture nous semble devoir être exclue. Si l’arrêt contenait le double revirement évoqué, la Cour l’aurait certainement publié et motivé autrement que par simple renvoi au pouvoir souverain d’appréciation des juges du fond. Décevante mais au fond préférable, la seconde lecture nous semble plus plausible : un arrêt rendu à contresens de la notion de la force majeure telle que la Cour en a elle-même défini les contours, et à la juste appréciation de laquelle elle reviendra probablement à l’effet de rectifier ce qui s’apparente à une erreur de jugement qui, espérons-le, ne devrait pas se reproduire.
Références :
■ Civ. 1re, 25 nov. 2020, n° 19-21.060 : DAE, 4 janv. 2021, note Merryl Hervieu, D. 2021. 114, note S. Tisseyre ; ibid. 89, point de vue C. Grimaldi ; ibid. 310, obs. R. Boffa et M. Mekki ; ibid. 483, chron. X. Serrier, S. Robin-Raschel, S. Vitse, Vivianne Le Gall, V. Champ, C. Dazzan, E. Buat-Ménard et C. Azar ; AJDI 2021. 118, obs. D. Houtcieff ; AJ contrat 2020. 554, obs. M. Mekki ; Rev. prat. rec. 2021. 7, chron. O. Cousin, F. Kieffer et R. Laher ; RTD civ. 2021. 126, obs. H. Barbier ; ibid. 152, obs. P. Jourdain
■ Com. 16 sept. 2014, n° 13-20.306 : DAE, 7 oct. 2014, note Merryl Hervieu, D. 2014. 2217, note J. François ; Rev. sociétés 2015. 23, note C. Juillet ; RTD civ. 2014. 890, obs. H. Barbier
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