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Géolocalisation du véhicule du salarié : un moyen de preuve illicite
Un dispositif de géolocalisation utilisé par l’employeur pour d’autres finalités que celles déclarées auprès de la CNIL et portées à la connaissance des salariés constitue un moyen de preuve illicite.
Soc. 14 févr. 2024, n° 21-19.802
Que la preuve soit libre ne signifie pas qu’elle puisse être obtenue par tous moyens. Sur ce point, le revirement opéré le 23 décembre dernier ne change rien (Ass. plén., 22 déc. 2023, n° 20-20-648 et 21-11.330). Certes, l’irrecevabilité de la preuve déloyale, jadis soumise à un principe absolu d’interdiction, n’est plus systématique. Cependant, le juge maintient l’exercice d’un contrôle de proportionnalité, déjà opéré en cas de preuve illicite, pour l’étendre à la preuve déloyale. Ce contrôle consiste à apprécier si la preuve illicite ou déloyale porte atteinte au caractère équitable de la procédure, en mettant en balance le droit à la preuve et les droits antinomiques en présence, principalement le droit au respect de la vie privée du défendeur et le droit à la protection de ses données personnelles. Marquant la volonté de la Cour de libéraliser l’administration de la preuve, le revirement récemment opéré pouvait laisser craindre un affaiblissement de ce contrôle de proportionnalité. L’arrêt rapporté confirme la vitalité du contrôle opéré par les juges pour juger de la recevabilité d’une preuve illicite en raison de son contenu, attentatoire aux droits fondamentaux du salarié, écartant en l’espèce des débats la preuve de la faute d’un salarié rapportée à partir des données GPS de son véhicule (comp., à propos d’une vidéo clandestine, Soc. 14 févr. 2024, n° 22-23.073).
Licencié en raison d’erreurs commises dans la gestion de son temps de travail, de problèmes d’organisation et de frais injustifiés, un salarié engagé comme conducteur routier invoque devant la juridiction prud’homale, pour contester son licenciement, l’illicéité des moyens de contrôle utilisés par son ancien employeur pour établir ses fautes. En ce sens, il soutient que les éléments de preuve rapportés par ce dernier pour fonder sa décision, tirés d’un dispositif de géolocalisation, sont illicites. Cet argument ne convainc pas la cour d’appel, considérant que le GPS utilisé par l’employeur respecterait les exigences légales. Dans la mesure où les conducteurs routiers sont des salariés itinérants sans autonomie dans l’organisation de leur travail, le recours de l’employeur à un système de géolocalisation, dans le seul but de contrôler leur temps de travail, serait légitime, d’autant plus que ce contrôle ne peut être effectué par d’autres moyens alternatifs permettant de suivre l’ensemble des chauffeurs routiers dans leurs déplacements. La cour d’appel en déduit que le système de géolocalisation utilisé par l’employeur est licite et la preuve de la faute du salarié qu’il rapporte à partir de ce procédé, recevable. La Cour de cassation casse et annule cette décision sur le fondement de l’article L. 1121-1 du Code du travail. D’une part, elle rappelle sa jurisprudence selon laquelle l'utilisation d'un système de géolocalisation pour assurer le contrôle de la durée du travail n'est pas justifiée pour localiser un conducteur hors de son temps de travail (Soc. 22 mars 2023, nos 21-22.852 et 21-24.729). D’autre part, elle constate que les finalités de l'utilisation du dispositif de géolocalisation, telles qu’elles ont été déclarées auprès de la Cnil et soumises à l’information des salariés, visaient à « localiser les marchandises sensibles et [à] permettre un meilleur choix en exploitation ». Or l'employeur a détourné le dispositif de sa finalité pour contrôler la durée du travail du salarié à partir du traitement de ses données personnelles « quand le véhicule était pourtant équipé d'un chronotachygraphe » et pour le surveiller « en permanence en couvrant les pauses et les périodes de repos, entrant alors dans la sphère de sa vie personnelle ». Il en résulte que l'employeur a « porté atteinte à la vie personnelle du salarié, en sorte que ce moyen de preuve tiré de la géolocalisation [est] illicite ».
Ainsi, bien que le droit social soit régi par le système de la preuve libre et que la portée de ce système vienne d’être renforcée, des limites restent posées à l’administration de la preuve. La vidéosurveillance n’est justifiée que lorsqu’elle poursuit des finalités légitimes et conformes à celles déclarées auprès de l’autorité de contrôle. La protection de la sécurité des personnes et des biens, ou la nécessité d’identifier les auteurs de vols ou de dégradations, peut justifier un système de géolocalisation, mais celle-ci ne peut jamais être étendue à la surveillance des salariés, notamment dans leurs zones et temps de repos. La surveillance doit être proportionnée à leurs droits fondamentaux (vie privée, protection des données personnelles) et il revient au juge, le cas échéant, de procéder à une pondération de l’ensemble des intérêts en présence. Ainsi, la caissière d’une officine de pharmacie licenciée après que la vidéosurveillance du personnel a permis d’établir qu’elle avait volé des médicaments, n’est pas fondée à invoquer une violation de son droit à la vie privée dès lors qu’un juste équilibre entre ses intérêts et ceux de l’employeur (respect de ses biens) a pu être sauvegardé (Soc.14 févr.2024, préc.). Il en va autrement, lorsque comme en l’espèce, le système de vidéosurveillance n’est pas utilisé conformément à son autorisation mais détourné de sa finalité pour empiéter sur la vie privée des salariés.
Références :
■ Ass. plén., 22 déc. 2023, n° 20-20-648 et 21-11.330 : DAE, 18 janv. 2024, note Merryl Hervieu, D. 2024. 291, note G. Lardeux ; ibid. 275, obs. R. Boffa et M. Mekki ; ibid. 296, note T. Pasquier ; ibid. 570, obs. J.-D. Bretzner et A. Aynès ; AJ fam. 2024. 8, obs. F. Eudier ; AJ pénal 2024. 40, chron. ; Dr. soc. 2024. 293, obs. C. Radé ; Légipresse 2024. 11 et les obs. ; ibid. 62, obs. G. Loiseau
■ Soc. 14 févr. 2024, n° 22-23.073 : DAE, 12 mars 2024, note Merryl Hervieu, D. 2024. 313
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