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[ 19 juin 2025 ] Imprimer

Droit des obligations

Garantie des vices cachés : point de départ du délai de prescription de l’action récursoire en l’absence d’action judiciaire préalable du tiers lésé

L’action en garantie des vices cachés engagée par l’entrepreneur ou son assureur contre le fournisseur ou l’assureur de ce dernier, après indemnisation amiable du maître de l’ouvrage ou de l’assureur dommages-ouvrage subrogé, a pour but de faire supporter au fournisseur la dette de réparation du constructeur à l’égard du maître de l’ouvrage. Par conséquent, cette action ne se prescrit pas à compter de la découverte du vice, mais à partir de l’assignation en responsabilité du constructeur ou, à défaut, de l’exécution de son obligation à réparation. 

Civ. 3e, 28 mai 2025, n° 23-18.781

Le constructeur ne pouvant agir en garantie avant d'être lui-même assigné aux fins de paiement ou d'exécution de l'obligation en nature, il ne peut être considéré comme inactif, pour l'application de la prescription extinctive, avant l'introduction des demandes principales. C’est donc la date de l’assignation délivrée par la victime qu’il faut prendre en compte pour déterminer le point de départ de la prescription de l’action récursoire (Civ. 3e, 14 déc. 2022, n° 21-21.305 ; Ch. mixte. 21 juill. 2023, n° 21-19.936 ; Ch. mixte. 19 juill. 2024, n° 22-18.729), sauf à ce que la personne assignée établisse qu'à cette date, elle n'était pas en mesure d'identifier les coauteurs du dommage pour lequel sa responsabilité est recherchée (Ch. mixte, 19 juill. 2024, préc.). Générale, cette règle vaut quelle que soit la nature de l’action récursoire. Elle s’applique, notamment, à l’action récursoire en garantie des vices cachés (Ch. mixte. 21 juill. 2023, n° 20-10.763 ; n° 21-19.936, préc.), au cœur de la décision ici rapportée.

Cependant, le paiement effectué par le responsable afin de désintéresser la victime n’est pas toujours le préalable à une action judiciaire. En effet, il peut intervenir à l’amiable, donc hors de tout contentieux. Dans cette hypothèse, quel est le point de départ du délai de prescription des recours du responsable contre un co-responsable ? Telle est la question à laquelle la Cour de cassation a répondu dans l’affaire qui a donné lieu à l’arrêt commenté.

Au cas d’espèce, l’assureur de responsabilité d’un entrepreneur avait, hors de toute procédure judiciaire, remboursé l’assureur dommages-ouvrage des indemnités versées au maître de l'ouvrage à raison de défauts de construction dont ce dernier avait été victime. L’assureur de l’entrepreneur avait ensuite assigné le fournisseur des matériaux fournis pour la réalisation de l’ouvrage, ainsi que son assureur, pour qu’ils soient condamnés à le rembourser sur le fondement de la garantie des vices cachés. Le fournisseur des matériaux prétendument viciés et son assureur lui avaient alors opposé une fin de non-recevoir tirée de la prescription de son action. Ils ont obtenu gain de cause en appel, les juges du fond ayant jugé la demande irrecevable comme prescrite au motif que la prescription biennale de l’action récursoire de l’assureur subrogé dans les droits de l’entrepreneur, une fois le maître de l’ouvrage indemnisé, contre le fournisseur de la chose viciée et son assureur, court à compter de la connaissance du vice par l'entrepreneur, soit en l'espèce le 25 juillet 2017, date des conclusions de l'expert amiable, si bien que l’action en l’espèce introduite en mai 2020 était forclose.

Devant la Cour de cassation, l’assureur de l’entrepreneur prit appui sur l’article 1648 du Code civil pour soutenir qu’en matière d’action récursoire, le délai pour agir en garantie des vices cachés ne court pas à compter du jour de la découverte du vice par l’entrepreneur, mais à compter de l’assignation délivrée par le tiers lésé ou, à défaut, à compter de la réclamation d’une somme d’argent faite à l’entrepreneur.

La troisième chambre civile lui donne raison, s’opposant à ce que la date de la découverte du vice par l’entrepreneur puisse constituer le point de départ de la prescription de ses recours ou de ceux de son assureur. Elle confirme que le délai court à compter de l’assignation en responsabilité qui lui a été délivrée ou, à défaut, à compter de l’exécution de son obligation à réparation. La Cour de cassation prend pour exemple le recours d'un constructeur, assigné en responsabilité par le maître de l'ouvrage, contre un autre constructeur ou son sous-traitant (Civ. 3e, 14 déc. 2022, préc.). Cette action récursoire, fondée sur un préjudice unique causé au maître d’ouvrage par plusieurs coresponsables, a pour point de départ l’assignation délivrée au constructeur, à la condition que celle-ci soit accompagnée d’une demande de reconnaissance d’un droit, seules les assignations au fond ou en référé-provision faisant courir la prescription (v. réc. Civ. 3e, 30 janv. 2025, n° 23-16.768). C’est en effet au moment d’être assigné au fond que le constructeur prend effectivement connaissance des faits lui permettant d’agir et d’exercer ses propres recours. C’est la raison pour laquelle il est désormais acquis qu’en cas de recours entre constructeurs, la date de l’assignation constitue le point de départ du délai. Il en va de même pour la prescription biennale de l’action en garantie des vices cachés, qui court à compter de l’assignation au fond (pt n° 12). En l’espèce, l’action exercée par l’assureur ayant pour finalité de faire supporter par le fournisseur de la chose viciée ou par son assureur la dette de réparation qui incombe normalement au constructeur, après indemnisation du maître de l’ouvrage, c’est en principe à la date où le constructeur est assigné en responsabilité, et non pas à celle de sa découverte du vice, que commence à courir le délai biennal de prescription. La portée de cette règle est ici élargie à l’hypothèse d’une action récursoire ultérieure à une indemnisation amiable du maître de l’ouvrage : même lorsque le recours ne fait pas suite à une action judiciaire exercée par la victime, la prescription biennale de l’action récursoire en garantie des vices cachés ne peut courir à compter de la découverte du vice par l’entrepreneur. La Cour précise qu’en l’absence d’assignation, le point de départ du délai doit être fixé à la date d'exécution de son obligation à réparation (pt n° 14). Ainsi la Cour retient-elle en l’espèce que le point de départ de la prescription réside dans la date du paiement. Ce choix s’explique par le fait qu’une entreprise ne saurait être considérée comme inactive, au sens de l’article 2219 du Code civil, que si elle dispose d’une action qu’elle s’abstient d’exercer, ce qui suppose qu’elle ait été assignée ou, à défaut, qu’elle ait exécuté son obligation à réparation. On notera qu’ainsi, la Cour refuse d’adopter la date de la demande en paiement, comme le suggérait l’auteur du pourvoi. Il pouvait pourtant sembler logique d’adopter cette date, dans la mesure où c’est l’assignation en paiement qui fait courir la prescription de l’action récursoire. Cependant, une telle solution n’aurait pas été sans inconvénient. En effet, dans le cas où cette demande n’est pas suivie d’effet, la personne recherchée ne peut, en l’absence de paiement effectif, ni demander à être remboursée par un tiers, ni même à être garantie, tout en étant contrainte à agir pour interrompre la prescription, surtout lorsque l’action est soumise à une prescription aussi brève que celle applicable à la garantie des vices cachés. Ainsi, serait-elle conduite à engager une action préventive, ce qui avait précisément conduit la Cour de cassation à revenir sur sa jurisprudence antérieure faisant courir la prescription des recours à compter de la demande d’expertise en référé, même non accompagnée de la demande de reconnaissance d’un droit (Civ. 3e, 16 janv. 2020, n° 18-25.915). La solution retenue par la Cour de cassation se place donc dans la continuité de l’arrêt de la chambre mixte du 19 juillet 2024. Elle favorise le règlement amiable des litiges en évitant de faire courir la prescription à une date obligeant les parties à exercer des actions judiciaires conservatoires.

Références :

■ Civ. 3e, 14 déc. 2022, n° 21-21.305 : DAE, 23 janv. 2023, note Merryl Hervieu D. 2023. 8 ; RDI 2023. 190, obs. C. Charbonneau

■ Ch. mixte. 21 juill. 2023, n° 21-19.936 DAE, 22 sept. 2023, note Merryl Hervieu ; D. 2023. 1728, note T. Genicon ; ibid. 2024. 613, obs. N. Fricero ; AJDI 2023. 788, obs. D. Houtcieff ; RTD civ. 2023. 914, obs. P.-Y. Gautier ; RTD com. 2023. 714, obs. B. Bouloc

■ Ch. mixte. 19 juill. 2024, n° 22-18.729 DAE, 24 sept. 2024, note Merryl Hervieu ; AJDA 2024. 1517 ; D. 2025. 22, obs. P. Brun, O. Gout et C. Quézel-Ambrunaz ; ibid. 267, obs. R. Boffa et M. Mekki ; RTD civ. 2024. 886, obs. H. Barbier ; ibid. 901, obs. P. Jourdain

■ Ch. mixte. 21 juill. 2023, n° 20-10.763 : D. 2023. 1728, note T. Genicon ; AJDI 2023. 788, obs. D. Houtcieff ; RDI 2023. 539, obs. C. Charbonneau et J.-P. Tricoire ; RTD civ. 2023. 638, obs. H. Barbier ; ibid. 914, obs. P.-Y. Gautier ; RTD com. 2023. 714, obs. B. Bouloc

■ Civ. 3e, 30 janv. 2025, n° 23-16.768 

■ Civ. 3e, 16 janv. 2020, n° 18-25.915 D. 2020. 466, note N. Rias ; RDI 2020. 120, étude C. Charbonneau

 

Auteur :Merryl Hervieu


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